Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 5 décembre 2022 par lequel le préfet du Rhône a ordonné son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2208365 du 4 janvier 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal a fait droit à sa demande d'annulation.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 3 février 2023, la préfète du Rhône demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 2208365 du 4 janvier 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de rejeter la demande de M. A... devant le tribunal administratif.
Il soutient que c'est à tort que le premier juge a considéré que la décision de transfert était entachée de méconnaissance de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 dès lors qu'aucun document d'ordre médical prouve que l'intéressé se trouverait dans une situation de vulnérabilité telle que sa condition physique ne lui permettrait pas d'exécuter la mesure prise à son endroit et que les autres moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 23 avril 2023, présenté pour M. A... (non communiqué), il conclut au rejet de la requête, à ce que soit mise à la charge de l'État le paiement à son conseil, sous réserve qu'il renonce à l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que le moyen soulevé par la préfète du Rhône n'est pas fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Seillet, président assesseur ;
- et les observations de Me Samba Sambeligue, pour M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen né le 18 novembre 1996 à Coyah (République de Guinée), est entré sur le territoire français le 23 mai 2022, selon ses déclarations, afin de solliciter l'asile, ce qu'il a fait le 7 juillet 2022. La consultation du fichier européen EURODAC a fait alors apparaître que M. A... avait été identifié en Italie, le 13 mai 2022, suite à un franchissement irrégulier de la frontière. Les autorités italiennes, saisies le 29 juillet 2022, sur le fondement de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, d'une demande de prise en charge, ont donné leur accord implicite par une décision née le 30 septembre 2022. Par un arrêté du 5 décembre 2022 le préfet du Rhône a ordonné la remise de M. A... aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile. Le préfet du Rhône relève appel du jugement du 4 janvier 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté.
2. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
3. La faculté laissée à chaque État membre, par le 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
4. S'il ressort des pièces du dossier, en particulier d'une attestation établie par le centre départemental de santé de l'Isère le 16 septembre 2022, que M. A... a été diagnostiqué porteur d'une pathologie infectieuse, non contagieuse, responsable d'une fatigue importante, pour laquelle il bénéficiait d'une surveillance médicale et pour laquelle une rupture de prise en charge médicale pourrait constituer une perte de chance thérapeutique et un risque de santé publique, l'attestation mentionnant la nécessité d'un hébergement et d'une alimentation stable, il ne ressort pas de cette attestation, rédigée par un médecin pneumologue qui, au demeurant, mentionne un suivi dans un centre antituberculeux alors que le certificat médical confidentiel destiné au médecin coordonnateur de l'Office français de l'immigration et de l'insertion (OFII), rédigé le même jour par le même praticien, évoque seulement une pathologie hépatique, que l'intéressé ne pourrait bénéficier de soins adaptés à son état de santé en Italie, nonobstant le risque, en cas de transfert, d'une interruption temporaire du traitement. Dans ces conditions, cet état ne faisait pas obstacle à son transfert en Italie, où il n'est pas allégué qu'il n'aurait pas accès aux soins nécessités par son état. Si M. A... s'est également prévalu de la méconnaissance des articles 31 et 32 du règlement(UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, ces dispositions, relatives à l'échange d'informations pertinentes et de données concernant la santé avant l'exécution d'un transfert ne concernent que l'exécution des décisions de transfert et leur éventuelle méconnaissance est sans incidence sur leur légalité. Par suite, c'est à tort que, pour annuler la décision de transfert en litige, le premier juge s'est fondé sur le motif tiré de ce qu'en s'abstenant de faire application du 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, le préfet du Rhône avait méconnu ces dispositions.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A....
6. En premier lieu, la décision contestée a été signée par Mme B... C..., chef du pôle régional Dublin de la préfecture du Rhône, à qui la préfète du Rhône a délégué sa signature, par un arrêté du 30 janvier 2023 régulièrement publié, à l'effet de signer la totalité des actes établis par la direction dont elle dépend, soit la direction des migrations et de l'intégration comme précisé à l'article 2 de cet arrêté, en cas d'absence ou d'empêchement de la directrice des migrations et de l'intégration, dont il n'est ni établi ni même allégué qu'elle n'aurait pas été absente ou empêchée à la date de l'arrêté en litige. Le moyen tiré de l'incompétence de la signataire manque donc en fait et doit être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du troisième alinéa de l'article L. 571-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ".
8. En application des dispositions précitées de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
9. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
10. La décision de transfert en litige vise le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et notamment son article 13. Elle indique que la consultation du fichier " Eurodac " a révélé que M. A... avait été identifié en Italie lors d'un franchissement irrégulier de la frontière et que les autorités de ce pays, saisies le 29 juillet 2022 sur le fondement de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, avaient donné leur accord implicite à sa prise en charge le 30 septembre 2022. Ces énonciations ont mis l'intéressé à même de comprendre les motifs de la décision pour lui permettre d'exercer utilement un recours. Dès lors, la décision litigieuse est suffisamment motivée au regard des exigences qu'imposent les dispositions de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. En dernier lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Aux termes de l'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre État qu'elle entend requérir, en application du règlement (UE) n° 604/2013 (...), il est procédé à l'enregistrement de la demande selon les modalités prévues au chapitre I du titre II. Une attestation de demande d'asile est délivrée au demandeur selon les modalités prévues à l'article L. 521-7. Elle mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'État responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet État. Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'État d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre État ".
12. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
13. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les États membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un État autre que la France, que cet État a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet État membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet État membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet État de ses obligations.
14. En l'espèce, il n'est pas établi qu'il existerait de sérieuses raisons de croire en des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs en Italie, entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ou de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, les seules circonstances, à les supposer établies, qu'à la suite de l'examen de sa demande de protection, M. A... serait susceptible d'être éloigné à destination de son pays d'origine ou qu'il aurait subi de mauvais traitements en Italie ne peut caractériser la méconnaissance par cet État de ses obligations, ni la méconnaissance par la France des obligations résultant des articles 3 de la convention européenne des droits de l'homme, des articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ou de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés. Par suite, doivent être écartés les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
15. Il résulte de ce qui précède que la préfète du Rhône est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision en litige. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions du conseil de M. A... tendant au bénéfice des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2208365 du 4 janvier 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : Les conclusions de M. A... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. D... A....
Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 27 avril 2023 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mai 2023.
Le rapporteur,
Ph. SeilletLe président,
V.-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY00445
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