Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler la décision du 28 octobre 2019 par laquelle la ministre du travail a autorisé la société Copirel à le licencier pour motif économique.
Par un jugement n° 1902571 du 1er février 2022, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé la décision de la ministre du travail du 28 octobre 2019.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 1er avril 2022 et un mémoire enregistré le 28 novembre 2022, présentés pour la société Cofel Industries, il est demandé à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1902571 du 1er février 2022 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ;
2°) de rejeter la demande de M. A... devant le tribunal ;
3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- dès lors que les sociétés Cofel Holding et Cofel Industries ne partagent pas le même secteur d'activité, la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise devait être appréciée uniquement au regard des difficultés économiques de cette dernière société ;
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la société Copirel, devenue la société Cofel Industries, comme, plus généralement, le groupe Cofel, a justifié du motif tiré de la réorganisation en vue de la sauvegarde de la compétitivité et démontré qu'elle était nécessitée par la perte de parts de marché, le motif tiré de la nécessité de sauvegarde de compétitivité étant précisément étayé par la démonstration des difficultés économiques engendrées par l'accroissement du caractère concurrentiel du secteur d'activité sur lequel le groupe intervient, alors même qu'elle aurait conservé une position de leader sur le marché de la literie ;
- une confirmation du jugement attaqué porterait une atteinte excessive aux intérêts de la société dans la mesure où elle se verrait contrainte de réintégrer M. A... et de lui verser ses salaires pour la période comprise entre son licenciement et sa réintégration, et ce, alors que le site de Langeac a cessé toute activité.
Par un mémoire enregistré le 13 juillet 2022, présenté pour M. A..., il conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Cofel Industries au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Un mémoire du ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, enregistré le 28 novembre 2022, n'a pas été communiqué.
Par une ordonnance du 30 novembre 2022 la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 9 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Seillet, président assesseur ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Hamon, pour la société Cofel Industries, ainsi que celles de Me Borie, pour M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Copirel (COmpagnie PIkolin REcticel de Literie), dénommée aujourd'hui la société Cofel Industries, unique société opérationnelle du groupe Cofel (COmpagnie Financière Européenne de Literie), a sollicité, après la validation, par une décision du 22 février 2019 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Auvergne-Rhône-Alpes, de l'accord majoritaire collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi, prévoyant la fermeture du site de production implanté sur le site de la zone industrielle de Langeac, sur le territoire de la commune de Mazeyrat-d'Allier (Haute-Loire), et la suppression de tous les postes de ce site, l'autorisation de licencier pour motif économique M. A..., salarié protégé de la société titulaire du mandat de délégué du personnel. Par une décision du 6 juin 2019, l'inspecteur du travail de l'unité départementale de la Haute-Loire a refusé d'autoriser la société Copirel à licencier M. A.... Toutefois, par une décision du 28 octobre 2019, la ministre du travail, saisie d'un recours hiérarchique formé par cette société, a annulé cette décision de l'inspecteur du travail et autorisé la société Copirel à licencier ce salarié. La société Cofel Industries relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé cette autorisation.
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives qui bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, est subordonné à une autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. En outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence. Pour apprécier la réalité du motif économique allégué à l'appui d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d'un groupe, l'autorité administrative est tenue de faire porter son examen sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d'activité que la société en cause.
3. Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : (...) 3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité (...) / (...) Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude. / Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. / Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché. (...) ".
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier et, en particulier, des extraits K bis de la société Copirel, devenue la société Cofel Industries, d'une part, et de la société Cofel, devenue la société Cofel Holding, d'autre part, qu'alors que la première a pour activité " la fabrication, l'importation ou l'exportation, la conception, le marketing et la commercialisation de produits de literie " (code NAF " fabrication de matelas "), celle de la seconde consiste en " la détention de participation dans toutes les sociétés ayant pour objet la fabrication et/ou la commercialisation de literie " (code NAF " activités des sièges sociaux "), et ses statuts prévoient comme objet, outre la détention du capital de la société Copirel et de toutes autres sociétés ayant pour objet la conception, la fabrication et/ou la commercialisation d'articles de literie, la gestion de ces participations, le conseil commercial, financier et administratif, la fourniture de toutes prestations dans ce domaine, l'assistance en matière d'investissement et de développement, la recherche d'accords commerciaux ou industriels en vue de développer l'activité du groupe, l'acquisition, l'exploitation, la concession et la cession de marque, brevets ou modèles. Dès lors que la société requérante expose, sans être contredite sur ce point, qu'elle commercialise ses produits auprès d'acteurs de la distribution de l'ameublement et auprès du secteur de l'hôtellerie, et alors qu'il ne ressort des pièces du dossier ni que la société Cofel Holding ou les autres sociétés relevant du groupe Cofel établies sur le territoire national exerceraient elles-mêmes une activité de fabrication et commercialisation d'articles de literie, ni que les prestations qu'elles fournissent pourraient l'être auprès de la même clientèle que celle de la société Cofel Industries et selon le même réseau de distribution, au sens des dispositions précitées de l'article L. 1233-3 du code du travail, ces sociétés et, en particulier, la société Cofel Holding, ne peuvent être regardées comme œuvrant dans le même secteur d'activité que celui de la société Copirel devenue Cofel Industries. Dès lors la ministre chargée du travail n'a pas commis d'erreur d'appréciation dans la définition du périmètre d'examen des difficultés économiques alléguées par cette société en limitant ce périmètre à celui de cette dernière société.
5. En second lieu, il ressort des pièces du dossier et, en particulier, de la note économique transmise au comité d'entreprise, des études du cabinet Xerfi, spécialisé dans les études sur les secteurs et les entreprises, et des derniers bilans et comptes de résultat de la liasse fiscale de l'entreprise, que la société Copirel, devenue la société Cofel Industries, a été confrontée à une baisse de 8,5 % de son chiffre d'affaires entre 2016 et 2018, passant de 233,4 M€ en 2016 à 213,6 M€ en 2018, ainsi qu'à une nette dégradation de son résultat d'exploitation, qui a connu une baisse de 56 % entre 2016 et 2017 puis une nouvelle baisse de 75 % entre 2017 et 2018, soit une baisse totale de ce résultat de 89 % par rapport à 2016 alors que, sur la même période, son taux de rentabilité a chuté de 4,22 % en 2016 à 0,5 % en 2018. Dans ces conditions, et eu égard à des tendances structurelles, caractérisées, dans le secteur d'activité de la literie en France, par une diminution de la production française de matelas et sommiers de 26 % entre 2010 et 2017, une augmentation des importations de matelas et sommiers de 100 M€ sur la même période, une très forte augmentation du prix de la mousse alvéolaire, constituant la matière première et le principal composant des matelas, de 32 % entre 2016 et 2018, il existait, à la date de la décision ministérielle en litige, une menace pesant sur la compétitivité du secteur d'activité de la fabrication et la commercialisation de literie dont relève la société Copirel, devenue la société Cofel Industries, au sein du groupe Cofel, de nature à justifier la réorganisation du groupe, de sorte que la réalité du motif économique allégué à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement était établie à la date de la décision ministérielle en litige alors même que cette société, comme l'ont relevé les premiers juges, avait conservé sa première place en termes de parts de marché sur ce secteur d'activité en France, soit 29 %, et qu'elle aurait mieux supporté que ces concurrents le tassement du marché en 2018 et la hausse des matières premières et du coût des transports auxquels font également face ses concurrents. Dès lors qu'il n'appartient pas au juge administratif, pas davantage qu'à l'administration du travail, de substituer son appréciation des choix de gestion à celle de l'employeur ni, par suite, de rechercher si la menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité dont elle relève au sein d'un groupe est due à la faute ou à la légèreté blâmable de l'employeur, l'intimé ne peut utilement se prévaloir de la circonstance, à la supposer établie, qu'une partie importante de la baisse du résultat d'exploitation de l'année 2018 s'expliquerait par les frais de fermeture de l'établissement de Mazeyrat-d'Allier et par le coût de l'investissement de l'ouverture, en juin 2016, d'une nouvelle usine à Criquebeuf-sur-Seine et que le groupe aurait privilégié les remontées de dividende des actionnaires. Il ne peut davantage se prévaloir de l'amélioration des résultats, au cours de l'exercice clos en 2019, qui résulte en partie des effets de la réorganisation dans le cadre de laquelle a été sollicitée l'autorisation de son licenciement. Par suite, c'est à tort que, pour annuler la décision ministérielle en litige, les premiers juges se sont fondés sur le motif tiré ce que le licenciement dont l'autorisation était sollicitée n'était pas justifié par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise.
6. Il résulte de ce qui précède, et dès lors que l'autre moyen soulevé par M. A..., qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige, d'examiner au titre de l'effet dévolutif, tiré d'une erreur d'appréciation qu'aurait commise la ministre chargée du travail dans la définition du périmètre d'examen des difficultés économiques alléguées par la société Cofel Industries, doit être écarté par le motif exposé au point 4, que la société Cofel Industries est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé la décision du 28 octobre 2019 par laquelle la ministre du travail a autorisé la société Copirel à licencier M. A... pour motif économique.
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Cofel Industries, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais liés au litige exposés par M. A.... Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ce dernier une somme au titre de frais exposés par la société requérante.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1902571 du 1er février 2022 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand est annulé.
Article 2 : Les conclusions de M. A... sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cofel Industries, au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 6 avril 2023 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 avril 2023.
Le rapporteur,
Ph. SeilletLe président,
V.-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY00981
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