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13/11/2023 | FRANCE | N°21LY01527

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 13 novembre 2023, 21LY01527


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La commune de Saint-Jean-de-Maurienne a demandé au tribunal administratif de Grenoble la condamnation solidaire des sociétés Peytavin, Omnium technique d'études de la construction et de l'équipement en Languedoc-Roussillon (OTCE), Bureau Alpes Contrôles et Yvroud Européenne des Fluides (Yvroud) au paiement de la somme de 134 375,30 euros TTC, outre intérêts au taux légal, capitalisés, en indemnisation des désordres affectant le Théâtre Gérard Philippe.

Par jugement n° 1908281-1908288 du 16 mars

2021, le tribunal administratif a rejeté sa demande et mis à la charge des sociétés...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La commune de Saint-Jean-de-Maurienne a demandé au tribunal administratif de Grenoble la condamnation solidaire des sociétés Peytavin, Omnium technique d'études de la construction et de l'équipement en Languedoc-Roussillon (OTCE), Bureau Alpes Contrôles et Yvroud Européenne des Fluides (Yvroud) au paiement de la somme de 134 375,30 euros TTC, outre intérêts au taux légal, capitalisés, en indemnisation des désordres affectant le Théâtre Gérard Philippe.

Par jugement n° 1908281-1908288 du 16 mars 2021, le tribunal administratif a rejeté sa demande et mis à la charge des sociétés Peytavin, OTCE, Bureau Alpes Contrôles et Yvroud, 60 % des frais et honoraires d'expertise liquidés à la somme de 18 071,81 euros TTC, à hauteur de 15 % chacune.

Procédure devant la cour

Par requête enregistrée le 14 mai 2021, la commune de Saint-Jean-de-Maurienne, représentée par Me Pilone, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en ce qu'il rejette sa demande de condamnation ;

2°) de condamner solidairement à lui verser la somme 134 375,30 euros TTC, outre intérêt au taux légal à compter de l'introduction de sa requête, capitalisés, les sociétés Peytavin, OTCE, Bureau Alpes Contrôles et Yvroud sur le fondement de leur responsabilité décennale ou, subsidiairement, les sociétés Peytavin et OTCE sur le fondement de leur responsabilité contractuelle ; de mettre à la charge des mêmes les entiers dépens de première instance ;

3°) de mettre à la charge des sociétés Peytavin, OTCE, Bureau Alpes Contrôles et Yvroud la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la gravité et l'ampleur des désordres thermiques affectant le hall d'accueil et le couloir n'étaient pas apparentes à la réception et rendent l'ouvrage impropre à sa destination compte tenu de l'inconfort que subissent usagers et agents d'accueil évoluant dans cette zone ;

- les désordres thermiques affectant la salle de spectacle n'étaient pas apparents à la réception ; en ce qu'ils génèrent d'importants écarts de température entre le bas et le haut des gradins, non conformes aux exigences du programme de travaux annexé au CCTP, ils rendent impropre à sa destination la totalité de la salle de spectacle ;

- la société Bureau Alpes Contrôles ne saurait être exonérée de sa responsabilité décennale dès lors qu'elle a rendu un avis technique favorable sur le réseau de chauffage et de ventilation du niveau R+1 et de la salle de spectacle ;

- les désordres affectant le hall d'entrée et le couloir proviennent de fautes de conception de la maîtrise d'œuvre, qui n'a pas prévu d'installations de chauffage sur ces zones alors que les huisseries des portes d'entrée et de la baie vitrée du couloir présentaient des ponts thermiques importants ; les désordres affectant la salle de spectacle relèvent de la responsabilité contractuelle d'OTCE qui a commis des fautes de conception du système d'aération ;

- c'est à tort que le tribunal a écarté la responsabilité contractuelle des sociétés OTCE et Peytavin au motif que le décompte général était devenu définitif le 8 juillet 2016 ;

- les sociétés OTCE et Peytavin ont failli à leur mission contractuelle d'assistance aux opérations de réception ; elles ont omis de signaler l'absence de preuve de la réalisation d'essais de fonctionnement du système des buses d'aération avant réception, l'orientation et le positionnement inadéquat de ces buses et l'absence de chauffage dans le hall d'entrée ;

- les travaux de reprise des désordres dans la salle de spectacle, le hall d'entrée et le couloir qui s'élèvent à 117 860,74 euros, outre un préjudice d'image de 5 000 euros ;

- la condamnation doit être prononcée toutes taxes comprises ;

- elle ne saurait supporter 40 % des frais engagés pour l'expertise judiciaire, compte tenu des responsabilités des locateurs de travaux dans la survenance des désordres ;

- elle est fondée à demander l'indemnisation des frais d'avocat s'élevant à la somme de 11 514,56 euros TTC et exposés lors des opérations d'expertise, distincte des sommes demandées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par mémoire enregistré le 26 juillet 2021, la société Yvroud représentée par la Selarl Juge Fialaire Avocats, conclut au rejet des conclusions dirigées contre elle et demande à la cour :

1°) par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement en ce qu'il a mis à sa charge 15 % des dépens et la mise à la charge de la totalité des frais d'expertise à la commune de Saint-Jean-de-Maurienne ;

2°) de condamner les sociétés OTCE, Peytavin et Bureau Alpes Contrôles à la garantir intégralement de toute condamnation mise à sa charge ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Jean-de-Maurienne la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa responsabilité sur le fondement de la garantie décennale ne peut être engagée ; les désordres étaient apparents lors de la réception ; les dysfonctionnements du système de chauffage et d'aération de la salle de spectacle ne rendent pas l'équipement impropre à sa destination ;

- sa responsabilité sur le fondement contractuel ne peut être engagée, faute de réserves émises par la commune lors de la réception sur les travaux du lot n° 11 ;

- les travaux pour remédier aux désordres du hall d'entrée et du couloir améliorent l'ouvrage et doivent demeurer intégralement à la charge de la commune ; le préjudice d'image allégué n'est ni justifié, ni établi ;

- la condamnation ne pourra être prononcée qu'hors taxe, la commune étant susceptible de récupérer la taxe sur la valeur ajoutée ;

- la demande afférente aux frais d'expertise est redondante avec celle présentée pour les dépens ;

- la demande afférente aux frais d'avocat exposés lors des opérations d'expertise est redondante avec celle présentée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

- ayant réalisé ses missions dans les règles de l'art, elle ne saurait être tenue de garantir d'autres constructeurs ; en revanche, les sociétés Peytavin et OTCE sont fautives d'avoir conçu le système d'aération de la salle de spectacle sans étude aéraulique préalable et d'avoir négligé l'absence d'isolation des huisseries des portes d'entrée et de la baie vitrée du couloir dans leur étude thermique du bâtiment ; le Bureau Alpes Contrôles a émis un avis favorable et a validé les plans d'exécution du réseau de chauffage et de ventilation du niveau R+1 et de la salle de spectacle.

Par mémoire enregistré le 27 juillet 2021, la société Peytavin et la Mutuelle des architectes français (MAF), représentées par la Selarl MLB avocats, agissant par Me Balme, concluent au rejet des conclusions dirigées contre la société Peytavin et demandent à la cour :

1°) de condamner solidairement les sociétés OTCE et Yvroud à garantir intégralement la société Peytavin de toute condamnation prononcée contre elle au titre de la responsabilité décennale ; de condamner la société OTCE, seule, à la garantir intégralement de toute condamnation prononcée au titre de la responsabilité contractuelle ou pour défaut d'assistance aux opérations de réception ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Jean-de-Maurienne solidairement avec tout succombant, la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- les désordres affectant le hall, les espaces de circulation et la salle de spectacle sont dépourvus de caractère décennal, car apparents à la réception et ne rendant pas l'ouvrage impropre à sa destination ;

- la responsabilité contractuelle de la société Peytavin pour des fautes de conception de l'ouvrage ou pour un défaut de conseil lors des opérations de réception ne peut être engagée après la réception des travaux prononcée sans réserve et notification du décompte général et définitif du marché de maîtrise d'œuvre ;

- à titre subsidiaire, les travaux de reprise dans le hall d'entrée et le couloir constituent des travaux d'amélioration de l'ouvrage devant rester intégralement à la charge de la commune ; toute condamnation sera, le cas échéant, prononcée hors taxes, l'activité pratiquée dans l'ouvrage pouvant donner lieu à récupération de la TVA ; le préjudice d'atteinte à l'image n'est justifié ni dans son principe ni dans son quantum ; les conclusions tendant au remboursement des frais d'avocat exposés par la commune lors des opérations d'expertise sont injustifiés et relèvent de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

- dans l'hypothèse où une condamnation sur le fondement contractuel serait prononcée, la société Peytavin doit être intégralement garantie par la société OTCE, seule responsable, en sa qualité de BET fluides, des désordres identifiés ainsi que des manquements invoqués lors des opérations de réception ;

- dans l'hypothèse où une condamnation sur le fondement décennal serait prononcée, la société Peytavin doit être intégralement garantie par les sociétés Yvroud et OTCE ; la société Yvroud n'a pas réalisé les travaux dans les règles de son art en omettant de faire toute remarque s'agissant du mauvais positionnement des buses, en mettant en œuvre une conception hasardeuse et en finalisant les travaux sans le rapport des essais de fonctionnement de l'installation ; les erreurs de conception du système de chauffage et de ventilation commises par la société OCTE sont à l'origine des désordres constatés dans la salle de spectacle et du hall d'entrée et couloir ;

- une quote-part de responsabilité sera laissée à la charge de la commune qui a réceptionné les travaux sans avoir eu communication du rapport des essais de fonctionnement de l'installation.

Par mémoire du 24 août 2021, la société Bureau Alpes Contrôles, représentée par Me Barre, conclut au rejet des conclusions dirigées contre elle et demande à la cour :

1°) par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement en ce qu'il a mis à sa charge 15% des dépens et la mise à la charge de la totalité des frais d'expertise à la commune de Saint-Jean-de-Maurienne :

2°) de condamner les sociétés OTCE et Yvroud à la garantir intégralement de toute condamnation prononcée contre elle ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Jean-de-Maurienne, ou, à défaut, des sociétés Yvroud et OTCE la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les désordres étaient apparents dans toute leur étendue à la réception de l'ouvrage et n'ont fait l'objet d'aucune réserve ;

- les désordres affectant la salle de spectacle ne rendent pas l'ouvrage impropre à sa destination de même que l'insuffisance de chauffage dans lieux de transit que sont le hall et les couloirs d'accès à la salle ;

- subsidiairement, sa responsabilité décennale ne saurait être engagée car les désordres ne relèvent pas des missions qui lui ont été contractuellement confiées ; elle n'a pas eu communication des plans de coupe, qui, seuls, pouvaient permettre d'identifier un mauvais positionnement des buses, de la note de calcul thermique, des plans et études du bureau d'études fluides y compris ceux portant sur les réseaux de ventilation, des tracés et justificatifs de dimensionnement du réseau et n'a pas pu rendre d'avis sur ces documents ; dans le compte-rendu de visite du 28 janvier 2014, elle a suspendu son avis sur le fonctionnement du réseau faute de communication des essais de l'installation ;

- l'indemnisation des travaux de reprise ne saurait excéder un montant HT de 43 690 euros outre 7 % d'honoraires de maîtrise d'œuvre et 5 % pour les études du BET fluides ; les travaux de reprise dans le hall d'entrée et couloirs d'un montant de 44 004 euros HT n'étaient pas contractuellement prévus et constituent une plus-value à l'ouvrage devant rester à la charge de la commune ;

- l'indemnisation des travaux de reprise ne saurait être exprimée toutes taxes comprises, la commune pouvant récupérer la TVA ; si l'indemnisation devait inclure la TVA, celle-ci doit s'appliquer à un taux de 10 % et non de 20 % ;

- subsidiairement, elle n'est débitrice d'aucune obligation solidaire sur le fondement de la responsabilité contractuelle pour les mêmes motifs que ceux développés pour la responsabilité décennale ;

- les sociétés OTCE et Yvroud doivent la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre dès lors que les désordres ont pour cause des défauts de conception et d'exécution ;

- les conclusions de la commune tendant à mettre solidairement à sa charge les dépens avec les sociétés OTCE, Yvroud et Peytavin sont redondantes avec celles relatives aux frais d'expertise liquidés ; les entiers dépens doivent rester à la charge de la commune, aucune circonstance particulière au sens de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ne justifiant le partage de ces frais entre les parties qui ne succombent pas.

Par mémoire enregistré le 13 septembre 2021, la société SAS OTCE, représentée par Me Martineu de la Selarl Berthiaud et Associés, agissant par Me Martineu, conclut au rejet de toutes les conclusions dirigées contre elle, et demande à la cour :

1°) de condamner solidairement les sociétés Yvroud, Peytavin et Bureau Alpes Contrôles à la garantir à minima à hauteur de 80% de toute condamnations mise à sa charge ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Jean-de-Maurienne ou de tout autre succombant la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les désordres n'ont pas de caractère décennal, car apparents à la réception et ne rendant pas l'ouvrage impropre à sa destination ;

- sa responsabilité contractuelle ne peut être engagée puisque le décompte général et définitif est soldé ;

- à titre subsidiaire, seuls les travaux remédiant aux désordres de la salle de spectacle peuvent être indemnisés, ceux concernant le hall étant des travaux d'amélioration à la seule charge de la commune ; le préjudice d'image allégué n'est ni justifié ni établi ;

- la condamnation ne pourra être prononcée qu'hors taxe, la commune étant susceptible de récupérer la taxe sur la valeur ajoutée ;

- la demande afférente aux frais d'avocat exposés lors des opérations d'expertise est redondante avec celle présentée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

- aucune faute dans la réalisation de ses missions ne lui est imputable dès lors que, s'agissant des désordres affectant la salle de spectacle, le mauvais positionnement des buses a pour seule origine une erreur d'exécution et que la non réalisation de tests aérauliques qu'elle avait demandés relève d'une responsabilité partagée entre l'architecte mandataire du groupement, en charge des opérations de réception et le titulaire du lot, la société Yvroud et que, s'agissant du hall et couloirs, elle n'avait pas de mission diagnostic thermique ; le Bureau Alpes Contrôles a émis un avis favorable et a validé les plans d'exécution du réseau de chauffage et de ventilation du niveau R+1 et de la salle de spectacle ; enfin, la commune conserve une part de responsabilité dans la survenance des désordres.

Par ordonnance du 24 octobre 2022, prise en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, la clôture d'instruction a été fixée au 9 novembre suivant.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le CCAG-PI 2009 issu de l'arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles publié au JORF n° 0240 du 16 octobre 2009 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Christine Psilakis, rapporteure,

- les conclusions de M. Bertrand Savouré, rapporteur public,

- et les observations de Me Ortial pour la commune de Saint-Jean-de-Maurienne, celles de Me Blanchin pour la société Peytavin et celles de Me Fleury pour la société Yvroud.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Saint-Jean-de-Maurienne a engagé la réhabilitation de son théâtre municipal. A cette fin, la maîtrise d'œuvre a été confiée à un groupement solidaire composé notamment de l'Eurl Peytavin Architecture et Scénographie, mandataire et de la société OTCE, bureau d'études structure et fluides. Les travaux du lot n° 11 " Génie climatique, Plomberie " ont été confiés à la société Sas Yvroud et le contrôle technique, à la société Bureau Alpes Contrôles. La réception a été prononcée sans réserve, le 28 mars 2014, avec effet au 25 février 2014. Le hall d'accueil, les galeries de circulation et la salle de spectacle étant insuffisamment chauffés, ou l'étant de manière non homogène, une expertise a été organisée en référé. Sur la base de ses conclusions, la commune a demandé au tribunal administratif de Grenoble la condamnation in solidum des sociétés Peytavin, OTCE, Bureau Alpes Contrôles et Yvroud au paiement de la somme de 134 375,30 euros TTC sur le fondement de leur responsabilité décennale, subsidiairement, de leur responsabilité contractuelle. Par le jugement du 16 mars 2021 dont il est relevé appel, le tribunal a rejeté la demande et mis partiellement à la charge des défendeurs les frais et honoraires d'expertise.

Sur la responsabilité décennale :

2. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans à compter de la prise d'effet de la réception, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans, dès lors que les désordres leur sont imputables, même partiellement et sauf à ce que soit établie la faute du maître d'ouvrage ou l'existence d'un cas de force majeure.

En ce qui concerne les désordres thermiques affectant le hall d'entrée et les galeries de circulation :

3. Il résulte de l'instruction, que les désordres étaient connus de la commune, qui les avait décrits et signalés à la maîtrise d'œuvre par courrier du 26 mars 2014, notifié à la société Peytavin deux jours avant le procès-verbal de réception. Le rapport d'expertise, s'il identifie la cause technique de ces désordres n'a pas révélé d'aggravation qui en aurait modifié la nature ou l'ampleur postérieurement au courrier par lequel le maître d'ouvrage les décrivait au maître d'œuvre. Les conclusions de cette mesure d'instruction ne peuvent donc être invoquées afin d'établir qu'au 28 mars 2014, le manque de chauffage ne s'était pas manifesté dans toute son ampleur. Par suite, la commune de Saint-Jean-de-Maurienne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté ses conclusions indemnitaires présentées sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs pour le désordre en cause.

En ce qui concerne les désordres thermiques affectant la salle de spectacle :

4. La circonstance qu'un ouvrage n'ait pas été réalisé conformément aux prescriptions techniques applicables au marché n'est pas suffisante pour engager la garantie décennale des constructeurs si sa solidité ou sa destination ne sont pas compromises.

5. Il résulte de l'instruction que le flux d'air provenant des buses disposées en haut de la scène ne parvient pas à atteindre le fond de la salle à cause de l'obstacle formé par une passerelle, ce qui a pour effet de soumettre les derniers rangs de sièges à une surchauffe et les sièges des premiers rangs à un retour de flux excessif provoquant une différence de température entre le haut et le bas des gradins. Si les écarts mesurés lors des opérations d'expertise au cours d'un spectacle ne sont pas conformes aux objectifs du programme de travaux, ils ne font pas obstacle au déroulement des activités artistiques du théâtre et ne compromettent ainsi pas la destination de la salle et de l'ouvrage. Par suite, la commune de Saint-Jean-de-Maurienne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté ses conclusions indemnitaires présentées sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs pour le désordre en cause.

Sur la responsabilité contractuelle des sociétés OTCE et Peytavin :

6. En premier lieu, la réception de l'ouvrage mettant fin aux rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre en ce qui concerne les prestations indissociables de la réalisation de l'ouvrage, au nombre desquelles figurent, notamment, les missions de conception de cet ouvrage, la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre ne peut plus être engagée au titre de fautes de conception. Or, l'ouvrage ayant été réceptionné le 28 mars 2014 avec effet au 25 février 2014, la commune de Saint-Jean-de-Maurienne ne peut rechercher la responsabilité contractuelle, ou délictuelle, des sociétés Peytavin et OTCE à raison des fautes de conception qu'ils auraient commises.

7. En second lieu, la responsabilité des maîtres d'œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée après réception, par exception au principe énoncé au point 6, dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des malfaçons affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves. Toutefois, cette responsabilité spécifique ne peut être engagée après la notification du décompte général du marché si celui-ci n'a pas été assorti de réserve, même si les désordres sont apparus postérieurement à l'établissement du décompte. Par ailleurs, les stipulations du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles (CCAG-PI) prévoient qu'une fois le projet de décompte transmis par le titulaire, le montant du décompte est arrêté par la personne responsable du marché mais n'impliquent pas que la validation du projet soit formalisée par une décision explicite lorsque le maître d'ouvrage auquel le titulaire a transmis son projet de décompte ne le modifie pas et procède au versement des sommes correspondantes.

8. Il résulte de l'instruction que le décompte général du marché du groupement de maitrise d'œuvre est devenu définitif après que l'entreprise Peytavin, mandataire du groupement, a fait parvenir son décompte à la commune qui a réglé le solde, le 8 juillet 2016, sans émettre de réserve susceptible d'avoir permis la survivance de la responsabilité des maîtres d'œuvre au titre des opérations de réception. Dans ces conditions, la commune de Saint-Jean-de-Maurienne, qui ne peut utilement se prévaloir de stipulations du CCAG travaux, inapplicables au contrat de maîtrise d'œuvre, pour soutenir que le décompte n'aurait pas acquis de caractère définitif, n'est pas fondée à rechercher la responsabilité contractuelle des sociétés Peytavin et OTCE pour manquement à leur devoir de conseil, et les conclusions présentées de ce chef doivent être rejetées.

9. Il résulte de ce qui précède que la commune de Saint-Jean-de-Maurienne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande d'indemnisation. Les conclusions de sa requête tendant aux mêmes fins doivent être rejetées.

Sur les dépens de première instance :

10. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise (...) / (...) ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties ". La commune étant partie perdante, aucune circonstance particulière de l'affaire ne justifie qu'elle soit exonérée, totalement ou partiellement, de la charge des dépens. Dès lors, il y a lieu de faire droit aux conclusions incidentes des sociétés Yvroud et Bureau Alpes Contrôles tendant à ce que les frais de l'expertise judiciaire liquidés à la somme de 18 071,81 euros TTC par ordonnance du 20 février 2018 ne soient pas mis à leur charge, de mettre à celle de la commune de Saint-Jean-de-Maurienne leur deux quotes-parts de 15 % et de réformer en conséquence l'article 4 du jugement attaqué.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. La commune de Saint-Jean-de-Maurienne étant partie perdante, ses conclusions doivent être rejetées. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions des sociétés intimées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Saint-Jean-de-Maurienne est rejetée.

Article 2 : Les quotes-parts de 15 % des frais et honoraires d'expertise liquidés à la somme de 18 071,81 euros TTC, mises à la charge de la société Bureau Alpes Contrôles et de la société Yvroud par le tribunal, sont mises à la charge de la commune de Saint-Jean-de-Maurienne.

Article 3 : L'article 4 du jugement n° 1908281-1908288 du 16 mars 2021 du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Saint-Jean-de-Maurienne, à la société Peytavin, à la mutuelle des architectes français, à la société Omnium technique d'études de la construction et de l'équipement en Languedoc-Roussillon, à la société Yvroud Européenne des Fluides et à la société Bureau Alpes Contrôles.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Philippe Arbaretaz, président,

Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,

Mme Christine Psilakis, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 novembre 2023.

La rapporteure,

Ch. Psilakis

Le président,

Ph. Arbaretaz

La greffière,

F. Prouteau

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Le greffier,

2

N° 21LY01527


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY01527
Date de la décision : 13/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06 Marchés et contrats administratifs. - Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Christine PSILAKIS
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : SELARL JUGE FIALAIRE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-11-13;21ly01527 ?
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