Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme E... B... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler les arrêtés du 27 avril 2023 par lesquels le préfet du Doubs a prononcé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Par jugement n° 2301237 du 12 mai 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Dijon a, dans un article 2, rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 21 juin 2023, Mme B..., représentée par Me Si Hassen, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 12 mai 2023 ainsi que les arrêtés susvisés ;
2°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes méconnaît l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entaché d'un défaut d'examen de sa situation personnelle et d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des considérants 16 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, dès lors que le père de son enfant à naître vit régulièrement en France ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du même règlement ;
- l'arrêté portant assignation à résidence est illégal en raison de l'illégalité de l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant au principe et aux modalités de l'assignation à résidence dès lors que l'Italie refuse depuis décembre 2022 les réadmissions D... et qu'elle doit se déplacer à pied.
La requête de Mme B... a été communiquée au préfet du Doubs qui n'a pas produit d'observations.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 7 juin 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante guinéenne née le 1er juin 2000, a présenté, le 13 décembre 2022, une demande d'asile. Après consultation du fichier européen dit " F... ", les autorités italiennes, saisies d'une demande de prise en charge de l'intéressée pour l'examen de sa demande d'asile en vertu de l'article 13.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'ont implicitement acceptée le 24 mars 2023. Par deux arrêtés du 27 avril 2023, le préfet du Doubs a ordonné le transfert de Mme B... aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Mme B... relève appel de l'article 2 du jugement par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.
Sur la décision portant transfert auprès des autorités italiennes :
2. Aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre A... afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
3. Aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Selon les dispositions de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
4. Il résulte des dispositions précitées de l'article 3 du règlement (UE) n°604/2013 que si un Etat membre de l'Union européenne appliquant le règlement dit " D... A... " est présumé respecter ses obligations découlant de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, cette présomption est susceptible d'être renversée en cas de défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre en cause, exposant ceux-ci à un risque de traitement inhumain ou dégradant prohibé par les stipulations de ce même article. En application des dispositions précitées du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013, il appartient au juge administratif de rechercher si, à la date d'édiction de la décision litigieuse et eu égard aux éléments produits devant lui et se rapportant à la procédure d'asile appliquée dans l'Etat membre initialement désigné comme responsable au sens de ces dispositions, il existait des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise aux autorités de ce même Etat membre du demandeur d'asile, ce dernier n'aurait pu bénéficier d'un examen effectif de sa demande d'asile, notamment en raison d'un refus opposé à tout enregistrement des demandes d'asile ou d'une incapacité structurelle à mettre en œuvre les règles afférentes à la procédure d'asile, ou si la situation générale du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile dans ce même Etat était telle qu'un renvoi à destination de ce pays aurait exposé l'intéressé, de ce seul fait, à un risque de traitement prohibé par l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
5. L'Italie est membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, complétée par le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit dès lors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de ces deux conventions internationales. En l'espèce, Mme B... soutient qu'il existe en Italie des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile. Au soutien de son moyen, l'intéressée se prévaut, d'une part, d'une circulaire datée du 5 décembre 2022 émanant du ministère de l'intérieur italien et aux termes de laquelle l'Italie suspendrait temporairement les transferts à destination de son territoire et, d'autre part, de la décision de cet Etat, intervenue en avril 2023, de déclarer " l'état d'urgence migratoire ". Toutefois, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que l'Italie aurait effectivement et depuis cette date refusé les réadmissions de demandeurs d'asile vers l'Italie permettant de conclure à l'existence de défaillances systémiques dans ce pays. En outre, ladite circulaire précise que l'obstacle à l'exécution du transfert de tels demandeurs vers l'Italie est limité dans le temps et uniquement motivé par des raisons techniques liées au fait que les structures d'accueil sont sous pression. Ces éléments ne permettent donc pas d'établir que la demande d'asile de l'intéressée ne serait pas examinée dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile et à caractériser des défaillances systémiques dans les conditions d'accueil et d'examen des demandes d'asile alors que les autorités italiennes ont implicitement accepté la prise en charge de l'intéressée postérieurement à cette circulaire ou qu'elle serait susceptible de subir personnellement des traitements inhumains ou dégradants. Dès lors, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que des dispositions des articles 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 3-2 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doivent être écartés.
6. Si Mme B... se prévaut d'un défaut d'examen particulier de sa situation et d'une erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet au regard des considérants 16 et 17 du règlement susvisé, il ressort des termes de l'arrêté en litige que le préfet du Doubs a fait état de la situation personnelle et familiale de Mme B... et notamment de sa situation de grossesse. En outre, le considérant 16 du règlement en cause ne concerne que l'hypothèse de l'existence d'un lien de dépendance entre un demandeur d'asile et son enfant, son frère, sa sœur, son père ou sa mère. Si le considérant 17 du même règlement permet que tout État membre puisse déroger aux critères de responsabilité notamment pour des motifs humanitaires et de compassion, afin de permettre le rapprochement de membres de la famille, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que l'intéressée entretiendrait avec M. C..., père de son enfant à naître, une relation stable et ancienne à la date de l'arrêté litigieux alors qu'en outre elle s'est déclarée célibataire lors de l'entretien qui s'est déroulé le 13 décembre 2022. La seule attestation non précise et non circonstanciée de M. C... faisant état de leur vie commune datée du 4 mai 2023 est insuffisante pour l'établir à défaut de produire aucune pièce corroborant ces affirmations. Mme B..., par les pièces qu'elle verse aux débats et eu égard au caractère très récent de son entrée en France, ne démontre pas y avoir fixé le centre de ses intérêts privés et familiaux. Dans ces conditions, les moyens soulevés ne peuvent qu'être écartés.
7. Mme B... se prévaut de sa situation de grossesse de quatre mois à la date de l'arrêté de transfert contesté et de son infection par le VIH nécessitant un traitement et un suivi médical à vie démontrant une situation de vulnérabilité. Toutefois, si ces éléments sont confirmés par les pièces versées au dossier, les pièces médicales produites n'établissent pas que Mme B... ne pourrait voyager sans risque vers l'Italie, notamment par transport médicalisé, ni que le suivi de sa grossesse et de sa pathologie ne pourrait être réalisé dans ce pays dans des conditions équivalentes à celles de la France et qu'elle ne pourrait y bénéficier des soins requis. Par suite, le préfet du Doubs n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en refusant de faire usage de la clause dérogatoire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
Sur la décision portant assignation à résidence :
8. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision portant assignation à résidence devrait être annulée en conséquence de l'annulation de la décision portant transfert auprès des autorités italiennes doit être écarté.
9. L'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " (...) En cas de notification d'une décision de transfert, l'assignation à résidence peut se poursuivre si l'étranger ne peut quitter immédiatement le territoire français mais que l'exécution de la décision de transfert demeure une perspective raisonnable. / L'étranger faisant l'objet d'une décision de transfert peut également être assigné à résidence en application du présent article, même s'il n'était pas assigné à résidence lorsque la décision de transfert lui a été notifiée (...) ".
10. L'accord des autorités italiennes étant valide pour une période de six mois, l'autorité préfectorale a pu légalement considérer que l'exécution de la mesure d'éloignement demeurait une perspective raisonnable et que Mme B... pouvait faire l'objet d'une assignation à résidence dès lors qu'il n'est pas établi qu'à la date de l'arrêté en litige l'Italie refusait effectivement de prendre en charge les demandeurs d'asile faisant l'objet de décisions de transfert. En outre, en se bornant à se prévaloir uniquement de son état de grossesse et du fait qu'elle doit se déplacer à pied sans autre précision, Mme B... ne conteste pas utilement les modalités de l'assignation à résidence qui lui a été notifiée consistant dans l'obligation qui lui est faite de se présenter quotidiennement, du lundi au vendredi entre 8 heures et 8 heures 30, au commissariat de police situé place Suquet à Dijon. Par suite, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation qu'aurait commise le préfet du Doubs dans la fixation des modalités de présentation de l'intéressée doit être écarté.
11. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande. Les conclusions qu'elle présente aux mêmes fins en appel doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet du Doubs.
Délibéré après l'audience du 5 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 octobre 2023.
La rapporteure,
V. Rémy-NérisLe président,
F. Bourrachot
La greffière,
A-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY02060
lc