Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société SNF a demandé au tribunal administratif de Lyon, d'une part, d'annuler la décision implicite de l'inspecteur du travail rejetant sa demande présentée par courrier du 13 juillet 2020 d'autorisation de licencier pour motif disciplinaire M. A... B..., ainsi que le rejet explicite de l'inspecteur du travail du 28 septembre 2020, ainsi que la décision implicite de la ministre du travail rejetant son recours hiérarchique contre cette décision et, d'autre part, d'annuler la décision explicite du 18 mai 2021 de la ministre du travail qui, après avoir annulé la décision de l'inspecteur du travail, a refusé d'autoriser le licenciement de M. B....
Par un jugement n° 2102820, 2105210 du 15 mars 2022, le tribunal, après avoir constaté un non-lieu à statuer sur les conclusions aux fins d'annulation des décisions de l'inspecteur du travail ainsi que sur celles dirigées contre le décision implicite du ministre, a rejeté le surplus des demandes de la société SNF.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 26 avril 2022, la société SNF, représentée par la S.C.P. Aguera avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande dirigée contre la décision explicite du 18 mai 2021 de la ministre du travail ayant refusé d'accorder l'autorisation de licencier M. B... ;
2°) d'annuler la décision explicite du 18 mai 2021 de la ministre du travail en tant qu'elle refuse d'accorder l'autorisation de licencier M. B... ;
3°) d'enjoindre à l'inspecteur du travail territorialement compétent d'autoriser le licenciement de M. B... dans le délai d'un mois de sa saisine ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans le même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la ministre ne pouvait, sans méconnaître le principe du contradictoire, opposer la prescription des faits sans en avoir informé la société SNF ;
- les faits invoqués au soutien de la demande de licenciement de M. B... n'étaient pas prescrits ;
- contrairement à ce qu'a indiqué l'inspecteur du travail, aucune double sanction n'a été appliquée à M. B... ;
- les faits reprochés à M. B..., qui ne sont pas isolés, justifiaient qu'il soit procédé à son licenciement pour faute ;
- ces faits revêtent un caractère de gravité suffisant pour motiver une mesure de licenciement ensuite du refus d'une mise à pied ;
- la procédure disciplinaire a été engagée sans lien avec l'exercice du mandat de M. B....
Par un mémoire enregistré le 6 octobre 2022, M. B..., représenté par Me Soula Michal, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de condamner la société SNF à lui verser une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société SNF ne sont pas fondés.
Le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion auquel la requête a été communiquée n'a pas présenté d'observations.
Par une ordonnance du 11 octobre 2022, l'instruction a été close au 30 novembre 2022.
Un mémoire a été produit pour la société SNF le 20 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, rapporteure ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me de La Brosse, pour la société SNF ainsi que celles de Me Magnin pour M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. A la suite de faits survenus les 6 et 7 avril 2020, la société SNF a demandé à l'inspecteur du travail, par courrier du 13 juillet 2020, reçu le 15 juillet, l'autorisation de licencier M. A... B..., délégué syndical, membre titulaire du comité social et économique. L'inspecteur du travail a implicitement le 15 septembre 2020, puis explicitement le 28 septembre rejeté cette demande. La société SNF a alors saisi la ministre du travail d'un recours hiérarchique par courrier du 10 novembre 2020 reçu le 12 novembre. Après avoir, dans un premier temps, implicitement rejeté ce recours, la ministre a, par décision du 18 mai 2021, retiré sa décision implicite, annulé la décision de l'inspecteur du travail, motif pris d'une méconnaissance par ce dernier du principe du contradictoire, puis, statuant sur la demande de la société, rejeté celle-ci. La société SNF a saisi le tribunal administratif de Lyon de demandes tendant à l'annulation de ces différentes décisions. Par jugement du 15 mars 2022, le tribunal, après avoir constaté un non-lieu à statuer sur les conclusions aux fins d'annulation des décisions de l'inspecteur du travail et de la décision implicite du ministre, a rejeté le surplus des demandes de la société SNF. La société SNF relève appel du jugement en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 18 mai 2021 de la ministre du travail refusant d'autoriser le licenciement de M. B....
Sur la légalité externe :
2. D'une part, aux termes de l'article R. 2421-4 du code du travail, " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. ". Il en résulte que, l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé doit, quel que soit le motif de la demande, procéder à une enquête contradictoire. En revanche, aucune règle ni aucun principe ne fait obligation au ministre chargé du travail, saisi d'un recours hiérarchique sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du même code, de procéder lui-même à cette enquête contradictoire. Il en va toutefois autrement si l'inspecteur du travail n'a pas lui-même respecté les obligations de l'enquête contradictoire et que, par suite, le ministre annule sa décision et statue lui-même sur la demande d'autorisation. Le caractère contradictoire de cette enquête impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné. Il implique également de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris des témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation.
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 (...) sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 122-1 de ce code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. (...) ". Il résulte de ces dispositions combinées que, dans le cadre de l'examen d'un recours administratif, une décision procédant au retrait d'un acte créateur de droits ne peut intervenir légalement que si l'intéressé, lorsqu'il n'est pas l'auteur du recours, a été mis à même de présenter des observations écrites et le cas échéant, sur sa demande, des observations orales.
4. S'il est vrai que la ministre du travail a annulé la décision de l'inspecteur du travail par le motif que ce dernier n'avait pas respecté la procédure contradictoire, et qu'elle devait, en conséquence, procéder elle-même à l'enquête contradictoire prévue à l'article R. 2421-4 du code du travail, il ressort des pièces du dossier, et n'est pas contesté, qu'une telle enquête a eu lieu. L'objet de cette enquête étant de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qui ont été recueillis, y compris les témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation, la ministre n'était pas tenue, dans ce cadre, d'informer l'employeur qu'elle envisageait d'opposer à sa demande d'autorisation de licenciement la prescription des faits reprochés au salarié. Par ailleurs, la ministre n'était pas non plus tenue d'informer, par application des dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration, la société SNF, qui était l'auteur du recours administratif, de la mesure qu'elle envisageait de prendre et des motifs sur lesquels elle entendait se fonder. Par suite, le moyen tiré de ce que la ministre ne pouvait, sans méconnaître le principe du contradictoire, opposer la prescription de l'engagement des poursuites sans en avoir préalablement informé la société SNF, doit être écarté.
Sur la légalité interne :
5. Aux termes de l'article L. 1332-2 du code du travail : " Lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l'objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n'ayant pas d'incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié. / (...) Au cours de l'entretien, l'employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié. / La sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d'un mois après le jour fixé pour l'entretien. Elle est motivée et notifiée à l'intéressé ". Aux termes de l'article L. 1332-4 de ce code : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ". Il résulte de ces dispositions que l'engagement des poursuites disciplinaires par l'envoi au salarié de la lettre le convoquant à l'entretien préalable interrompt le délai de prescription de deux mois qu'elles prévoient.
6. Pour refuser d'accorder à la société SNF l'autorisation de licencier M. B..., la ministre du travail s'est fondée sur le motif tiré de ce que les faits reprochés à M. B..., consistant pour ce dernier à avoir fait obstacle, le 6 avril 2020, à la tenue d'un conseil d'administration et tenté, le 7 avril 2020, de participer à une inspection menée au sein de l'entreprise par la DREAL, qui avaient fait l'objet d'une précédente procédure disciplinaire à laquelle son employeur avait renoncé, étaient prescrits lorsque la société SNF l'a convoqué le 12 juin 2020 à un entretien de licenciement.
7. Il ressort des pièces du dossier que par courrier du 28 avril 2020 la société SNF a convoqué M. B... à un entretien disciplinaire prévu le 11 mai 2020. A la suite de la tenue de cet entretien, la société a notifié le 15 mai 2020 à M. B... une mise à pied disciplinaire de trois jours du 9 au 11 juin 2020. La société avait demandé à M. B... de donner son accord exprès et écrit avant le 25 mai 2020 sur cette sanction, en précisant que sans réponse ou en cas de refus dans le délai imparti, elle envisagerait son licenciement. Puis la société a reporté à trois reprises le délai dans lequel l'intéressé devait lui notifier son accord pour finalement retenir la date du 11 juin. Elle a repoussé la période de mise à pied disciplinaire qui devait avoir lieu, en dernier lieu, du 24 au 26 juin 2020. Par courriers des 10 et 11 juin, M. B... a contesté les faits qui lui étaient reprochés, indiqué qu'il s'opposait à la mesure de licenciement et précisé que la sanction qui allait lui être appliquée du 24 au 26 juin n'était pas légitime. La société SNF a adressé le 12 juin 2020 à M. B... une convocation pour un nouvel entretien le 23 juin 2020 en vue de son licenciement.
8. Si la société SNF a valablement engagé des poursuites disciplinaires à l'encontre de M. B..., dans le délai prévu à l'article L. 1332-4 du code du travail, en lui envoyant le 28 avril 2020 une convocation pour un entretien le 11 mai 2020, elle a, à la suite de cet entretien, et dans le délai prévu à l'article L. 1332-2 du code du travail, notifié à M. B... une mise à pied disciplinaire de trois jours. Contrairement à ce que fait valoir la société, une telle mesure ne constitue pas une modification du contrat de travail du salarié nécessitant l'accord de ce dernier. La société SNF ne peut en conséquence utilement faire valoir que les courriers qu'elle a adressés à l'intéressé pour obtenir son accord sur cette sanction ont interrompu la procédure en cours et qu'elle pouvait la poursuivre, après le refus du salarié de modifier son contrat de travail, en le convoquant à un entretien de licenciement. La convocation adressée à M. B... le 12 juin 2020, qui concernait les mêmes faits, constituait, comme l'a indiqué la ministre, l'engagement au-delà du délai prévu par l'article L. 1332-4 du code du travail, de nouvelles poursuites disciplinaires à l'encontre de M. B... pour des faits qui étaient, en conséquence, prescrits.
9. Il résulte de ce qui précède que la société SNF n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande. Sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la société SNF la somme de 1 500 euros à verser à M. B....
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société SNF est rejetée.
Article 2 : La société SNF versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société SNF, au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 5 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2023.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V.-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier,
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N° 22LY01238
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