Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SA Eralda a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos le 31 décembre 2013, le 31 décembre 2014 et le 31 décembre 2015 ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015.
Par un jugement n° 2006179 du 15 mars 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 13 mai 2022, la SA Eralda, représentée par Me Sastre, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 15 mars 2022 ;
2°) de la décharger des impositions et pénalités susmentionnées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration a la charge de la preuve, dès lors que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a émis un avis défavorable au rehaussement ;
- Elle a toujours eu l'intention de louer le catamaran.
Par un mémoire enregistré le 15 décembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure et les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique,
Considérant ce qui suit :
1. La SA Eralda, société holding, dont M. A... est président et associé, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, à l'issue de laquelle, l'administration a réintégré dans ses résultats, les sommes correspondant à la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée sur l'achat d'un catamaran et les dépenses relatives à celui-ci, et en matière d'impôt sur les sociétés, la déduction des amortissements et des dépenses relatives à ce bateau. Par une proposition de rectification du 14 décembre 2016, l'administration a notifié à la SA Eralda des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos le 31 décembre 2013, le 31 décembre 2014 et le 31 décembre 2015, ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015. La SA Eralda relève appel du jugement du 15 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et des pénalités dont elles ont été assorties.
Sur les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés :
2. D'une part, aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature (...) 5. Sont également déductibles les dépenses suivantes : (...) c. Les dépenses et charges afférentes aux véhicules et autres biens dont elles peuvent disposer en dehors des locaux professionnels ;(...) 2° Sauf s'ils sont pratiqués par une copropriété de navires, une copropriété de cheval de course ou d'étalon, les amortissements réellement effectués par l'entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d'après les usages de chaque nature d'industrie, de commerce ou d'exploitation et compte tenu des dispositions de l'article 39 A, sous réserve des dispositions de l'article 39 B. (...) Les dépenses ci-dessus énumérées peuvent également être réintégrées dans les bénéfices imposables dans la mesure où elles sont excessives et où la preuve n'a pas été apportée qu'elles ont été engagées dans l'intérêt direct de l'entreprise (...) ".
3. En vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des créances de tiers, amortissements, provisions et charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. En ce qui concerne les charges, le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'un redressement, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou le redressement est soumis au juge. / Elle incombe également au contribuable à défaut de comptabilité ou de pièces en tenant lieu, comme en cas de taxation d'office à l'issue d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle en application des dispositions des articles L. 16 et L. 69 ".
5. En adoptant le premier alinéa de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, éclairé, au demeurant, par les travaux préparatoires auxquels celui-ci a donné lieu, le législateur a seulement entendu mettre fin, sous réserve du cas prévu au deuxième alinéa du même article, à l'état du droit antérieur sous l'empire duquel l'avis rendu par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur les chiffres d'affaires avait pour effet, s'il était favorable à l'administration fiscale, d'attribuer au contribuable la charge d'une preuve que l'intéressé n'aurait pas supportée en l'absence de saisine de cette commission et n'a pas entendu déroger aux principes généraux ci-dessus énoncés en exigeant de l'administration fiscale qu'elle justifie qu'une charge n'est pas déductible dans son principe, dès lors que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur les chiffres d'affaires, saisie, a rendu un avis favorable au contribuable.
6. Il résulte de l'instruction que la SA Eralda qui exerçait jusqu'alors une activité de détention et de gestion de portefeuilles de participations au sein de sociétés commerciales, industrielles ou civiles a modifié, le 15 juin 2012, son objet social pour y inclure l'achat et la gestion de tous biens immobiliers et mobiliers. Cette société a acquis un catamaran, dénommé Eralda, qu'elle a inscrit à l'actif de son bilan. A l'issue des opérations de contrôle dont la SA Eralda a fait l'objet, l'administration a estimé que cette société n'a pas exercé effectivement, ni eu l'intention d'exercer dès l'acquisition du bien, une activité économique de location de bateau destinée au transport de personne, à titre habituel. En conséquence, l'administration, après avoir considéré que le catamaran n'avait pas été offert en location au cours des exercices vérifiés, n'a admis aucune charge en déduction du bénéfice imposable dans les résultats de la société. Pour ce faire, l'administration s'est notamment fondée sur l'absence de contrat en particulier avec la société Thalassa Cup en vue de la location de ce bateau, sur l'imprécision des mails produits par M. A... à des tiers concernant les conditions de location de ce bateau, sur le fait que l'attestation de garantie du bateau est au nom de M. A... et non de la société, sur le fait que le contrat d'assurance souscrit ne prévoit pas de location du bateau à titre professionnel, sur la circonstance que le site internet créé ne mentionne aucun élément concernant la possibilité et les conditions de location du bateau, sur le fait que la présence du bateau à deux salons nautiques ne constitue pas une action de publicité suffisante, et sur la circonstance qu'il n'était pas établi que des dysfonctionnements auraient empêché le bateau de naviguer.
7. Pour justifier de la mise en location du bien en litige par l'intermédiaire de la société Thalassa Cup, la requérante se prévaut à nouveau en appel d'une attestation établie le 7 novembre 2016 par le gérant de cette société qui indique qu'à " ce jour, il n'y pas eu de contrat de location ", mais simplement un contrat oral avec M. A..., passé en raison d'une relation amicale qui les liait et au terme duquel sa société était chargée de " procéder aux visites des éventuels clients et de fournir les équipages pour assurer les locations ". Toutefois, ce document qui ne mentionne aucune date en ce qui concerne la conclusion de ce contrat oral ne suffit pas à établir que le bateau faisait l'objet d'une mise en location au titre de la période vérifiée. De même, si la requérante produit une photo du bateau à quai à son port d'attache à Port-Camargue sur lequel se trouve affichée une pancarte mentionnant qu'il était en location, cette photo a été prise le 17 février 2016, soit à une date postérieure à la période vérifiée, alors que l'administration a indiqué sans être contredite que le site internet de la société Thalassa Cup ne mentionnait pour cette période aucune possibilité de louer ce bien. A ce titre, les échanges de courriels produits entre M. A... et le gérant de la société Thalassa Cup qui permettent d'envisager, dès le 29 décembre 2014, la possibilité d'une mise en location du bateau par l'intermédiaire de cette société, ainsi qu'une fourchette de prix compte tenu du public visé, ne précisent en rien la nature et le coût des prestations attendues de la part de cette société. De même, aucun des autres mails échangés entre M. A... par le biais de sa messagerie personnelle et des tiers, qui évoquent sans aucune autre précision la possibilité de louer le bateau, ne permettent d'établir l'intention et l'existence d'une mise en location du bien au cours de la période vérifiée. Une telle intention ne ressort pas plus de la création d'un site internet dédié au bateau qui ne précise rien sur la possibilité de sa location ou de la présentation de ce bien à deux salons nautiques, ou de la passation d'un contrat d'assurance signé par la SA Eralda le 29 avril 2014 qui se limite à mentionner un usage de " location avec skipper moins de 3 mois " sans prévoir clairement la possibilité d'une mise en location à titre professionnel. Compte tenu des éléments rappelés ci-dessus qui permettent d'établir que la SA Eralda n'a pas exercé à titre habituel une activité économique de location de bateau, l'administration était fondée à réintégrer dans les résultats de la société, les déductions litigieuses.
Sur les rappels de taxe sur la valeur ajoutée :
8. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable. Toutefois, les personnes qui effectuent des opérations occasionnelles soumises à la taxe sur la valeur ajoutée n'exercent le droit à déduction qu'au moment de la livraison. (...) ". Aux termes de l'article 205 de l'annexe II au code général des impôts : " La taxe sur la valeur ajoutée grevant un bien ou un service qu'un assujetti à cette taxe acquiert, importe ou se livre à lui-même est déductible à proportion de son coefficient de déduction. ". Aux termes de l'article 206 de l'annexe II au même code : " I. - Le coefficient de déduction mentionné à l'article 205 est égal au produit des coefficients d'assujettissement, de taxation et d'admission. (...) / IV. - 1. Le coefficient d'admission d'un bien ou d'un service est égal à l'unité, sauf dans les cas décrits aux 2 à 4. 2. / Le coefficient d'admission est nul dans les cas suivants : / (...) 6° Pour les véhicules ou engins, quelle que soit leur nature, conçus pour transporter des personnes ou à usages mixtes, à l'exception de ceux : (...) ; b. Donnés en location ; (...) ; ".
9. En vertu des dispositions précitées du b) du 6°) du 2 du IV de l'article 206 de l'annexe II au code général des impôts, le coefficient d'admission d'un bien ou d'un service est nul pour les véhicules ou engins, quelle que soit leur nature, conçus pour transporter des personnes ou à usage mixte, à l'exception de ceux donnés en location.
10. Il résulte de l'instruction que lors des opérations de contrôle, le vérificateur a remis en cause, sur le fondement des dispositions précitées, le caractère déductible de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les dépenses correspondant à l'achat et aux dépenses relatives au catamaran. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, ce bateau ne peut être regardé comme ayant été donné en location au sens du b du 6° du IV de l'article 206 de l'annexe II au code général des impôts et l'administration était fondée à estimer que la taxe grevant son acquisition et son entretien, dont le coefficient d'admission est nul, n'était pas déductible.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la SA Eralda n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence doivent être rejetées ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SA Eralda est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Eralda et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 21 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 octobre 2023.
La rapporteure,
P. Dèche
Le président,
F. Bourrachot,
La greffière,
A-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 22LY01504
lc