Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 7 novembre 2022 par lesquelles le préfet de la Savoie a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné d'office et a refusé d'enregistrer sa demande d'asile, d'enjoindre au préfet de la Savoie d'enregistrer sa demande d'asile dans le délai d'un mois à compter du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer dans le délai de quinze jours une attestation de demandeur d'asile ainsi que le dossier de demande d'asile sous la même astreinte ou, à défaut, d'enjoindre au préfet de la Savoie de procéder au réexamen de sa situation dans le délai d'un mois à compter du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer dans le délai de quinze jours une attestation de demandeur d'asile ainsi que le dossier de demande d'asile sous la même astreinte et de mettre à la charge de l'Etat le versement, à son conseil, d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à charge pour son conseil de renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle ou, si M. A... n'est pas admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2208298 du 14 novembre 2022, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 février 2023, M. A..., représenté par Me Paquet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de renvoyer au tribunal administratif de Lyon ses conclusions tendant à l'annulation du refus d'enregistrer sa demande d'asile ;
3°) de prononcer, à compter de l'arrêt à intervenir, les injonctions demandées en première instance ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros (à verser à son conseil) en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est partiellement entaché d'irrégularité dès lors que si le magistrat désigné ne s'estimait pas compétent pour statuer sur une partie des conclusions de la requête, il devait renvoyer ces conclusions devant une formation collégiale et non les rejeter ;
- sa demande d'asile faisait obstacle à ce que le préfet fixe la Syrie comme pays de destination ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que les risques encourus en cas de retour en Syrie n'ont jamais été examinés par les instances de l'asile.
La requête a été communiquée au préfet de la Savoie qui n'a pas produit d'observations.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er février 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code des relations entre public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Bourrachot, président, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant syrien né le 15 décembre 1991, a été condamné par jugement du tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains du 20 décembre 2021 à une peine d'emprisonnement et à une interdiction définitive du territoire français. Par une décision du 7 novembre 2022, le préfet de la Savoie a fixé le pays à destination duquel l'intéressé sera éloigné en exécution de l'interdiction judiciaire du territoire français prononcée à son encontre. M. A... a demandé au tribunal administratif de Lyon, dans le dernier état de ses écritures, d'annuler les décisions du 7 novembre 2022 par lesquelles le préfet de la Savoie a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné d'office et a refusé d'enregistrer sa demande d'asile. M. A... relève appel du jugement du 14 novembre 2022, par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions dirigées contre la décision refusant l'enregistrement de la demande d'asile :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 3 du code de justice administrative : " Les jugements sont rendus en formation collégiale, sauf s'il en est autrement disposé par la loi. ".
3. D'autre part, selon les termes de l'article L. 614-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français peut, dans les conditions et délais prévus au présent chapitre, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision relative au délai de départ volontaire et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant. Les dispositions du présent chapitre sont applicables au jugement de la décision fixant le pays de renvoi contestée en application de l'article L. 721-5 (...) ". Aux termes de l'article L. 721-5 du même code : " (...) Les dispositions des articles L. 614-7 à L. 614-13 sont applicables à la contestation et au jugement de la décision fixant le pays de renvoi qui vise à exécuter une décision de mise en œuvre d'une décision prise par un autre État, une interdiction de circulation sur le territoire français ou une peine d'interdiction du territoire français, lorsque l'étranger qui en fait l'objet est assigné à résidence en application de l'article L. 731-1 ou placé ou maintenu en rétention en application du titre IV du présent livre (...) ". Aux termes de l'article L. 614-9 du même code relatif à la procédure applicable en cas d'assignation à résidence ou de placement en rétention : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il désigne à cette fin parmi les membres de sa juridiction, ou les magistrats honoraires inscrits sur la liste mentionnée à l'article L. 222-2-1 du code de justice administrative, statue au plus tard quatre-vingt-seize heures à compter de l'expiration du délai de recours (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions combinées qu'il n'appartient pas au magistrat désigné en application des dispositions de l'article L. 614-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, saisi de conclusions tendant à l'annulation d'une décision fixant le pays de renvoi prise en exécution d'une interdiction judicaire du territoire français, de statuer sur les conclusions dirigées contre une décision de refus d'enregistrement de demande d'asile. Par suite, en dehors des cas dans lesquels il est fait usage de la faculté de prendre une ordonnance, ouverte par l'article R. 222-1 du code de justice administrative, seules les formations collégiales des tribunaux administratifs peuvent statuer sur les demandes d'annulation d'une telle décision.
5. Toutefois, il appartient au magistrat désigné, saisi de telles conclusions, non de les rejeter, mais de les transmettre, soit à la juridiction administrative compétente, soit à une formation collégiale de la même juridiction.
6. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que le jugement est entaché d'irrégularité en tant qu'il a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision refusant l'enregistrement de sa demande d'asile et à demander l'annulation du jugement attaqué dans cette mesure. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de renvoyer l'affaire, dans cette mesure, devant le tribunal administratif de Lyon. Il y a également lieu de renvoyer devant le même tribunal les conclusions aux fins d'injonction qu'impliquerait nécessairement une annulation de cette décision.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 7 novembre 2022 par lesquelles le préfet de la Savoie a fixé le pays à destination duquel M. A... sera éloigné d'office :
7. D'une part, aux termes de l'article 131-30 du code pénal, auquel renvoie l'article L. 641-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'elle est prévue par la loi, la peine d'interdiction du territoire français peut être prononcée, à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus, à l'encontre de tout étranger coupable d'un crime ou d'un délit./ L'interdiction du territoire entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l'expiration de sa peine d'emprisonnement ou de réclusion./ Lorsque l'interdiction du territoire accompagne une peine privative de liberté sans sursis, son application est suspendue pendant le délai d'exécution de la peine. Elle reprend, pour la durée fixée par la décision de condamnation, à compter du jour où la privation de liberté a pris fin. /(...) ".
8. D'autre part, aux termes de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile: " L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office (...) d'une peine d'interdiction du territoire français (...). " Aux termes de l'article L. 721-4 du même code : : L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi :/ 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. "
9. Il résulte de ces dispositions qu'aussi longtemps que la personne condamnée n'a pas obtenu de la juridiction qui a prononcé la condamnation pénale le relèvement de sa peine d'interdiction du territoire, l'autorité administrative est tenue de pourvoir à son exécution en édictant à son encontre une décision motivée fixant son pays de destination, sous réserve qu'une telle décision n'expose pas l'intéressé à être éloigné à destination d'un pays dans lequel sa vie ou sa liberté serait menacée, ou d'un pays où elle serait exposée à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. Il ressort de la décision en litige qu'invité à présenter des observations quant à la possibilité qu'il fasse l'objet, en conséquence de l'interdiction judiciaire du territoire français susmentionnée, d'une mesure d'éloignement à destination de son pays d'origine, M. A... a fait état, de craintes en raison des risques qu'il encourrait en cas de retour en Syrie. Dans la décision en litige, le préfet de la Savoie a visé le courrier d'observations de M. A... avant d'indiquer que l'intéressé n'établissait pas être exposé à des peines ou traitement contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment du procès-verbal d'audition du 31 janvier 2022, que, durant son incarcération, M. A... a déclaré " je n'ai pas déposé de demande d'asile en France, en Italie ou dans un autre état de l'espace Schengen, je ne souhaite pas retourner dans mon pays d'origine mais je souhaite aller en Allemagne pour y déposer une demande d'asile ". Une telle demande constitue une demande d'asile alors même que l'intéressé indiquait vouloir la déposer en Allemagne. Il appartenait au préfet de la Savoie de déterminer l'Etat responsable du traitement de cette demande et, le cas échéant, de mettre en œuvre l'article 17 du règlement susvisé du 26 juin 2013. En ne prenant pas en compte cette demande d'asile, qu'il n'a pas qualifiée d'abusive ou dilatoire, avant de prendre l'arrêté en litige, le préfet de la Savoie a entaché sa décision d'un défaut d'examen réel et sérieux.
11. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté le surplus de sa demande.
12. En application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat les frais d'instance non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon du 14 novembre 2022 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de la décision refusant l'enregistrement de sa demande d'asile et les conclusions aux fins d'injonction qu'impliquerait nécessairement une annulation de cette décision sont renvoyées devant le tribunal administratif de Lyon.
Article 3 : La décision du préfet de la Savoie du 7 novembre 2022 fixant la Syrie comme pays de destination en cas de reconduite forcée est annulée.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A..., et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Savoie et à la présidente du tribunal administratif de Lyon.
Délibéré après l'audience du 25 mai 2023, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 juin 2023.
Le président, rapporteur,
F. BourrachotLa présidente-assesseure,
P. Dèche
La greffière,
A-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY00761
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