Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Les associations France Nature Environnement (FNE), France Nature Environnement Midi-Pyrénées (FNE MP) et Nature en Occitanie, ont demandé au tribunal administratif de Lyon : 1°) d'annuler l'arrêté du 5 avril 2019 du préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes, coordonnateur du plan national d'actions 2018-2019 sur le loup et les activités d'élevage, portant délimitation d'une zone difficilement protégeable au sein d'un front de colonisation du loup dans le sud-ouest du Massif Central ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros, à verser à chacune d'elles, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Par un jugement n° 1904850 du 29 octobre 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté les demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 29 décembre 2020, les associations France Nature Environnement (FNE) et France Nature Environnement Midi-Pyrénées (FNE MP) représentées par Me Victoria, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 29 octobre 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 5 avril 2019 du préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes, coordonnateur du plan national d'actions 2018-2019 sur le loup et les activités d'élevage, portant délimitation d'une zone difficilement protégeable au sein d'un front de colonisation du loup dans le sud-ouest du Massif Central ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à chaque association au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le tribunal administratif n'a pas statué sur le moyen relatif à la difficulté de mise en œuvre de mesures de protection des troupeaux ; le jugement attaqué est insuffisamment motivé s'agissant du moyen relatif à la méconnaissance des dispositions de l'article 37 de l'arrêté du 19 février 2018 ;
- l'arrêté du 5 avril 2019 aurait dû faire l'objet d'une consultation publique dans les conditions prévues par l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement, le tribunal administratif a commis une erreur d'appréciation en considérant que l'édiction de cet arrêté n'était pas soumise à participation du public ;
- les difficultés importantes à protéger les troupeaux, qui reposent sur des études de vulnérabilité trop générales, n'auraient pas été constatées par le préfet à la suite d'une ou plusieurs attaques sur les élevages compris dans le périmètre de la ZDP ;
- les particularités locales ne distinguent pas la zone difficilement protégeable litigieuse de plusieurs territoires classés en cercle 1 ;
- le tribunal a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne tenant pas compte de cette absence de spécificité et de vulnérabilité particulière du périmètre de la ZDP en litige par rapport aux autres zones où des attaques de loups et des dégâts sont constatés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 janvier 2022, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par les requérantes ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 6 décembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 11 janvier 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté du 19 février 2018 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus) ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Fédi, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté en date du 5 avril 2019, le préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes, coordonnateur du plan national d'actions 2018-2019 sur le loup et les activités d'élevage, a délimité une zone difficilement protégeable au sein d'un front de colonisation du loup dans le sud-ouest du Massif Central, dans le cadre de la mise en œuvre des mesures de protection des troupeaux contre la prédation du loup. Les associations FNE et FNE Midi-Pyrénées font appel du jugement du 29 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments invoqués devant eux, ont motivé avec une précision suffisante leur réponse au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 37 de l'arrêté du 19 février 2018. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué doit être écarté. En outre, contrairement à ce qui est allégué par les associations, les premiers juges se sont effectivement prononcés, au point 11 du jugement attaqué, sur le moyen relatif à la difficulté de mise en œuvre de mesures de protection des troupeaux. Le jugement attaqué n'est donc pas entaché d'omission à statuer sur ce point.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes de l'article L.123-19-1 du code de l'environnement : " I. - Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. / Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas aux décisions qui modifient, prorogent, retirent ou abrogent les décisions mentionnées à l'alinéa précédent soumises à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. / Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l'environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif. (...) ". Aux termes de l'article L. 123-19-6 du même code : " Ne sont pas soumises à participation du public en application des articles L. 123-19-1 à L. 123-19-5 : / 1° Les décisions des autorités publiques prises conformément à une décision autre qu'une décision individuelle ou à un plan, schéma ou programme ou tout autre document de planification ayant donné lieu à participation du public, lorsque, par ses dispositions, cette décision ou ce plan, schéma, programme ou document de planification permet au public d'apprécier l'incidence sur l'environnement des décisions susceptibles d'être prises conformément à celui-ci ; (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué a été pris en application des articles 36 et 37 de l'arrêté interministériel du 19 février 2018 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction de loups peuvent être accordées. Ce dernier arrêté a donné lieu, dans les conditions prévues à l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement, à une consultation du public par voie électronique du 8 au 29 janvier 2018, dont la régularité a été, d'ailleurs, confirmée par le Conseil d'Etat dans sa décision n° 419898, n° 420016 et n° 420100 du 18 décembre 2019. La double circonstance, d'une part, que l'arrêté interministériel serait trop général, notamment sur la notion, appréciée localement, de " difficultés importantes constatées après une ou plusieurs attaques de loups ", d'autre part, que les critères locaux de délimitation de la zone en cause, qui sont variables selon les circonstances locales propres à chaque territoire, nécessitaient la consultation du public, ne permet pas de démontrer que le public n'aurait pu apprécier l'incidence sur l'environnement de l'acte en litige. Dans ces conditions, conformément aux dispositions précitées du 1° de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement, c'est sans erreur d'appréciation que les premiers juges ont considéré que l'édiction de l'arrêté du 5 avril 2019 n'était pas soumise à participation du public.
5. Aux termes de l'article 37 de l'arrêté interministériel du 19 février 2018, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Le préfet coordonnateur du plan national d'actions sur le loup délimite par arrêté, au sein des fronts de colonisation, et après avoir recueilli les propositions des préfets de département concernés, les zones dans lesquelles, du fait des modes de conduite des troupeaux d'animaux domestiques, la mise en œuvre des mesures de protection des troupeaux contre la prédation du loup présente des difficultés importantes, constatées à la suite d'une ou plusieurs attaques de loup sur les troupeaux et qui peuvent bénéficier des dispositions particulières mentionnées au II. / Pour la détermination de ces zones, sont pris en compte l'importance des adaptations des modes de conduite et de protection des troupeaux, le coût économique en résultant pour les éleveurs et la collectivité publique ainsi que le niveau d'efficacité de ces adaptations pour maîtriser la prédation au regard des éléments suivants : / - les caractéristiques topographiques et écologiques des milieux exploités par les troupeaux ; / - le type d'élevage, son mode de conduite et la taille des troupeaux ; / - l'étendue des parcours et surfaces utilisés par les troupeaux ; / - le nombre de lots composant les troupeaux ; / - la durée et le niveau d'exposition des troupeaux à la prédation. / II. - Dans les zones mentionnées au I, les tirs de défense et de prélèvements, dont les modalités de mise en œuvre sont décrites aux chapitres précédents, peuvent être autorisés sans que les troupeaux bénéficient de mesures de protection dans les conditions suivantes : / 1. Pour les tirs de défense simple, sans autre condition ; / 2. Pour les tirs de défense renforcée, quand le troupeau, malgré le recours aux tirs de défense simple, a subi au moins trois attaques successives dans les douze derniers mois précédant la demande de dérogation ou se situe sur une commune sur laquelle au moins trois attaques ont été constatées au cours des douze mois précédant la demande de dérogation, dans des troupeaux ayant mis en œuvre les tirs de défense simple ; / 3. Pour les tirs de prélèvements simple ou renforcé, quand les attaques de loup sur les troupeaux persistent après la mise en œuvre de deux autorisations de tir de défense renforcée dans une période maximale de douze mois. ". Il résulte de ces dispositions que la possibilité, ainsi ouverte de recourir à des tirs de destruction de loups sans que les troupeaux bénéficient de mesures de protection, est limitée à des zones répondant à des critères cumulatifs et précis, identifiées par voie réglementaire, sous le contrôle du juge administratif.
6. Il ressort des pièces du dossier, notamment des pièces produites devant le tribunal administratif de Lyon, que l'arrêté contesté repose sur quatre études : l'étude sur la vulnérabilité et la sensibilité des élevages aveyronnais face au risque de prédation par le loup publiée en septembre 2015, l'étude de l'INRA-SupAgro Montpellier datée d'octobre 2017 portant sur la protection des troupeaux sur le territoire des Grands Causses, l'analyse de vulnérabilité des élevages héraultais à la prédation réalisée en 2017 par la chambre régionale d'agriculture d'Occitanie et la chambre départementale d'agriculture de l'Hérault et un rapport technique relatif à la détermination de la zone difficile à protéger dans le département du Tarn. Si les associations appelantes soutiennent que les difficultés importantes à protéger les troupeaux, reposant, en outre, sur des études de vulnérabilité trop générales, n'auraient pas été constatées par le préfet à la suite d'une ou plusieurs attaques de loup sur des élevages compris dans le périmètre de la zone litigieuse, toutefois aucune des dispositions précitées n'impose à l'administration de détailler, dans son arrêté, la totalité des difficultés importantes rencontrées dans la mise en œuvre les mesures de protection des troupeaux, constatées à la suite d'une ou plusieurs attaques de loup, pour chacun des 279 territoires communaux concernés par l'arrêté litigieux, alors même que les associations n'établissent, ni même n'allèguent qu'une commune ou une zone cohérente et homogène ne serait pas concernée par une attaque de loup. Dans ces conditions, et alors que les études citées permettent d'établir les difficultés réelles à protéger les troupeaux à la suite de plusieurs attaques de loup, c'est sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation que le préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes a pu prendre l'arrêté litigieux.
7. Il ressort également des pièces du dossier que le périmètre retenu, qui comprend les communes appartenant à la même unité agro-pastorale, dont la quasi-totalité est classée en appellation d'origine protégée " Roquefort ", dépasse les limites départementales, où les modes de conduite des troupeaux les rendent particulièrement vulnérables aux attaques de loup. En se bornant à soutenir que les particularités locales, comme l'abondance de proies ou la faible présence humaine, ne distingueraient pas la zone litigieuse de plusieurs autres territoires, classés en cercle 1, où les mesures de protection sont un préalable à toute destruction de loup, les associations ne remettent pas sérieusement en cause le fait que les populations ovines et caprines des quatre départements concernés (l'Aveyron, l'Hérault, la Lozère et le Tarn) présentent une réelle singularité au sein du territoire national. En outre, il n'est pas contesté que les caractéristiques topographiques et écologiques des milieux exploités par les troupeaux de la zone en cause sont constituées d'une mosaïque de milieux naturels semi fermés avec de nombreux terrains en pente, que le type d'élevage extensif avec mise en valeur de surfaces importantes de végétation spontanée conduit à la présence de trois à quatre lots d'animaux différents par troupeau et que les animaux sont présents en pâturage de huit à douze mois de l'année. Par suite, c'est sans erreur manifeste d'appréciation, que l'arrêté a pris en compte la spécificité et la vulnérabilité particulière du périmètre de la zone en litige par rapport aux autres zones où des attaques de loups et des dégâts sont constatés.
8. Il résulte de tout ce qui précède, que les associations France Nature Environnement et France Nature Environnement Midi-Pyrénées ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête des associations France Nature Environnement et France Nature Environnement Midi-Pyrénées est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié aux associations France Nature Environnement, France Nature Environnement Midi-Pyrénées et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré après l'audience du 16 mai 2023, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
M. Gilles Fédi, président-assesseur,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mai 2023.
Le rapporteur,
Gilles FédiLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 20LY03843