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13/11/2023 | FRANCE | N°23LY00447

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 13 novembre 2023, 23LY00447


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision par laquelle le directeur du centre de détention de Joux-la-Ville a implicitement rejeté sa demande tendant à la modification des tarifs du catalogue de cantine de l'établissement et d'enjoindre au directeur de cet établissement pénitentiaire de mettre en conformité les tarifs du catalogue local de cantine avec les tarifs fixés au niveau national par le ministre de la justice.

Par jugement n° 2201369 du 7 décembre 2022

, le tribunal a fait droit à la demande d'annulation et a enjoint au directeur d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision par laquelle le directeur du centre de détention de Joux-la-Ville a implicitement rejeté sa demande tendant à la modification des tarifs du catalogue de cantine de l'établissement et d'enjoindre au directeur de cet établissement pénitentiaire de mettre en conformité les tarifs du catalogue local de cantine avec les tarifs fixés au niveau national par le ministre de la justice.

Par jugement n° 2201369 du 7 décembre 2022, le tribunal a fait droit à la demande d'annulation et a enjoint au directeur du centre de détention de Joux-la-Ville d'aligner le prix de deux cent quatre-vingt-six produits du catalogue de cantine de l'établissement sur le prix fixé au niveau national, dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour

I. Par une requête enregistrée le 8 février 2023 sous le n° 23LY00447 et un mémoire enregistré le 6 octobre 2023, non communiqué, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande.

Il soutient que :

- l'acquisition de produits par le biais de la cantine ne constitue qu'une faculté pour les détenus, qui bénéficient de la distribution gratuite de trois repas par jour, et, pour les nouveaux arrivants et pour les détenus qui disposent de ressources insuffisantes, des produits d'hygiène indispensables ;

- en application des articles L. 111-3 et D. 332-34 du code pénitentiaire, les tarifs appliqués à la cantine sont fixés par le chef de l'établissement, en tenant compte, en gestion déléguée, du marché conclu avec un prestataire et, en gestion publique, de l'accord-cadre d'approvisionnement conclu en 2011 et renouvelé en 2014 ;

- aucune rupture d'égalité entre usagers du service, selon qu'ils sont incarcérés dans un établissement géré en gestion déléguée ou en régie, ne peut être retenue, dès lors que le prix des articles proposés dans le catalogue de cantine de l'établissement de Joux-la-Ville n'excède que de 39,47% le prix des articles identiques ou comparables fixé au niveau national, et non de 68 % comme retenu par le tribunal ; en outre, le tarif de certains articles du catalogue de cantine de Joux-la-Ville est inférieur à celui du marché national ;

- la différence de prix étant plus marquée pour les articles achetés de façon ponctuelle et plus limitée pour les articles achetés fréquemment, la différence de prix, calculée sur un panier moyen se limite en réalité à 15,84% ; cette différence n'est pas manifestement disproportionnée dès lors qu'elle est assimilable aux différences de prix constatées entre régions sur le territoire national ;

- la tarification des produits cantinables au sein des établissements pénitentiaires en gestion déléguée peut varier d'un établissement à un autre, dès lors que les prix sont fixés par référence à ceux de deux hypermarchés situés dans le département du siège de la direction interrégionale des services pénitentiaires dont dépend l'établissement ;

- la différence de tarification s'explique par les contraintes pesant sur le prestataire ainsi que par les variations de prix observées sur le territoire ;

- les usagers détenus au sein d'un établissement géré en gestion déléguée ne bénéficient pas du même service de cantine que ceux détenus en établissement géré en gestion publique ;

- les clauses relatives au contrôle des tarifs du catalogue local permettent une limitation de la différence entre les tarifs appliqués en gestion déléguée et ceux résultant de l'accord-cadre ;

- les établissements en gestion déléguée sont placés dans une situation différente de ceux gérés en gestion publique, dans la mesure où les prestataires font appels à différents fournisseurs locaux et acquièrent les produits en quantité insuffisante pour permettre une négociation des prix ;

- cette différence de prix est justifiée par l'organisation du service, qui varie selon le mode de gestion applicable ; en effet, le coût du service en gestion déléguée inclut la commande, la livraison et la distribution contrairement à ce qui est le cas en gestion publique où ces prestations sont assurées par les surveillants ;

- la différence de prix est également justifiée par une nécessité d'intérêt général, dès lors que sa suppression impose une indemnisation du prestataire, un coût supplémentaire pour le budget de l'établissement et une éventuelle hausse du tarif de certains produits ;

- l'annulation rétroactive de la décision du directeur du centre de détention emporte de graves conséquences sur l'administration pénitentiaire, s'agissant du calcul de l'indemnisation des personnes détenues ; en outre, le délai imparti par le tribunal pour modifier les tarifs est insuffisant, dès lors qu'il implique de conclure un avenant au marché.

Par mémoire enregistré le 4 juillet 2023, M. C..., représenté par Me Ciaudo, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- la différence de prix relevée entre les 286 produits figurant dans l'accord cadre et les produits équivalents du catalogue de cantine de Joux-la-Ville est de 68% ainsi que l'a relevé le tribunal ;

- il n'existe aucune différence objective de situation entre les détenus incarcérés dans un établissement dont la gestion a été déléguée ou dans un établissement en gestion publique ;

- aucun motif ne justifie qu'il soit contraint de verser une somme différente de celle que versent les détenus au sein d'autres établissements pénitentiaires pour les mêmes biens cantinables ;

- le maintien des relations contractuelles avec le prestataire ne saurait constituer un motif d'intérêt général justifiant la différence de traitement ;

- le ministre ne fait état d'aucun élément permettant de démontrer que le service de cantine rendu par un prestataire privé serait substantiellement différent de celui rendu aux détenus incarcérés dans un établissement en gestion publique ;

- contrairement aux personnes hors détention, qui peuvent librement choisir leur lieu de résidence en conformité avec leur niveau de vie et leurs ressources, les personnes détenues n'ont pas le choix de leur affectation ;

- aucun recours indemnitaire n'a été engagé ; le préjudice subi par les détenus concernés s'avère relativement faible au regard de l'écart constaté, qui se limite à quelques euros et centimes sur chaque produit ;

- les difficultés résultant de la nécessité de modifier les contrats conclus ne sont pas démontrées.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 mai 2023.

II. Par une requête enregistrée le 9 février 2023 sous le n° 23LY00457 et un mémoire enregistré le 6 octobre 2023, non communiqué, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour, sur le fondement des articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative, qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2201369 du tribunal administratif de Dijon du 7 décembre 2022.

Il soutient que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité des usagers devant le service public retenu par le tribunal n'est pas fondé, que les autres moyens ne sont pas fondés et que l'exécution du jugement aurait des conséquences difficilement réparables.

Par mémoire enregistré le 4 juillet 2023, M. C..., représenté par Me Ciaudo, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par le ministre ne sont pas de nature à justifier qu'il soit sursis à l'exécution du jugement ;

- l'existence de conséquences difficilement réparables n'est pas démontrée.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code pénitentiaire ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Evrard,

- et les conclusions de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., détenu au centre de détention de Joux-la-Ville (Yonne) dont la gestion est, pour ce qui concerne les fonctions non régaliennes, déléguée à un prestataire, a demandé au directeur de ce centre d'abaisser les tarifs du catalogue de cantine de l'établissement afin de les aligner sur les tarifs qui auraient été fixés au niveau national par le ministre de la justice pour les établissements placés en gestion publique. Par un jugement du 7 décembre 2022, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision implicite née du silence gardé par le directeur du centre sur cette demande et a enjoint à ce dernier de modifier le catalogue de cantine de l'établissement en tant qu'il propose des prix supérieurs à ceux de 286 produits fixés au niveau national par le ministre de la justice pour les établissements placés en gestion publique, dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement. Par la requête n° 23LY00447, le garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel de ce jugement et par la requête n° 23LY00457, il demande qu'il soit sursis à son exécution. Ces requêtes étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu pour la cour de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la requête n°23LY00447 :

2. D'une part, aux termes de l'article 11 de la loi pénitentaire du 24 novembre 2009, repris à l'article L. 111-3 du code pénitentiaire : " Les fonctions de direction, de surveillance et de greffe des établissements pénitentiaires des établissements pénitentiaires sont assurées par l'administration pénitentiaire. Les autres fonctions peuvent être confiées à des personnes de droit public ou privé bénéficiant d'une habilitation (...) Ces personnes peuvent être choisies dans le cadre d'un marché public (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article D. 344 du code de procédure pénale, repris à l'article D. 332-34 du code pénitentiaire, applicable quel que soit le mode de gestion de la cantine : " Les prix pratiqués à la cantine sont fixés périodiquement par le chef de l'établissement pénitentiaire. Sauf en ce qui concerne le tabac, ils doivent tenir compte des frais exposés par l'administration pour la manutention et la préparation ".

4. La fixation de tarifs différents applicables, pour un même service rendu, à diverses catégories d'usagers d'un service public implique, à moins qu'elle ne soit la conséquence nécessaire d'une loi, soit qu'il existe entre les usagers des différences de situation appréciables, soit qu'une nécessité d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service commande cette mesure. Or, la différence de tarification des produits et services relevant du système de cantine proposés aux détenus des différents établissements pénitentiaires est la conséquence nécessaire des articles L. 113 et D. 332-34 précités du code pénitentiaire qui imposent que les prix facturés tiennent compte des conditions économiques en vigueur localement.

5. A cette fin, le titulaire du marché chargé du service de la cantine de Joux-la-Ville facture à l'établissement la vente des produits et services commandés par les détenus. Les tarifs appliqués aux détenus intègrent les prix du prestataire, eux-mêmes soumis à un dispositif d'ajustement annuel appliqué en fonction du prix le plus bas constaté, sur chaque produit ou service, dans deux hypermarchés locaux de référence, le catalogue et les tarifs actualisés étant arrêtés par le directeur de l'établissement. Dans de telles conditions, la différence entre le prix des produits acquis par M. C... et celui des produits proposés aux détenus situés dans d'autres établissements pénitentiaires est la conséquence nécessaire de l'application de la loi et n'est pas constitutive d'une rupture d'égalité entre usagers d'un même service public. Le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision en litige au motif que le directeur du centre de détention de Joux-la-Ville avait porté atteinte à ce principe.

6. Il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Dijon et devant la cour.

7. En premier lieu, M. C... soutient que les tarifs des produits du catalogue de cantine du centre de détention de Joux-la-Ville méconnaissent l'accord-cadre national sur les prix de cantine dans les établissements pénitentiaires en gestion directe. Toutefois, ce document versé par le ministre à la demande de la cour, est dépourvu d'entête, de dispositif et de signature. Il se limite à un tableau indiquant un prix par produit conditionné affecté d'un code. Il est dépourvu de tout caractère contraignant et le moyen tiré de sa méconnaissance ne peut qu'être écarté.

8. En second lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique (...) a droit au respect de ses biens (...) ". Aux termes de l'article 14 de la même convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ".

9. Il ressort des pièces du dossier que les personnes incarcérées dans les établissements placés en gestion publique ont, comme celles qui le sont dans les établissements à gestion externalisée, la qualité de détenus. Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir qu'il subirait du fait de la différence de tarification des produits de cantine à Joux-la-Ville, un traitement discriminatoire résultant de sa qualité de détenu.

10. Il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du directeur du centre de détention de Joux-la-Ville refusant de modifier les tarifs du catalogue de cantine en tant qu'elle y maintient des tarifs supérieurs à ceux des 286 produits dont les prix ont été harmonisés dans les établissements en gestion directe et a enjoint au directeur du centre d'abaisser le prix de 286 produits du catalogue de l'établissement.

Sur la requête n° 23LY00457 :

11. Le présent arrêt statuant sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement n° 2201369 du tribunal administratif de Dijon du 7 décembre 2022, les conclusions du garde des sceaux, ministre de la justice, tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement se trouvent dépourvues d'objet.

12. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur les frais liés aux instances :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution présentée par le garde des sceaux, ministre de la justice dans la requête n° 23LY00457.

Article 2 : Le jugement n° 2201369 du tribunal administratif de Dijon du 7 décembre 2022 est annulé.

Article 3 : La demande présentée au tribunal administratif de Dijon par M. C... est rejetée.

Article 4 : Les conclusions présentées par M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, et à M. B... C....

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Arbaretaz, président,

Mme Evrard, présidente assesseure,

Mme Psilakis, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 novembre 2023.

La rapporteure,

A. EvrardLe président,

Ph. Arbarétaz

La greffière,

F. Prouteau

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY00447 - 23LY00457


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY00447
Date de la décision : 13/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

37-05-02-01 Juridictions administratives et judiciaires. - Exécution des jugements. - Exécution des peines. - Service public pénitentiaire.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Aline EVRARD
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : SCP THEMIS AVOCATS et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 19/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-11-13;23ly00447 ?
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