Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 28 février 2023 par lequel la préfète du Rhône a ordonné sa remise aux autorités allemandes aux fins d'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2301429 du 17 mars 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 15 mai 2023, M. A..., représenté par Me Huard, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 17 mars 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté susmentionné du 28 février 2023 ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Rhône d'enregistrer sa demande d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en l'absence de nécessité explicitée et de mention des diligences accomplies pour obtenir la présence de l'interprète à l'entretien, le recours à un interprète par téléphone est illégal ;
- l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- l'accord explicite de l'Allemagne devra être produit ;
- l'arrêté n'indique pas sur quel alinéa de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013 il est fondé ;
- les délais de trois et deux mois prévus par l'article 21 de ce même règlement n'ont pas été respectés ;
- il n'est pas justifié de la qualification requise par la personne ayant exercé les fonctions d'interprète ;
- les informations prévues par l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 ne lui ont pas été délivrées ;
- le caractère contradictoire de la procédure a été méconnu ;
- la notification de la décision ne contient pas toutes les mentions requises par l'article 2 62°) du règlement ;
- l'entretien n'a pas été mené dans le respect de l'article 5 du règlement.
Par un mémoire enregistré le 9 juin 2023, la préfète du Rhône conclut au rejet de la requête.
Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 avril 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative aux réfugiés ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant angolais, est entré irrégulièrement en France le 29 octobre 2022, selon ses déclarations, et a déposé une demande d'asile, le 1er février 2023. La consultation du fichier " VIS " a révélé que l'intéressé était titulaire d'un visa délivré par les autorités allemandes et valable jusqu'au 25 octobre 2022. Ces autorités, saisies d'une demande de prise en charge sur le fondement de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013, ont fait connaître leur accord le 16 février 2023. Par un arrêté du 28 février 2023, la préfète du Rhône a ordonné le transfert de M. A... aux autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile. M. A... relève appel du jugement du 17 mars 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du troisième alinéa de l'article L. 571-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. Cette décision est notifiée à l'intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours ainsi que le droit d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. Lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un conseil, les principaux éléments de la décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend. " L'arrêté litigieux vise le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et notamment son article 12, rappelle le parcours de M. A..., sa situation familiale et la procédure suivie par les services préfectoraux et indique, en particulier, que la consultation de la base Visabio a montré qu'il s'est vu délivrer un visa par les autorités allemandes, valable jusqu'au 25 octobre 2022. L'arrêté indique également que les autorités allemandes ont été sollicitées le 13 février 2023 en vue de sa prise en charge sur le fondement de l'article 12 dudit règlement et que celles-ci ont accepté leur responsabilité par un accord explicite du 16 février 2023. Ainsi, la décision comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et qui permettent de faire apparaître que l'autorité préfectorale a entendu faire application, compte tenu de la hiérarchie des critères de détermination de l'État membre responsable énoncés au chapitre III, des dispositions de l'article 12 du règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013 et mettent ainsi l'intéressé à même de comprendre les motifs de la décision pour lui permettre d'exercer utilement son recours. Elle satisfait, dès lors, aux exigences de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
3. En deuxième lieu, à la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement UE n° 604/2013, celle prévue par les dispositions de l'article 29 du règlement UE n° 603/2013 a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des États membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Par suite, le requérant ne peut utilement faire valoir, pour contester la décision litigieuse, qu'il n'aurait pas reçu les informations concernant l'application du règlement " Eurodac ".
4. En troisième lieu, alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète n'aurait pas tenu compte, dans sa décision, des éléments apportés par l'intéressé, et qu'ainsi qu'il a été dit au point précédent, il a pu faire valoir toutes observations utiles au cours de son entretien, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige aurait été prise au mépris du caractère contradictoire de la procédure.
5. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
6. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a bénéficié de l'entretien individuel prévu par les dispositions précitées, le 1er février 2023. Cet entretien a été mené par un agent qualifié de la préfecture, avec l'assistance par téléphone d'un traducteur en langue lingala, dont le nom et les coordonnées figurent sur le résumé, dépendant d'un organisme d'interprétariat ISM, agréé par l'administration. La circonstance que l'assistance a été faite par téléphone, ainsi que le permettent les dispositions de l'article L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui, contrairement à ce prétend le requérant, n'imposent pas la mention expresse des diligences accomplies pour obtenir la présence de l'interprète à l'entretien, ne caractérise pas une méconnaissance des dispositions susvisées, alors d'ailleurs que la spécificité de cette langue suffit à justifier que l'assistance de l'interprète se soit faite par téléphone. Si M. A... soutient qu'il aurait pu bénéficier d'une meilleure communication avec l'interprète s'il avait été présent physiquement, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette circonstance a été de nature à affecter le déroulement de l'entretien dont il a bénéficié. En outre, aucune disposition n'impose que l'agent qui a mené cet entretien mentionne sur le résumé son prénom, son nom, sa qualité et son adresse administrative. Ainsi, la circonstance que le nom, la qualité, la signature de l'agent des services de la préfecture ne figurent pas sur le compte rendu de l'entretien n'est pas de nature à démontrer que celui-ci n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. Il ressort par ailleurs du résumé dudit entretien que M. A... a pu faire valoir à cette occasion toutes observations utiles. Enfin, si le requérant indique qu'aucune copie du résumé de l'entretien ne lui a été fournie, il ne justifie pas en avoir vainement sollicité une copie. Par suite, le requérant n'ayant été privé d'aucune garantie, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.
7. En cinquième lieu, l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 prévoit que " 1. L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. / Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif (" hit ") Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 14 du règlement (UE) n° 603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif (...) ".
8. D'une part, la préfète du Rhône, qui a fondé sa décision de transfert sur le résultat de la consultation de la base " Visabio " et non pas du système " Eurodac ", n'était pas tenue de respecter le délai de deux mois prévu dans ce dernier cas. D'autre part, il ressort des pièces produites en première instance que les autorités allemandes ont reçu sa requête à fin de prise en charge le 13 février 2023. Par suite, M. A..., qui a introduit sa demande d'asile moins de trois mois avant cette date, n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige aurait été prise en violation des dispositions de l'article 21 précité. Enfin, la préfète du Rhône a versé au dossier l'accord exprès des autorités allemandes pour le transfert de M. A....
9. En sixième lieu, aux termes de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Si le demandeur est titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, l'État membre qui l'a délivré est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. (...) 4. Si le demandeur est seulement titulaire d'un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d'un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d'entrer sur le territoire d'un État membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n'a pas quitté le territoire des États membres. (...) ".
10. Il ressort de l'arrêté contesté, qu'après consultation de la base européenne " Visabio ", la préfète du Rhône a fondé sa décision sur les dispositions précitées au point précédent et sur la circonstance que l'intéressé était titulaire d'un visa délivré par les autorités allemandes qui expirait le 25 octobre 2022. Par suite, M. A..., dont la situation entre dans le cas prévu par les dispositions précitées, n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté contesté est entaché d'un défaut de base légale, alors même que la préfète n'a précisé que sa situation relevait du paragraphe 4 de l'article 12 précité du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
11. En dernier lieu, les éventuelles irrégularités affectant la notification d'une décision étant sans incidence sur la légalité de cette décision, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 est inopérant à l'encontre de l'arrêté contesté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 28 février 2023 par lequel la préfète du Rhône a ordonné sa remise aux autorités allemandes aux fins d'examen de sa demande d'asile. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie du présent arrêt en sera adressée à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 6 juillet 2023 à laquelle siégeaient :
M. Hermitte, président de la cour ;
M. B..., premier vice-président ;
Mme Dèche, présidente assesseure.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 août 2023.
La rapporteure,
P. Dèche
Le président,
G. Hermitte
La greffière,
A.-C. Ponnelle
La République mande et ordonne ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY01650
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