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09/11/2023 | FRANCE | N°22LY01792

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 09 novembre 2023, 22LY01792


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD) et la fédération de l'épicerie et du commerce de proximité (FECP) ont demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision implicite du 4 octobre 2020 par laquelle le préfet de Saône-et-Loire a refusé d'abroger l'arrêté n° 95-875 du 19 avril 1995 portant sur la fermeture hebdomadaire des boulangeries et points de vente de pain et d'enjoindre au préfet de Saône-et-Loire d'abroger cet arrêté dans un délai d'un mois à

compter de la notification du jugement sous astreinte de 2 000 euros par jour de r...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD) et la fédération de l'épicerie et du commerce de proximité (FECP) ont demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision implicite du 4 octobre 2020 par laquelle le préfet de Saône-et-Loire a refusé d'abroger l'arrêté n° 95-875 du 19 avril 1995 portant sur la fermeture hebdomadaire des boulangeries et points de vente de pain et d'enjoindre au préfet de Saône-et-Loire d'abroger cet arrêté dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2003304 du 12 avril 2022, le tribunal a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire enregistrés le 9 juin 2022 et le 5 avril 2023, la FCD et la FECP, représentées par Me Mihailov, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et le refus implicite du 4 octobre 2020 du préfet de Saône-et-Loire ;

2°) d'enjoindre au préfet de Saône-et-Loire d'abroger cet arrêté dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le refus implicite du préfet d'abroger l'arrêté du 19 avril 1995 est illégal dans la mesure où le préfet n'a pas répondu à la demande de communication des motifs de cette décision, alors qu'il doit justifier de l'existence d'une majorité des membres de la profession en faveur du maintien de la fermeture des établissements pour refuser, sur le fondement des articles L. 3132-29 alinéa 1 du code du travail et L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration, d'abroger l'arrêté ;

- l'arrêté du 19 avril 1995 était illégal dès son édiction puisqu'il a été adopté sur la seule base de la consultation des artisans-boulangers alors qu'il ne pouvait être pris qu'après qu'ait été obtenu l'accord de la majorité de l'ensemble des professionnels qui assurent la vente ou la distribution de pain ; l'accord sur lequel se fonde l'arrêté du 19 avril 1995 ne repose pas sur l'expression d'une majorité indiscutable de tous ceux qui exercent la profession ;

- l'arrêté du 19 avril 1995 est devenu illégal compte tenu de l'évolution depuis 1995 du marché de la distribution du pain et, en conséquence, de l'absence, désormais, d'un accord d'une majorité indiscutable des professionnels concernés sur le maintien d'une interdiction d'ouverture un jour par semaine ; le préfet ne pouvait rejeter leur demande sans consulter l'ensemble des professionnels concernés.

Par un mémoire enregistré le 28 février 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par les requérantes ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 10 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Duguit-Larcher, rapporteure ;

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Mihailov pour les requérantes ;

Considérant ce qui suit :

1. A la suite de l'accord intervenu le 11 janvier 1995 entre certains syndicats et organisations professionnelles concernés, le préfet de Saône-et-Loire a, par un arrêté du 19 avril 1995, prescrit la fermeture au public, un jour par semaine, des établissements ou parties d'établissement assurant la vente ou la distribution de pain dans le département de Saône-et-Loire. Par un courrier du 30 juillet 2020, la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD) a sollicité l'abrogation de cet arrêté. Une décision implicite de rejet est née le 4 octobre 2020. Cette fédération et la fédération de l'épicerie et du commerce de proximité (FECP) relèvent appel du jugement du 12 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande d'annulation de cette décision implicite.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration fixe le cadre : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé. (...) ".

3. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que, dans l'hypothèse où un changement de circonstances a fait cesser l'illégalité de l'acte réglementaire litigieux à la date à laquelle il statue, le juge de l'excès de pouvoir ne saurait annuler le refus de l'abroger. A l'inverse, si, à la date à laquelle il statue, l'acte réglementaire est devenu illégal en raison d'un changement de circonstances, il appartient au juge d'annuler ce refus d'abroger pour contraindre l'autorité compétente de procéder à son abrogation. Lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité de l'acte réglementaire dont l'abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision.

4. Si, dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d'abroger un acte réglementaire, la légalité des règles fixées par celui-ci, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n'en va pas de même des conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux.

5. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'ancien article L. 221-17 du code du travail, aujourd'hui repris à l'article L. 3132-29 du même code : " Lorsqu'un accord est intervenu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations d'employeurs d'une profession et d'une zone géographique déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné aux salariés, le préfet peut, par arrêté, sur la demande des syndicats intéressés, ordonner la fermeture au public des établissements de la profession ou de la zone géographique concernée pendant toute la durée de ce repos (...) ".

6. Pour l'application de ces dispositions, la fermeture au public des établissements d'une profession ne peut légalement être ordonnée sur la base d'un accord syndical que dans la mesure où cet accord correspond pour la profession à la volonté de la majorité indiscutable de tous ceux qui exercent cette profession à titre principal ou accessoire et dont l'établissement ou une partie de celui-ci est susceptible d'être fermé. L'existence de cette majorité est vérifiée lorsque les entreprises adhérentes à la ou aux organisations d'employeurs qui ont signé l'accord ou s'y sont déclarées expressément favorables exploitent la majorité des établissements exerçant effectivement l'activité en cause ou que la consultation de l'ensemble des entreprises concernées a montré que l'accord recueillait l'assentiment d'un nombre d'entreprises correspondant à la majorité de ces établissements.

7. En premier lieu, les requérants reprennent en appel le moyen tiré de ce que la décision implicite de rejet du 4 octobre 2020 serait illégale au motif que le préfet n'a pas, à la suite de la demande qui lui a été adressée en ce sens, communiqué les motifs de cette décision. Il y a lieu, et alors que la circonstance qu'une décision doive se fonder sur des motifs légaux n'implique pas l'obligation de motivation de cette décision, d'écarter ce moyen par adoption des motifs des premiers juges.

8. En deuxième lieu, les requérants reprennent également en appel le moyen tiré de ce que, à défaut de consultation de l'ensemble des professionnels concernés par la mesure de fermeture hebdomadaire, l'arrêté du 19 avril 1995, dont la procédure d'adoption a été irrégulière, était illégal dès son édiction. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs du tribunal.

9. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 19 avril 1995 a été pris par le préfet de Saône-et-Loire sur la base d'un accord intersyndical du 13 janvier 1995 conclu entre l'union départementale des boulangers de Saône-et-Loire, le syndicat des pâtissiers de Saône-et-Loire, le syndicat des bouchers-charcutiers-traiteurs et la confédération nationale des professionnels de l'automobile, d'une part, et les organisations syndicales de salariés CGT, CGT-FO et CGC, d'autre part. Cet accord a été conclu après que l'union départementale des boulangers de Saône-et-Loire a consulté les 460 artisans boulangers du département et que trois cent d'entre eux se sont prononcés en faveur d'une fermeture hebdomadaire.

10. Si les requérantes font valoir que les artisans boulangers ne représentent pas l'ensemble des professionnels concernés par cette fermeture puisque l'arrêté vise les " boulangeries, boulangeries-pâtisseries, coopératives de boulangeries, terminaux de cuisson (quelles que soient leurs appellations " points chauds ", etc...), boulangeries industrielles, grandes surfaces, dépôts et points de vente de quelque nature que ce soit ", la seule circonstance que seuls les artisans boulangers ont été consultés ne suffit pas à établir que cet accord ne correspondait pas à la volonté de la majorité indiscutable de tous ceux qui exercent cette profession à titre principal ou accessoire en l'absence de toute donnée chiffrée sur la part des autres professionnels concernés en 1995. Par suite, ils ne sont pas fondés à soutenir que le préfet était tenu d'abroger l'arrêté du 19 avril 1995 au motif que celui-ci, qui ne reposerait pas sur l'expression d'une majorité indiscutable de tous ceux qui exercent la profession, était illégal dès son édiction.

11. En dernier lieu, les requérantes font valoir que, compte tenu de l'évolution de la part de la boulangerie artisanale dans la vente de pain dans le département depuis 1995, la volonté de la majorité indiscutable des établissements concernés a nécessairement changé, de sorte que l'arrêté du 19 avril 1995 est devenu illégal. Ils produisent, à l'appui de leurs allégations, des données provenant soit de l'INSEE, soit de la base SIRENE, desquelles ils déduisent que les boulangeries sont désormais minoritaires dans la vente du pain par rapport aux autres professionnels et que l'accord de 1995, qui ne reposait que sur l'accord de 65,2 % des artisans boulangers du département ne reflète plus la majorité indiscutable de tous ceux qui exercent cette profession à titre principal ou accessoire. Toutefois, ces bases de données, qui font état de la totalité des commerces d'alimentation générale, supérettes, supermarchés, magasins multi-commerces, hypermarchés et autres commerces de détail alimentaires en magasins spécialisés, ne permettent pas de déterminer la proportion de ces établissements vendant effectivement du pain, fût-ce à titre accessoire, dont l'avis doit seul être pris en considération en application des dispositions précitées. Ainsi, au vu de ces seuls éléments, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'accord du 13 janvier 1995 ne témoignerait plus de la volonté de la majorité indiscutable des établissements concernés. Dans ces conditions, le préfet pouvait refuser de faire droit à la demande d'abrogation sans avoir préalablement procédé à une nouvelle consultation des établissements concernés, et ce alors même que l'union départementale des artisans boulangers-pâtissiers qui a été consultée ne représenterait pas l'opinion de la totalité des artisans boulangers. Par suite, les moyens tirés de ce que, d'une part, le préfet devait abroger l'arrêté du 19 avril 1995 devenu illégal à défaut de majorité indiscutable des professionnels concernés sur le maintien d'une interdiction d'ouverture un jour par semaine et, d'autre part, le préfet ne pouvait rejeter leur demande sans consulter l'ensemble des professionnels concernés doivent être écartés.

12. Il résulte de ce qui précède que la FCD et la FECD ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leur requête doit, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution et de la fédération de l'épicerie et du commerce de proximité est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la fédération des entreprises du commerce et de la distribution, à la fédération de l'épicerie et du commerce de proximité et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Copie en sera adressée au préfet de Saône-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 19 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

M. Chassagne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2023.

La rapporteure,

A. Duguit-LarcherLe président,

V-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY01792

al


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY01792
Date de la décision : 09/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-03-02-02 Travail et emploi. - Conditions de travail. - Repos hebdomadaire. - Fermeture hebdomadaire des établissements.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: Mme Agathe DUGUIT-LARCHER
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : MIHAILOV

Origine de la décision
Date de l'import : 19/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-11-09;22ly01792 ?
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