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27/09/2023 | FRANCE | N°21LY01861

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 27 septembre 2023, 21LY01861


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M A... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand : 1°) d'ordonner une expertise médicale avant-dire-droit ; 2°) de condamner la commune de Pontgibaud à lui verser une provision de 5 000 euros ; 3°) en tout état de cause, de condamner la commune de Pontgibaud à lui verser des dommages et intérêts dont le montant sera précisé au vu du rapport de l'expert judiciaire ; 4°) de mettre à la charge de la commune de Pontgibaud une somme de 2 500 euros au profit de Me Dauguen en application des

dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M A... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand : 1°) d'ordonner une expertise médicale avant-dire-droit ; 2°) de condamner la commune de Pontgibaud à lui verser une provision de 5 000 euros ; 3°) en tout état de cause, de condamner la commune de Pontgibaud à lui verser des dommages et intérêts dont le montant sera précisé au vu du rapport de l'expert judiciaire ; 4°) de mettre à la charge de la commune de Pontgibaud une somme de 2 500 euros au profit de Me Dauguen en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 1900122 du 8 avril 2021, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête des mémoires, enregistrés les 7 juin 2021, 18 mai 2022 et 16 juin 2023, M. B..., représenté par Me Daugen, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 8 avril 2021 ;

2°) d'ordonner une expertise médicale avant-dire-droit ou, subsidiairement, de condamner la commune de Pontgibaud à lui verser une indemnité de 162 635,14 euros ;

3°) de condamner la commune de Pontgibaud à lui verser une provision de 5 000 euros ;

4°) de condamner la commune de Pontgibaud à lui verser des dommages et intérêts dont le montant sera précisé au vu du rapport de l'expert judiciaire ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Pontgibaud une somme de 2 500 euros au profit de Me Dauguen en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- il démontre par les attestations produites son surmenage et le non-respect de la réglementation applicable en matière d'organisation et de temps de travail ;

- le lien de causalité entre le surmenage et sa dépression est également prouvé par les pièces versées au débat ;

- il est fondé à réclamer une indemnité de 15 000 euros au titre du préjudice moral et 147 635,14 euros au titre du préjudice financier.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 juillet 2021, 12 mai 2023 non communiqué et 28 juillet 2023, la commune de Pontgibaud, représentée par la SELARL DMMJB AVOCATS, agissant par Me Martins da Silva, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge du requérant en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête d'appel est irrecevable, faute de satisfaire aux exigences de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;

- le requérant ne l'a pas saisie préalablement d'une demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de l'affection dont il est atteint ;

- la demande indemnitaire est prescrite ;

- la demande d'expertise est dépourvue de toute utilité ;

- la demande de provision doit être rejetée en présence d'une obligation sérieusement contestable ;

- les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Par une décision du 11 août 2021, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé une aide juridictionnelle partielle à M. B.... Le recours de M. B... contre cette décision a été rejeté par une ordonnance du président de la cour le 16 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;

- le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature ;

- le décret n° 2001-623 du 12 juillet 2001 pris pour l'application de l'article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale ;

- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 2011 pris pour son application ;

- le code général de la fonction publique ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère ;

- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;

- et les observations de Me Martins Da Silva pour la commune de Pontgibaud.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., adjoint technique territorial, a été recruté par délibération du 1er février 2008 du conseil municipal de la commune de Pontgibaud, pour assurer l'entretien du camping municipal et de ses installations techniques ainsi que gérer l'accueil au sein de celui-ci. Il a été placé en congé de maladie à compter du 28 mars 2014, puis en congé de longue durée à compter du 28 mars 2017. Le 30 octobre 2018, il a présenté une demande préalable indemnitaire en vue de la réparation de divers préjudices qu'il estime avoir subis en raison de la durée excessive de son temps de travail, responsable selon lui de ses problèmes de santé. Cette demande a fait l'objet d'une décision expresse de rejet, dont M. B... a accusé réception le 23 novembre 2018. Il relève appel du jugement du 8 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à désigner un expert médical avant-dire-droit, condamner la commune de Pontgibaud à lui verser une provision de 5 000 euros ainsi que des dommages et intérêts.

Sur la recevabilité de la requête :

2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. (...) ".

3. La requête d'appel ne constitue pas la seule reproduction littérale des écritures de première instance et comporte une critique du jugement attaqué. La fin de non-recevoir tirée d'une insuffisante motivation de la requête doit ainsi être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. Aux termes de l'article 7-1 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 611-2 du code général de la fonction publique : " Les règles relatives à la définition, à la durée et à l'aménagement du temps de travail des agents des collectivités territoriales (...) sont fixées par la collectivité (...), dans les limites applicables aux agents de l'État, en tenant compte de la spécificité des missions exercées par ces collectivités ou établissements. / Un décret en Conseil d'État détermine les conditions d'application du premier alinéa. (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret du 12 juillet 2001 pris pour l'application de l'article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale : " Les règles relatives à la définition, à la durée et à l'aménagement du temps de travail applicables aux agents des collectivités territoriales sont déterminées dans les conditions prévues par le décret du 25 août 2000 (...) ". L'article 1er du décret du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'État et dans la magistrature dispose que : " La durée du travail effectif est fixée à trente-cinq heures par semaine dans les services et établissements publics administratifs de l'État ainsi que dans les établissements publics locaux d'enseignement. / Le décompte du temps de travail est réalisé sur la base d'une durée annuelle de travail effectif de 1 607 heures maximum, sans préjudice des heures supplémentaires susceptibles d'être effectuées (...) ". Aux termes de l'article 3 du décret du 25 août 2000 susvisé : " I.- L'organisation du travail doit respecter les garanties minimales ci-après définies. La durée hebdomadaire du travail effectif, heures supplémentaires comprises, ne peut excéder ni quarante-huit heures au cours d'une même semaine, ni quarante-quatre heures en moyenne sur une période quelconque de douze semaines consécutives et le repos hebdomadaire, comprenant en principe le dimanche, ne peut être inférieur à trente-cinq heures. La durée quotidienne du travail ne peut excéder dix heures. Les agents bénéficient d'un repos minimum quotidien de onze heures. L'amplitude maximale de la journée de travail est fixée à douze heures. (...) ".

5. Le dépassement de la durée maximale de travail prévue tant par le droit de l'Union européenne que par le droit national est susceptible de porter atteinte à la sécurité et à la santé des travailleurs intéressés en ce qu'il les prive du repos auquel ils ont droit et peut leur causer, de ce seul fait, un préjudice indépendamment de leurs conditions de rémunération ou d'hébergement.

6. Contrairement à ce qu'il persiste à soutenir en appel, M. B... n'était pas le seul agent à travailler au camping municipal pendant la période d'accueil du public entre le 15 avril et le 30 septembre. Il résulte cependant de l'attestation du maire de de Pontgibaud que M. B... assurant personnellement l'accueil des touristes et la facturation des séjours, " sa présence est requise en permanence, dimanches et jours fériés compris, pendant cette période ". Il ne résulte pas de l'instruction que le conseil municipal de Pontgibaud aurait adopté une délibération fixant des équivalences en matière de durée du travail ou définissant des modalités particulières de prise en compte du travail de nuit, ou du travail effectué les dimanches et les jours fériés. Dans ces conditions, et alors qu'au sens des dispositions de l'article 3 du décret du 25 août 2000, les périodes de travail effectif correspondent aux périodes durant lesquelles les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles, il est constant que M. B... a été amené à travailler plus de quarante-huit heures hebdomadaires, pour une durée quotidienne excédant dix heures, sans bénéficier de journée de repos hebdomadaire et d'un repos quotidien de onze heures, dès lors qu'il ne pouvait librement vaquer à ses occupations personnelles lorsqu'il assurait ses tâches de gestion du camping municipal.

7. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que, celle-ci ayant méconnu les prescriptions relatives au temps de travail citées au point 4, la commune de Pontgibaud a commis une illégalité fautive.

8. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. Sont prescrits, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public ". La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère définitif doit être rattachée à l'année au cours de laquelle son importance et son étendue ont pu être déterminées.

9. M. B... indique que la surcharge de travail à laquelle il a été soumis par la commune de Pontgibaud pendant plusieurs années est à l'origine de la dégradation de son état de santé et de son placement en congé maladie à partir du 28 mars 2014. Le requérant, hospitalisé pour épisode dépressif, a été placé en congé de longue durée à compter du 28 mars 2017, puis admis à la retraite pour invalidité, à compter du 4 mai 2019. Il résulte de l'instruction que les préjudices dont M. B... demande réparation, ne pouvaient être exactement mesurés ni à la date à laquelle il a saisi le tribunal administratif, en sollicitant au demeurant une expertise, ni a fortiori celle à laquelle il a adressé à la commune de Pontgibaud une demande indemnitaire préalable ainsi que le versement d'une provision d'un montant de 5 000 euros. Dans ces conditions, la commune de Pontgibaud ne saurait sérieusement soutenir que la créance serait prescrite.

10. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence subis par le requérant en lui allouant à ce titre la somme globale de 3 000 euros, tous intérêts échus.

11. Il est constant que, comme l'a opposé la commune de Pontgibaud, l'intéressé n'a jamais présenté de demande tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service de l'affection dont il est atteint. Dans la présente instance, l'intéressé ne démontre pas, par les seules pièces médicales qu'il produit, en quoi sa pathologie présenterait un lien direct avec la faute commise. Par voie de conséquence, la réalité du préjudice financier subi par le requérant en conséquence de l'arrêt de son activité, en lien avec la faute commise, n'est pas davantage démontrée.

12. Le présent arrêt statuant sur les droits de M. B..., ses conclusions tendant à ce que la commune de Pontgibaud soit condamnée à lui verser une provision sont devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.

13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner avant dire droit une expertise médicale, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande, et qu'il y a lieu de seulement condamner la commune de Pontgibaud à lui verser la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi du fait du dépassement de la durée maximale de travail.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Pontgibaud le versement d'une somme de 2 000 euros à Me Dauguen, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, dont les dispositions s'opposent à ce qu'il soit fait droit à la demande présentée par la commune de Pontgibaud au même titre, dès lors que cette dernière est la partie perdante à la présente instance.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 8 avril 2021 est annulé.

Article 2 : La commune de Pontgibaud versera à M. B... une somme de 3 000 euros, tous intérêts échus, au titre des troubles dans les conditions d'existence.

Article 3 : La commune de Pontgibaud versera à Me Dauguen une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la commune de Pontgibaud.

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 septembre 2023.

La rapporteure,

Bénédicte LordonnéLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Michèle Daval

La République mande et ordonne au préfet du Puy-de-Dôme en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY01861


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY01861
Date de la décision : 27/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. - Contentieux de la fonction publique. - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Bénédicte LORDONNE
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : DMMJB AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-09-27;21ly01861 ?
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