Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 6 juillet 2021 ainsi que les 21 février et 24 mars 2022 ainsi que les 29 mars et 20 avril 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la société Ferme Éolienne de Santigny, représentée par Me Carpentier, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Yonne du 6 mai 2021 portant refus d'autorisation environnementale en vue de l'installation d'un parc éolien composé de trois aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Santigny ;
2°) de lui délivrer l'autorisation sollicitée, conformément à la demande d'autorisation déposée le 23 mai 2018, complétée les 13 février et 24 septembre 2019 et en janvier 2020 en réponse à l'avis de la Mission Régionale de l'Autorité Environnementale (MRAE) en accompagnant, le cas échéant, celle-ci des prescriptions nécessaires pour assurer le respect des intérêts visés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement ou en renvoyant ou enjoignant au préfet le soin de le faire, au besoin, sous un délai déterminé ;
3°) d'ordonner que sa décision d'autorisation fasse l'objet des mesures de publicité prévues par l'article R. 181-50 du code de l'environnement ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- un autre parc éolien récemment mis en service sur le territoire des communes de Sarry et Châtel-Gérard a fait l'objet, le 7 mai 2021, d'un arrêté préfectoral complémentaire imposant la mise en place d'un dispositif de détection et d'arrêt des machines pour prévenir le risque de collision avec la cigogne noire ainsi que d'un suivi environnemental portant, notamment sur cette espèce ; ce système s'est avéré efficace ; la localisation de l'emplacement approximatif du nid en 2018 et en 2019 et de son emplacement exact en 2020, dont l'existence n'était pas avérée lors de l'étude d'impact, sont désormais connues ; de très nombreuses prospections ont été réalisées dans le secteur ; la cigogne noire n'est présente que de manière très sporadique dans le secteur du projet ;
- la circonstance, à la supposer établie, que l'étude d'impact n'aurait pas tenu compte de la présence des nids et n'aurait, par voie de conséquence, pas été exhaustive, ne permettait pas au préfet d'opposer un refus à la demande d'autorisation d'exploiter ;
- il eût été opportun que le préfet décide de surseoir à statuer en application des dispositions de l'article R. 181-41 du code de l'environnement afin de laisser, le cas échéant, la société pétitionnaire, le soin de compléter son dossier ;
- ici c'est la présence d'une zone de nidification qui a motivé le refus préfectoral ;
- la probabilité du risque de collision est très limitée ; la cigogne noire a été très peu contactée au sein de la zone du projet ; il y a des horaires de plus grande sensibilité ; le site, qui ne constitue pas un milieu favorable à la nidification ou à l'alimentation de la cigogne noire, peut simplement constituer un milieu de transit très ponctuel entre le site de reproduction de l'espèce et ses zones d'alimentation ; les zones d'alimentation préférentielle du couple ayant établi son nid à Châtel-Gérard sont sans transit par le projet avec une altitude de vol supérieure à celle des hauteurs de pales ;
- la perte d'un seul individu ne serait pas, par principe, d'une atteinte grave à l'espèce ; sur les soixante-cinq nids répertoriés à travers la France en 2020, dix sont situés en région Bourgogne Franche Comté, dont un seul dans le département de l'Yonne (celui dont la présence en 2018, 2019 et 2020 est mentionnée dans l'arrêté préfectoral de refus) ; la mortalité d'un adulte reproducteur aurait une incidence limitée ; les pertes de reproduction doivent être mises en perspective avec la population totale de couples reproducteurs de cigognes noires en Europe, qui est, à ce jour, estimée entre 5 800 et 8 500 individus ; pour les juvéniles le risque est minime ; c'est la perte d'un des deux individus composant le nid qui pourrait présenter un enjeu majeur et non la perte " d'un seul individu " ; sur le territoire français, le seul cas de collision recensé à ce jour concerne un juvénile ; pour les vols à risque identifiés, la cigogne noire adopte un comportement d'évitement en contournant le parc ou en empruntant un couloir suffisamment large pour survoler les installations ;
- des mesures sont prévues pour éviter le risque de collision, en particulier un dispositif de détection et d'arrêt des éoliennes ; elle a considéré qu'il n'était pas opportun de proposer le déclenchement d'une alarme de dissuasion acoustique, estimant que cela créerait un effet barrière qui n'existait pas compte tenu de la configuration du parc ; le dispositif de détection est couplé à un dispositif de régulation des éoliennes ; les oiseaux présentent une capacité d'évitement naturelle des obstacles en mouvement pour des vitesses allant jusqu'à 90 km/h ; dans le cadre du projet de Santigny et des espèces concernées, il est donc pertinent de limiter le ralentissement à une vitesse de rotation de 90 km/h en bout de pale ; les vitesses de vol seront prises en compte pour paramétrer le dispositif de régulation de l'éolienne ; les modalités de contrôle de l'efficacité du dispositif sont prévues ; la ou les éoliennes susceptible(s) d'être concernée(s) par une panne du dispositif sera automatiquement mise à l'arrêt ; la mesure aura vocation à s'appliquer entre le 1er mars et le 31 octobre - période la plus sensible de reproduction, les caméras demeurant actives toute l'année ;
- un suivi spécifique de l'activité de la cigogne noire est également prévu avec un suivi ornithologique spécifique additionnel au suivi de l'efficacité du dispositif de détection mis en œuvre ; la surveillance du nid et la détection d'un départ de nid permettra de commander l'arrêt des éoliennes pendant la durée nécessaire à l'envol des juvéniles, statistiquement les plus affectés ;
- rien ne fait obstacle à ce que la cour, si elle le juge nécessaire pour prévenir les dangers et inconvénients du projet, impose des prescriptions complémentaires ;
- le risque de collision de la cigogne noire peut être prévenu par le biais de prescriptions de fonctionnement comparables à celles mises en place pour le parc éolien situé sur le territoire des communes de Sarry et Châtel-Gérard ;
- s'agissant de la fragmentation de l'habitat de la cigogne noire, le nid repéré est situé à 3,7 km au nord du projet dont rien ne permet de dire qu'il ferait obstacle à sa présence ou sa reproduction ou à ce que d'autres couples nicheurs viennent, le cas échéant, s'établir dans le même secteur ;
- le " domaine vital " de l'espèce entre son nid et les zones de gagnage (ou d'alimentation) peut aller jusqu'à 20 km ; le domaine susceptible d'être exploité par la cigogne noire est donc particulièrement vaste et n'est pas de nature à être impacté par la présence du projet ; la zone du projet elle-même, sans milieux aquatiques favorables aux activités de chasse, n'est pas une zone d'alimentation de la cigogne noire ; aux abords immédiats du site, les zones de gagnage sont faibles et se localisent exclusivement au sud-ouest ; il n'est pas établi que le projet ferait obstacle à la fréquentation de ces zones ; des mesures compensatoires peuvent être envisagées ;
- les dérangements en " phase chantier " peuvent faire l'objet de mesures de réduction ;
- l'état de conservation favorable des populations de l'espèce dans leur aire de répartition naturelle ne peut être pris en compte qu'au stade de la dérogation ;
- le risque " zéro " n'existe pas ;
- les arguments opposés par l'administration sont formulés de manière très générale et non circonstanciée ;
- l'autorisation doit être accordée, assortie des prescriptions nécessaires ; le préfet pourra être invité à délivrer l'autorisation ; des mesures de publicité afin de faire courir les délais de recours peuvent être imposées ;
- le risque n'est pas suffisamment caractérisé.
Par un mémoire enregistré le 21 février 2022, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- un nid a ainsi été observé en 2020 sur le territoire de la commune de Châtel-Gérard (89), à 3,7 km du premier mât du projet et des recherches de données relatives à cette espèce mettent en évidence sa reproduction certaine, successivement en 2018 et 2019, dans le massif domanial de Saint-Jean situé à 2 km du site projeté ; des secteurs favorables de nourrissage sont localisés de part et d'autre du site, au niveau des ruisseaux du Bornant et de Marmeaux ; différentes études confirment l'importance du rayon d'action de l'espèce et qu'un tiers des vols enregistrés l'étaient à des altitudes de 80 à 190 m correspondant à la hauteur des mâts ; des cigognes noires survolant la zone du projet ont été observés à quatre reprises entre mars et octobre 2020 ; compte tenu de l'envergure et du type de vol de ces cigognes, mais aussi de leur rareté, le risque est significatif ;
- en Bourgogne-Franche-Comté, les dernières informations font état de dix nids connus en 2020 dans la région (neuf en Bourgogne, et un en Franche-Comté (en Haute-Saône) ; tout dérangement ou toute destruction d'un individu dû à l'implantation d'un projet éolien serait de nature, vu l'extrême faiblesse des effectifs en France et a fortiori dans la région, à remettre en cause l'état de conservation local de l'espèce ;
- le dispositif anti collision ne permet pas d'exclure tout risque de collision entre une cigogne noire et une éolienne ; eu égard aux très faibles effectifs de cigognes noires, la perte d'un seul individu serait de nature à compromettre l'état de conservation de cette espèce ;
- les secteurs favorables de nourrissage identifiés, de part et d'autre du site, au niveau des ruisseaux du Bornant et de Marmeaux, constituent un risque supplémentaire.
Par une ordonnance du 30 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 avril 2023.
Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a produit un mémoire, enregistré le 9 mai 2023, après clôture de l'instruction, et non communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Picard, président ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Carpentier, pour la société Ferme Éolienne de Santigny ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 mai 2023, présentée par Me Carpentier ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Ferme Éolienne de Santigny a présenté une demande d'autorisation environnementale pour l'installation et l'exploitation de trois éoliennes hautes de 200 m en bout de pale et d'une puissance unitaire de 3,4 MW, implantées sur une ligne nord-nord-est/ sud--sud-ouest et espacées de 425 m, en extrémité nord du territoire de la commune de Santigny (Yonne), à 20 km au nord-est de la ville d'Avallon (Yonne), à proximité de la ligne ferroviaire LGV sud-est Paris-Lyon. Le secteur du projet est une zone relativement dense en éoliennes avec de nombreux parcs situés à l'ouest et au nord du projet, près de cent-vingt mâts étant présents dans un rayon de 20 km. Par un arrêté du 6 mai 2021, le préfet de l'Yonne a refusé de faire droit à cette demande sur le fondement des articles L. 181-3 et L. 411-1 du code de l'environnement, estimant que, dans son état actuel, le projet de parc éolien portait atteinte à la cigogne noire. La société Ferme Éolienne de Santigny en demande l'annulation.
2. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. II. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent également : (...) 4° Le respect des conditions, fixées au 4° du I de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation ; (...) ". Plus particulièrement, aux termes de l'article L. 411-1 du même code : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation (...), d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques (...) et de leurs habitats, sont interdits : 1° (...) la mutilation, la destruction, (...) la perturbation intentionnelle (...) d'animaux de ces espèces (...) ; 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ; (...) ". Et aux termes de l'article L. 411-2 de ce code : " I. - Un décret en Conseil d'État détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (...) c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique (...) ". Le système de protection des espèces visé par ces dernières dispositions impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes à ces espèces proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où ces mesures présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".
3. La cigogne noire est une espèce d'oiseaux protégée placée, avec son habitat, sous le statut de protection de l'arrêté ministériel du 29 octobre 2009 et classée " en danger " (EN) sur la liste rouge des oiseaux nicheurs de Bourgogne. Une centaine de couples de ces oiseaux se reproduiraient actuellement en France, moins de soixante-dix nids ayant été recensés en 2020, dont une dizaine en région bourgogne Franche-Comté. La cigogne noire, présente dans cette région de fin février à fin septembre, est une espèce très farouche dont la reproduction exige des boisements anciens pour y installer son nid, dont elle change fréquemment, tous les trois ans en moyenne, et des petites vallées avec un chevelu de ruisseaux en tête de bassin ou zones humides pour se nourrir, avec sa nichée, de proies majoritairement aquatiques, les zones d'alimentation, qui correspondent essentiellement à de petits cours d'eau étroits ou des étendues d'eau peu profondes, pouvant être distantes de plus de 20 km par rapport au nid. Les œufs, pondus entre fin mars et mai, éclosent entre fin avril et début juin, les jeunes quittant le nid à partir de la mi-juillet jusqu'au mois d'août, volant à proximité du nid et s'éloignant de plus en plus pour se poser dans des zones dégagées.
4. Si le projet de parc éolien de Santigny est lui-même prévu au sein d'un boisement défavorable à l'alimentation des cigognes noires, plusieurs de ces oiseaux ont été observés à moins de 10 km du site, en particulier en cours de nourrissage, notamment dans la vallée de l'Armançon et ses affluents, en particulier le ru de Bornant à Bierry-les-Belles-Fontaines ou, régulièrement, dans la ZNIEFF " Ruisseau du Bornant à Fain-les-Moutiers et Bierry-les-Belles-Fontaines ". Et en 2019, l'Office national des forêts (ONF) a confirmé la présence d'un nid avec trois cigogneaux sur la commune de Bierry-les-Belles-Fontaines, dans la forêt domaniale de Saint-Jean et celle d'un précédent nid du même couple inoccupé en 2019 dans les boisements de cette commune, à 2,6 km au nord-est du projet de Santigny. Deux cigogneaux ont encore été observés au nid en 2020 au nord-ouest de la forêt domaniale de Saint-Jean, sur la commune de Châtel-Gérard, à 3,7 km au nord-ouest de ce projet et une observation comparable a été faite en 2021, les juvéniles n'ayant pas, dans ce dernier cas, survécu à cause de conditions météorologiques violentes la semaine du 14 juillet. Si, selon les dernières constatations de l'ONF, ce nid n'était plus occupé en 2022, il n'en résulte pas pour autant que l'espèce, dont la détection, compte tenu de sa mobilité et de son caractère notoirement farouche, est particulièrement difficile, aurait à ce jour définitivement quitté le voisinage du site de l'installation projetée. Parmi les secteurs d'alimentation des cigognes noires identifiés comme favorables aux abords de ce site figurent, à l'ouest/sud-ouest, éloignée de 3 à 12 km, la vallée du Serein et, à l'est, à une distance de 9,5 à 13 km, la vallée de l'Armançon, mais également quelques affluents de ces deux principales rivières et des plans d'eau, avec la vallée de Bornant à environ 10 km à l'est/nord-est et, à proximité immédiate, les rus de Champ Millet et de Marmeaux, au sud-ouest du projet, distants de moins de 4 km. A propos du projet éolien de Châtel-Gérard, situé en secteur agricole, à quelques kilomètres au nord-ouest du projet de Santigny, si l'ONF a relevé que les déplacements de cigognes noires en provenance du nid découvert en 2020 étaient principalement orientés vers l'est, préférentiellement sur le bassin de l'Armançon, il en a également constaté d'autres en direction du sud, vers le ru des Marmeaux, rien au dossier ne permettant d'exclure que, pour se rendre d'un secteur d'alimentation à un autre, ces oiseaux survolent le parc éolien de Santigny même si, à ce jour, aucune observation en ce sens n'a pu être faite. Pour minimiser tout risque de collision avec les cigognes noires qui, dans un tiers des cas, volent à hauteur de mât, la société exploitante, outre un nombre limité d'éoliennes et un espacement entre les mâts, a spécialement prévu la mise en place d'un dispositif de détection des spécimens d'une envergure égale ou supérieure à 1,20 m ou 1,45 m selon les informations, essentiellement couplé avec un système de régulation activé entre le 1er mars et le 31 octobre, permettant, en fonction de leur vitesse moyenne de vol et de leur éloignement par rapport aux machines, de ralentir le mouvement de rotation des pales à une vitesse de 90 km/h en bout de pale, compatible a priori avec leur capacité d'évitement naturelle. Ce dispositif serait plus spécialement complété, au moyen de caméras et de passages sur site, par un mécanisme de suivi de la cigogne noire, avec mise à disposition de l'administration des informations recueillies. Cependant, outre que l'activation de ce dispositif n'est prévue qu'en période diurne et crépusculaire, son efficacité en cas de mauvaises conditions de visibilité n'est pas avérée. Par ailleurs, et malgré les mesures de surveillance du nid et de détection des envols préconisées par l'exploitant, il n'apparaît pas que, compte tenu en particulier de leur envergure, dont rien ne permet de dire qu'elle serait équivalente à celle des adultes, les cigognes juvéniles n'échapperaient pas au système de détection décrit ci-dessus. Plus généralement, et même si, par bonnes conditions de visibilité, la capacité cigognes noires à contourner les éoliennes est reconnue, aucune donnée précise ne permet de s'assurer, en l'état, du degré d'efficacité réelle du dispositif, dont les simulations reposent sur des vols de drones. Par-delà les risques de collision qui, bien que limités, sont réels, le projet éolien de Santigny menace de fragmentation l'habitat et le domaine vital des cigognes noires présentes sur le territoire de la commune de Châtel-Gérard, dont l'installation très récente, et isolée, demeure extrêmement fragile. Plus généralement, et comme le souligne en particulier la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) dans une étude de 2021 intitulée " avifaune et éolien en Bourgogne-Franche-Comté ", qui reprend des informations fournies par la coordination nationale du réseau cigogne noire, les informations disponibles à ce jour mettent en évidence un manque d'informations pour cerner réellement les dangers de l'éolien pour les cigognes noires, difficilement observables, dont la sensibilité à l'éolien est " clairement sous-évaluée ", même si des indications plus rassurantes à cet égard ressortent d'études propres à certains sites éoliens, situés principalement en Allemagne, mais dont les conditions de réalisation et de fonctionnement exactes ne sont pas nécessairement comparables et qui, dans ce contexte, sont malaisément transposables.
5. Pour l'ensemble de ces raisons, et compte tenu tout spécialement de la situation de danger de la cigogne noire en France et de sa rareté sur le territoire, en particulier dans l'Yonne, il n'apparaît pas, en l'espèce, que les risques auxquels le projet de parc de Santigny exposerait les individus de cette espèce observés à proximité, malgré les mesures prises par la société requérante pour les limiter, seraient réduits à un niveau tel qu'ils ne pourraient plus qu'être regardés comme insuffisamment caractérisés, et que ce projet se trouverait donc, en l'état, dispensé de dérogation " espèces protégées ".
6. Il en résulte que la requête de la société Ferme Éolienne de Santigny doit, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.
DÉCIDE
Article 1er : La requête de la société Ferme Éolienne de Santigny est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ferme Éolienne de Santigny et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée à la ministre de la transition énergétique.
Délibéré après l'audience du 11 mai 2023 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mai 2023.
Le président, rapporteur,
V.-M. Picard
Le président assesseur,
Ph. SeilletLa greffière,
A. Le ColleterLa République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 21LY02362
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