Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... D... et Mme B... C... épouse D... ont demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les arrêtés du 14 mars 2022 par lesquels le préfet du Rhône leur a refusé un titre de séjour, a assorti ces refus d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de quatre-vingt-dix jours, a fixé la destination d'éloignement en cas de non-respect de ce délai de départ volontaire et leur a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois, ainsi que les décisions implicites de rejet de leur recours gracieux.
Par un jugement n° 2202799, 2202800 du 9 août 2022, le tribunal a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour
I. Par une requête et des mémoires enregistrés sous le n° 22LY02838 le 23 septembre 2022 ainsi que les 12 mai et 9 juin 2023, M. D..., représenté par Me Petit, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et les décisions contestées ;
2°) d'enjoindre au préfet du Rhône de lui délivrer une carte de séjour temporaire " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois, subsidiairement, de réexaminer sa situation après lui avoir remis une autorisation provisoire de séjour et de travail, dans le délai de quinze jours à compter de l'arrêt ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le refus de séjour est entaché d'une erreur de droit et d'un défaut d'examen particulier ; il méconnaît les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, étant également entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ; il est entaché d'une erreur de fait quant à ses compétences professionnelles ; il méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; il méconnaît les principes de confiance légitime et de sécurité juridique ;
- l'obligation de quitter le territoire français doit être annulée en raison de l'illégalité du refus de séjour ; elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la fixation du pays de destination doit être annulée en raison de l'illégalité du refus de séjour et de l'obligation de quitter le territoire ; elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle et de celle de ses enfants ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour et/ou de la décision portant obligation de quitter le territoire français ; elle est entachée d'un défaut de base légale et est insuffisamment motivée en droit ; elle est entachée d'une erreur de fait ; elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et est entachée d'une " erreur manifeste d'appréciation " de ses conséquences tant sur son principe que sur sa durée.
La requête de M. D... a été communiquée au préfet du Rhône qui n'a pas produit d'observations.
II. Par une requête et des mémoires enregistrés sous le n° 22LY02840 le 23 septembre 2022 ainsi que les 12 mai et 9 juin 2023, Mme D..., représentée par Me Petit, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et les décisions contestées ;
2°) d'enjoindre au préfet du Rhône de lui délivrer une carte de séjour temporaire " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois, subsidiairement, de réexaminer sa situation après lui avoir remis une autorisation provisoire de séjour et de travail, dans le délai de quinze jours à compter de l'arrêt ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le refus de séjour est entaché d'une erreur de droit et d'un défaut d'examen particulier ; il méconnaît les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, étant également entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ; il est entaché d'une erreur de fait quant aux compétences professionnelles de son mari et quant à sa présentation d'un faux récépissé ; il méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'obligation de quitter le territoire français doit être annulée en raison de l'illégalité du refus de séjour ; elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la fixation du pays de destination doit être annulée en raison de l'illégalité du refus de séjour et de l'obligation de quitter le territoire ; elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle et de celle de ses enfants ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour et/ou de la décision portant obligation de quitter le territoire français ; elle est entachée d'un défaut de base légale et est insuffisamment motivée en droit ; elle est entachée d'une erreur de fait ; elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et est entachée d'une " erreur manifeste d'appréciation " de ses conséquences tant sur son principe que sur sa durée.
La requête de Mme D... a été communiquée au préfet du Rhône qui n'a pas produit d'observations.
La décision du 26 octobre 2022 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Lyon (section administrative d'appel) refusant le bénéfice de l'aide juridictionnelle à M. et Mme D... a été annulée par une décision du 18 juillet 2023 du président de la cour. M. et Mme D... sont admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Djebiri, première conseillère ;
- et les observations de Me Petit pour M. et Mme D... ;
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes présentées par M. et Mme D..., membres d'une même famille, ont fait l'objet d'une instruction commune. Par suite, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement.
2. M. et Mme D..., ressortissants arméniens nés respectivement en 1980 et 1982, relèvent appel du jugement du 9 août 2022 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes d'annulation des arrêtés du 14 mars 2022 du préfet du Rhône leur refusant un titre de séjour leur faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de quatre-vingt-dix jours, fixant la destination d'éloignement en cas de non-respect de ce délai de départ volontaire et leur interdisant le retour sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois, ainsi que leur demande d'annulation des décisions implicites de rejet de leur recours gracieux.
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. - 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
4. Il ressort des pièces du dossier que les requérants, arrivés en France en 2009, y résidaient depuis douze ans à la date des décisions contestées. Ils sont parents d'enfants nés en 2002, 2006 et 2015, scolarisés ou poursuivant des études, leur aîné étant titulaire d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", leur deuxième ayant vocation à bénéficier de la délivrance d'un titre sur le fondement de l'article L. 421-35 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et leur dernier étant né sur le territoire. M. D... bénéficie d'une promesse d'embauche, et son épouse a travaillé comme garde d'enfant rémunérée par chèque emploi service universel. Ils ne présentent aucune menace pour l'ordre public et si, malgré le refus d'asile et les mesures d'éloignement dont ils ont fait l'objet, ils sont restés sur le territoire, il n'apparaît pas que, de son côté, l'administration aurait vainement cherché à les mettre à exécution. Consultée sur leur dernière demande de titre de séjour, la commission du titre de séjour s'est prononcée le 17 février 2022 en faveur de la régularisation de leur séjour, compte tenu en particulier de leur durée de présence en France et des conditions de d'insertion de la famille. Dans ces conditions, et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, les requérants sont fondés à soutenir que les refus de séjour contestés portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale qu'ils tiennent des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes d'annulation des arrêtés contestés, dans leurs différentes dispositions, et des décisions implicites de rejet de leur recours gracieux.
6. Eu égard au motif exposé ci-dessus, et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'un changement dans la situation de droit ou de fait des intéressés y ferait obstacle, le présent arrêt implique que le préfet du Rhône délivre à M. D... et à son épouse, chacun, un titre de séjour valable un an portant la mention " vie privée et familiale ". Par suite, il y a lieu pour la cour d'enjoindre au préfet du Rhône d'y procéder dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à Me Petit, avocat de M. et Mme D..., au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Petit renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon n° 2202799, 2202800 du 9 août 2022 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Rhône de délivrer à M. et Mme D... une carte de séjour dans les conditions prévues au point 6 du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me Petit la somme globale de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Petit renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à Mme B... C... épouse D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 6 juillet 2023 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juillet 2023.
La rapporteure,
C. DjebiriLe président,
V.-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 22LY02838, 22LY02840
kc