Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du 9 août 2022 du préfet de la Haute-Savoie portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2205457 du 23 septembre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a, dans un article 1er, admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire et, dans un article 2, annulé les décisions susvisées.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 octobre 2022 et 14 mars 2023, le préfet de la Haute-Savoie demande à la cour d'annuler le jugement du 23 septembre 2022 et de rejeter la demande présentée par M. B....
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le mémoire en défense qu'il a présenté le 22 septembre 2022 n'a pas été communiqué ;
- c'est à tort que le premier juge a estimé fondé le moyen tiré de la méconnaissance par l'arrêté en litige de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que l'intéressé est célibataire et sans charge familiale, qu'il ne justifie pas avoir tissé depuis son entrée sur le territoire français des liens personnels ou familiaux d'une particulière intensité et n'établit pas être dépourvu de lien familial dans son pays d'origine où réside toujours sa mère ;
- les moyens soulevés par M. B... devant le tribunal doivent être écartés.
Par deux mémoires, enregistrés les 6 mars et 29 mars 2023 (ce dernier n'ayant pas été communiqué), M. B... conclut au rejet de la requête et demande à la cour d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de lui délivrer un titre de séjour ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt sous astreinte de cent euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le préfet de la Haute-Savoie n'a pas procédé à un examen sérieux de la situation de l'intéressé ;
- l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît celles de l'article 3 de la même convention ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est entachée d'une erreur d'appréciation au regard des articles L. 612-8 et 10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant malien né en novembre 1997, déclare être entré en France le 15 janvier 2019. Sa demande d'asile a été définitivement rejetée par décision de la Cour nationale du droit d'asile le 6 mai 2022. Par un arrêté du 9 août 2022, le préfet de la Haute-Savoie lui a fait obligation de quitter le territoire français, sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Le préfet de la Haute-Savoie relève appel de l'article 2 du jugement par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...). / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Il résulte des deuxième et troisième alinéas de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, destinés à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer le premier mémoire d'un défendeur ou tout mémoire contenant des éléments nouveaux, est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.
3. Il ressort des pièces du dossier que le premier mémoire en défense a été produit par le préfet de la Haute-Savoie le 22 septembre 2022 soit la veille de l'audience et avant la clôture de l'instruction prévue, conformément à l'article R. 776-26 du code de justice administrative, soit après que les parties ont formulé leurs observations orales, soit, si ces parties sont absentes ou ne sont pas représentées, après appel de leur affaire à l'audience. Ce mémoire en défense n'a pas été communiqué à M. B.... Il contenait la réponse du préfet de la Haute-Savoie aux moyens soulevés par l'intéressé dans sa requête qui ont conduit le premier juge a annulé les décisions préfectorales en litige. Il ressort en outre des pièces du dossier que le courrier du 31 août 2022 du greffe du tribunal communiqué au préfet de la Haute-Savoie a mentionné la possibilité pour ledit préfet de produire son mémoire en défense jusqu'au jour de l'audience. Dans ces conditions, l'absence de communication du premier mémoire en défense du préfet à M. B... a préjudicié aux droits du préfet de la Haute-Savoie. Dès lors, le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que le jugement attaqué est intervenu en méconnaissance tant des dispositions précitées de l'article R. 611-1 du code de justice administrative que du principe du caractère contradictoire de la procédure. Il s'ensuit que le jugement attaqué est irrégulier et qu'il doit être annulé.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble.
Sur le bien-fondé de la demande présentée par M. B... :
5. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Haute-Savoie n'aurait pas procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de M. B... au regard des éléments en sa possession à la date d'édiction de son arrêté.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...). "
7. M. B... se prévaut de sa présence en France depuis trois ans et huit mois à la date de l'arrêté en litige et de la création de fortes attaches personnelles depuis son arrivée sur le territoire et notamment de relations amicales intenses liées à la préparation et la réalisation de l'ascension du Mont-Blanc le 23 septembre 2021. Si les témoignages produits au dossier attestent des qualités personnelles de M. B..., il ressort des pièces du dossier que ce dernier n'a aucune attache familiale en France, étant en outre célibataire et sans charge de famille, alors qu'il ne conteste pas conserver au Mali, pays où il a vécu jusqu'à l'âge de vingt-deux ans, de telles attaches et notamment sa mère. Il ne justifie d'aucune intégration professionnelle en France. Dans ces conditions, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de la durée relativement courte de séjour de l'intéressé sur le territoire français, l'arrêté en litige n'a pas porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Dès lors, il n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. En troisième lieu, M. B... soutient être d'ethnie soninké et issu d'une famille d'esclaves, circonstances qui ont motivé son départ du Mali où il a fait l'objet de menaces. Il indique présenter un stress post-traumatique en lien avec ces évènements. Toutefois, l'intéressé n'apporte aucun élément de nature à démontrer qu'il serait personnellement exposé à des risques pour sa vie en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance par l'arrêté en litige des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".
10. Il résulte de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux.
11. M. B... soutient que l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée à son encontre est entachée d'erreur dans l'appréciation de sa situation au regard des articles L. 612-8 et L. 612-10 du code l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et porte atteinte à sa vie privée et familiale. Toutefois, il ressort de l'arrêté en litige que le préfet de la Haute-Savoie a mentionné la durée de présence en France de l'intéressé, l'absence d'attaches familiales et personnelles en France et le fait que M. B... a conservé des attaches familiales dans son pays d'origine. Dans ces conditions, et alors même que M. B... ne constitue pas une menace pour l'ordre public, le préfet n'a pas commis une erreur d'appréciation en prononçant à l'encontre de ce dernier une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an en vertu des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En outre, en l'absence de tout argument particulier, M. B... n'est pas fondé à soutenir que cette décision porte atteinte à sa vie privée et familiale pour les mêmes motifs que ceux visés au point 7.
12. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté en litige. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2205457 du 23 septembre 2022 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : La demande de M. B... présentée devant le tribunal administratif de Grenoble est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie et au procureur de la république près le tribunal judiciaire d'Annecy.
Délibéré après l'audience du 6 avril 2023 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre ;
Mme Dèche, présidente assesseure ;
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 avril 2023.
La rapporteure,
V. Rémy-NérisLe président,
F. Bourrachot
La greffière,
A-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY03053
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