Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté en date du 23 juin 2021 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2200266 du 7 avril 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 27 juillet 2022, Mme A... B..., représentée par Me Terrasson, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 7 avril 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 23 juin 2021 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt, à titre subsidiaire, de fixer un rendez-vous afin qu'elle puisse déposer une demande de titre de séjour " étranger malade " dans le même délai et, à titre très subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le même délai et dans tous les cas, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 400 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que celui-ci renonce au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- les dispositions de l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration ont été méconnues en ce que la référente sociale de la requérante avait informé l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) dès le 6 avril 2021 d'une nouvelle pathologie qui justifiait une nouvelle saisine du collège de médecin et l'OFII devait transmettre la demande aux services du préfet de l'Isère ; son droit d'être entendu a été méconnu et le jugement contesté a méconnu l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration et les pièces du dossier ont été dénaturées ;
- c'est à tort que le jugement attaqué a retenu qu'elle ne produisait pas de certificat médical concernant sa nouvelle pathologie ;
- en estimant que la communication des informations sur lesquelles s'est fondée l'OFII pour estimer que les traitements étaient disponibles dans son pays d'origine n'était pas obligatoire, le tribunal a méconnu les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe d'égalité des armes tel que prévu par le deuxième alinéa de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît et les dispositions du 9ème alinéa de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par courrier du 6 avril 2023, Mme B... a accepté de lever le secret médical.
L'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a transmis à la cour des pièces qui ont été enregistrées le 25 avril 2013 et communiquées.
La requête a été communiquée au préfet de l'Isère qui n'a pas présenté d'observations.
Mme A... B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 29 juin 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313 23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Burnichon, première conseillère,
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., née le 26 juillet 1968 à Nis (Yougoslavie) de nationalité serbe, est entrée en France le 7 août 2019 et a déposé une demande d'asile. Sa demande a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) le 12 novembre 2019, puis par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 1er février 2022. Suite à une demande de titre de séjour en raison de son état de santé déposée le 21 novembre 2019 et un avis du 4 mars 2020 du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), le préfet de l'Isère, par un arrêté du 23 juin 2021 a refusé de lui délivrer un titre de séjour avec obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de destination. Mme B... relève appel du jugement du 7 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du collège des médecins de l'OFII conforme à ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
3. Par un avis du 4 mars 2020, le collège des médecins de l'OFII a estimé que si l'état de santé de l'intéressée, et notamment sa pathologie neurologique de type épilepsie pour laquelle elle a présenté une demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ultérieurement codifié à l'article L.425-9 du même code en vigueur depuis le 1er mai 2021, nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, elle peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine vers lequel elle peut voyager sans risque.
4. Mme B... soutient que les premiers juges, en estimant que la communication des informations sur lesquelles s'est fondé l'OFII pour estimer que les traitements étaient disponibles dans son pays d'origine n'était pas obligatoire, ont méconnu les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe d'égalité des armes tel que prévu par le deuxième alinéa de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne.
5. D'une part, aucune disposition législative ou règlementaire, et notamment l'arrêté susvisé du 27 décembre 2016, n'impose à l'OFII de communiquer spontanément les éléments, soumis au secret médical, sur lesquels son collège de médecin s'est fondé pour apprécier la disponibilité du traitement de l'étranger qui a présenté une demande de titre de séjour en raison de son état de santé, dans son pays d'origine. En l'espèce, aucune des parties au litige en première instance ne disposait des informations sur lesquelles l'OFII a rendu son avis pour estimer qu'un traitement était disponible dans son pays d'origine.
6. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que Mme B..., en première instance, n'avait produit aucune pièce, hormis des ordonnances médicales, permettant au juge de remettre en cause l'avis de l'OFII alors que le préfet, qui ne disposait pas plus que la requérante des informations sur lesquelles l'OFII s'est fondé pour se prononcer, avait produit en défense un message électronique relatif à la prise en charge médicale en Serbie, et notamment au système hospitalier et médical, ainsi qu' à la prise en charge des malades par l'assurance maladie dans le pays d'origine de l'intéressée. Il suit de là que Mme B... n'ayant apporté aucune pièce de nature à remettre en cause l'appréciation portée par l'OFII quant à la disponibilité des traitements dans son pays d'origine, et n'ayant pas davantage contesté les éléments produits en défense par le préfet, le tribunal administratif, en n'invitant pas la requérante à faire savoir si elle acceptait de lever le secret médical en vue, le cas échéant, de faire produire les éléments sur lesquels le collège de médecin de l'OFII s'est fondé pour rendre son avis, n'a pas méconnu les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni le principe d'égalité des armes prévu par les stipulations par le deuxième alinéa de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne.
Sur la légalité de l'arrêté du 23 juin 2021 :
7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Lorsqu'une demande est adressée à une administration incompétente, cette dernière la transmet à l'administration compétente et en avise l'intéressé. ". Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a présenté une nouvelle pathologie, de type pulmonaire, distincte de la pathologie initiale pour laquelle elle avait présenté une demande de titre de séjour, lors de l'instruction de cette dernière. Si elle soutient que la référente sociale qui a pris en charge son dossier a, par un message du 6 avril 2021, informé l'OFII de cette nouvelle pathologie qui nécessitait une nouvelle saisine du collège de médecins et que l'OFII aurait dû transmettre cette demande aux services du préfet de l'Isère, les termes du message précité du 6 avril 2021, auquel l'OFII a répondu le jour même, démontrent qu'il ne constitue pas une nouvelle demande de titre de séjour ou un complément de sa demande en qualité d'étranger malade, mais uniquement une demande de renseignements quant aux démarches à mettre en œuvre. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration par l'OFII, à le supposer opérant contre l'arrêté en litige, ne peut qu'être écarté.
8. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union ". Aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 51 de la Charte : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux États membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. (...) ".
9. Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.
10. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français non prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.
11. Une violation des droits de la défense, en particulier du droit d'être entendu, n'entraîne l'annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l'absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent.
12. A supposer que Mme B... ait entendu déposer une nouvelle demande de titre de séjour en raison de la pathologie pulmonaire diagnostiquée lors de l'instruction de sa demande présentée en raison de sa pathologie neurologique, la seule capture d'écran non nominative qu'elle produit ne démontre pas la matérialité d'une telle demande, Mme B... ne fait état d'aucun élément qui, porté à la connaissance du préfet avant que celui-ci prenne sa décision, aurait pu influer sur le sens de cette dernière, le seul certificat produit au dossier d'un pneumologue en date du 6 juillet 2021, se bornant à faire état du bilan de fibrose pulmonaire réalisé sans indication de traitement en l'absence de connaissance de l'étiologie de cette pathologie et de " retentissement sur sa fonction respiratoire pour l'instant ". Elle n'est donc pas fondée à soutenir qu'elle aurait été privée de cette garantie. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de son droit d'être entendu, doit être écarté.
13. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : /(...)/ 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. /(...) ".
14. D'une part, s'agissant de la pathologie neurologique de Mme B... et sur laquelle l'OFII a estimé dans son avis précité du 4 mars 2020 qu'un traitement était disponible dans son pays d'origine, Mme B... n'apporte, ainsi qu'il a été dit, aucune pièce permettant de remettre en cause cette appréciation. D'autre part, s'agissant de la pathologie pulmonaire diagnostiquée lors de l'instruction de sa demande de titre de séjour, le seul certificat du 6 juillet 2021 précité, ne peut, à lui seul, démontrer que l'intéressée entrerait dans le champ d'application des dispositions précitées dès lors que ce certificat précise l'absence de traitement actuel pour cette pathologie, laquelle n'emporte pas de retentissement sur les fonctions respiratoires de Mme B..., le médecin spécialiste ayant précisé qu'une telle pathologie ne nécessite qu'une surveillance une à deux fois par an par un pneumologue " quel que soit son pays d'accueil ". Compte tenu de ces circonstances, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que l'obligation de quitter le territoire en litige méconnaît les dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
15. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie sera adressée au préfet de l'Isère et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Camille Vinet, présidente de la formation de jugement,
M. François Bodin-Hullin, premier conseiller,
Mme Claire Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 août 2023.
La rapporteure,
C. BurnichonLa présidente,
C. Vinet
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 22LY02297 2