Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler la délibération du 23 juin 2018 par laquelle le conseil municipal de la commune de Ségur-les-Villas a refusé de faire droit à sa demande d'attribution de terres agricoles du domaine privé de la commune.
Par un jugement n°1801427 du 31 décembre 2020, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé cette délibération et enjoint au conseil municipal de la commune de Ségur-les-Villas de réexaminer la demande de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 3 mars 2021, et un mémoire en réplique, enregistré le 29 septembre 2022, la commune de Ségur-les-Villas, représentée par Me Maisonneuve, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 31 décembre 2020 ;
2°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de première instance était irrecevable dès lors que la décision attaquée était confirmative de précédentes décisions de rejet ;
- en réservant l'attribution des terres aux exploitants agricoles affiliés à la MSA, le conseil municipal n'a pas rajouté une condition illégale à la loi mais a fait une exacte application des dispositions qui imposent aux exploitants agricoles de cotiser au régime d'assurance obligatoire ;
- le requérant ne justifie pas de son statut d'exploitant ;
- les moyens de première instance devront être écartés ;
- elle justifie d'un motif légal pour rejeter la demande de M. B... dès lors que les parcelles dont celui-ci sollicite l'attribution à titre individuel sont exploitées par des exploitants agricoles de la commune dans le cadre d'estives collectives et ne peuvent faire l'objet d'allotissement individuel ; au surplus, M. B... ne réalise pas une installation en bénéficiant de la dotation d'installation aux jeunes agriculteurs et ne démontre pas relever du rang 2, à savoir un exploitant de la commune répondant aux conditions de capacité professionnelle et de superficie visées à l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 6 juillet 2021 et 10 octobre 2022, M. B..., représenté par Me Riquier, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune de Ségur-les-Villas une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la requête est irrecevable dès lors qu'elle est tardive ;
- les moyens présentés par la requérante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 10 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 28 octobre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,
- et les observations de Me Goutille, représentant la commune de Ségur-les-Villas.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., habitant de la commune de Ségur-les-Villas (Cantal), par ailleurs agent de la communauté de communes " Hautes Terres ", a sollicité à plusieurs reprises de la part du conseil municipal l'attribution de terres à vocation agricole ou pastorale du domaine privé de la commune, en application de l'article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime. Il a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand l'annulation de la délibération du 23 juin 2018 par laquelle cette attribution lui a été refusée, en dernier lieu en réponse au courrier qu'il a présenté le 23 mai 2018, au motif que l'attribution de terres à vocation agricoles et pastorales était réservée aux agriculteurs ayant la qualité d'exploitant agricole au regard de l'affiliation à la mutualité sociale agricole (MSA). La commune de Ségur-les-Villas relève appel du jugement de ce tribunal ayant annulé cette délibération et enjoint à son conseil municipal de réexaminer la demande de M. B....
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Il ressort des pièces du dossier que par décisions des 6 décembre 2017 et 10 janvier 2018 dont M. B... fait valoir, sans être contesté, qu'elles lui ont pas été notifiées, la commune a refusé à ce dernier l'attribution de terres agricoles de son territoire au motif notamment qu'il n'avait pas produit d'autorisation d'exploiter. Par un courrier du 12 mai 2018, M. B... a renouvelé sa demande, faisant valoir à cette occasion un élément de fait nouveau résultant de l'obtention, à partir du 10 mai 2018, d'une autorisation d'exploiter délivrée par le préfet du Cantal portant sur les terres sollicitées. Dès lors, la commune n'est pas fondée à soutenir que les circonstances de fait et de droit seraient demeurées inchangées et que sa délibération du 23 juin 2018 constituerait une simple décision confirmative de ses précédentes décisions de rejet, insusceptible de recours, alors en outre que l'absence d'autorisation d'exploiter constituait l'un des motifs des refus précédemment opposés à M. B.... La circonstance que l'autorisation d'exploiter ne constitue pas une condition d'attribution des terres est sans incidence sur l'absence de caractère confirmatif de la décision en litige. Par suite, la fin de non-recevoir de la demande de première instance opposée par la commune de Ségur-les-Villas doit être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. D'une part, aux termes de L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime, relatif au contrat de bail rural : " Lorsque le bailleur est une personne morale de droit public, le bail peut être conclu soit à l'amiable, soit par voie d'adjudication. / (...) Quel que soit le mode de conclusion du bail, une priorité est réservée aux exploitants qui réalisent une installation en bénéficiant de la dotation d'installation aux jeunes agriculteurs ou, à défaut, aux exploitants de la commune répondant aux conditions de capacité professionnelle et de superficie visées à l'article L331-2 du présent code, ainsi qu'à leurs groupements (...) ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque le propriétaire de terres agricoles destinées à être données à bail est une personne morale de droit public, l'organe délibérant, en présence de plusieurs demandes concurrentes d'attribution du bail, doit procéder à un choix en respectant les procédures et l'ordre de priorité qu'elles prévoient. Lorsqu'aucune demande n'émane d'un jeune agriculteur qui réalise une installation, la priorité doit être réservée aux exploitants de la commune de situation des terres répondant à des conditions de capacité professionnelle et de superficie.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 722-4 du code rural et de la pêche maritime, figurant au titre II du livre VII du code, relatif à l'organisation générale des régime de protection sociale des professions agricoles : " Sont assujettis, dans les conditions fixées par le présent titre et le titre III du présent livre, au régime de protection sociale des non-salariés des professions agricoles : / 1° Les chefs d'exploitation ou d'entreprise mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 722-1 sous réserve qu'ils dirigent une exploitation ou une entreprise d'une importance au moins égale ou équivalente à celle définie à l'article L. 722-5 (...) ". L'article R. 725-5 du même code prévoit que les caisses de mutualité agricole recouvrent les cotisations dues au titre des régimes de protection sociale agricole.
5. En premier lieu, s'il résulte de ces dernières dispositions que tout exploitant agricole est tenu de cotiser au régime légal de sécurité sociale obligatoire institué par le code rural et de la pêche maritime, une telle affiliation ne constitue pas, contrairement à ce que la commune appelante soutient, une condition à la conclusion d'un bail rural au sens de l'article L. 411-15 du même code. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal a estimé qu'en fondant sa décision de refus sur la seule circonstance que M. B..., qui établit sa qualité d'exploitant agricole, n'était pas affilié à la mutuelle sociale agricole (MSA), le conseil municipal de la commune de Ségur-les-Villas avait commis une erreur de droit et a annulé la délibération du 23 juin 2018.
6. En outre, la commune n'est pas davantage fondée, alors d'ailleurs qu'elle n'avait pas opposé un tel motif par la délibération en litige, à soutenir que M. B... ne justifierait pas de son statut d'exploitant agricole au sens de l'article L. 311-1 du code précité selon lequel : " Sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation ". Il ressort en effet des pièces du dossier que s'il n'est pas affilié à la MSA en raison de son statut de travailleur pluriactif, M. B... a produit des numéros de SIRET et SIREN à son nom concernant une société d'élevage, son relevé d'exploitation établi par la MSA faisant état de 5 ha 47 a et 24 ca exploités sur le territoire de la commune de Ségur-les-Villas et une autorisation d'exploiter délivrée par le préfet du Cantal au vu notamment de sa qualité d'exploitant agricole.
7. En deuxième lieu, la commune demande qu'il soit fait droit à une substitution de motifs en exposant, d'une part, que les surfaces dont M. B... sollicite l'attribution sont classées en trame verte et bleue et réservées aux estives collectives, et ne pouvaient ainsi faire l'objet d'un allotissement individuel, d'autre part, que ce dernier ne démontrait pas relever du deuxième rang dans l'ordre de priorité établi par l'article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime. Toutefois, l'appelante se borne à se référer à la délibération du 16 mars 2016 produite en première instance, selon laquelle une estive collective est mise en place " pour la saison 2016 " à la suite du décès d'un agriculteur, sans se prononcer sur les années suivantes, ainsi qu'à des justificatifs de règlements de cotisations à l'association " Auvergne Estives " pour les années 2017 et 2018, l'ensemble de ces éléments étant insuffisants pour établir l'existence d'estives collectives sur les terres sollicitées à la date de la décision en cause. En outre, ainsi que le tribunal l'a relevé, il ne ressort pas des pièces du dossier que des demandes concurrentes à celle de M. B... auraient été présentées pour l'attribution des terres en litige, circonstance que la requérante ne critique pas en appel, de sorte qu'aucun rang de priorité, tel que prévu par l'article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime, ne pouvait être opposé à M. B.... Par suite, une telle demande de substitution de motifs ne peut être accueillie.
8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par M. B... en défense tirée de la tardiveté de la requête d'appel, la commune de Ségur-les-Villas n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé la délibération du 23 juin 2018 refusant l'attribution de terres à M. B....
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, la somme que la commune de Ségur-les-Villas demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune une somme de 1 500 euros à verser à M. B... sur le fondement de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Ségur-les-Villas est rejetée.
Article 2 : La commune de Ségur-les-Villas versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Ségur-les-Villas et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 26 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2023.
La rapporteure,
Emilie FelmyLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au préfet du Cantal en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 21LY00661