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27/04/2023 | FRANCE | N°21LY03411

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 27 avril 2023, 21LY03411


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 22 octobre 2021 ainsi que les 10 et 25 mars et le 4 avril 2022, l'association Noyant-Air, M. et B... O... P..., M. Q... C..., M. et B... N... D..., B... et M. A... H..., M. K... F..., M.et B... M... J..., M. E... G... et la famille I... (représentée par B... L... I...), représentés par Me Braud, demandent à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 24 juin 2021 du préfet de l'Allier portant autorisation environnementale pour la réalisation du parc éolien " le moulin du bocage " sur la commune de Gi

pcy ;

2°) de demander au préfet de leur communiquer l'avis de l'architect...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 22 octobre 2021 ainsi que les 10 et 25 mars et le 4 avril 2022, l'association Noyant-Air, M. et B... O... P..., M. Q... C..., M. et B... N... D..., B... et M. A... H..., M. K... F..., M.et B... M... J..., M. E... G... et la famille I... (représentée par B... L... I...), représentés par Me Braud, demandent à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 24 juin 2021 du préfet de l'Allier portant autorisation environnementale pour la réalisation du parc éolien " le moulin du bocage " sur la commune de Gipcy ;

2°) de demander au préfet de leur communiquer l'avis de l'architecte des bâtiments de France, le dossier du nouvel exploitant ainsi que l'avis de la commission départementale de la nature des sites et des paysages (CNDPS) ;

3°) de mettre à la charge de l'État et de la société parc éolien du " moulin du bocage " une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- leur requête est recevable ;

- l'autorisation environnementale a été délivrée malgré l'avis défavorable de l'architecte des bâtiments de France, non joint au dossier ;

- le dossier soumis à l'enquête publique est insuffisant et a été modifié postérieurement à l'enquête publique ;

- l'arrêté est illégal en l'absence d'une demande de dérogation relative aux espèces protégées et en raison du caractère incomplet du dossier ;

- l'étude d'impact est insuffisante ;

- l'arrêté méconnaît les articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement et porte atteinte aux intérêts protégés ;

- l'arrêté ne prend pas en compte l'absence de rentabilité du projet.

Par des mémoires enregistrés les 26 janvier, 31 mars et 3 juin 2022, ces deux derniers n'ayant pas été communiqués, la société parc éolien du " moulin du bocage ", représentée par Me Gelas, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de l'association Noyant-Air et autres la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la requête est irrecevable, les requérants n'ayant pas intérêt à agir, et qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

Par un mémoire enregistré le 10 février 2022, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

Par une ordonnance du 23 mai 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code du patrimoine ;

- le code de l'urbanisme ;

- l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de B... Djebiri, première conseillère ;

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Braud pour l'association Noyant-Air et autres, ainsi que celles de Me Gelas, pour la société parc éolien du " moulin du bocage " ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 24 juin 2021, dont l'association Noyant-Air et autres demandent l'annulation, le préfet de l'Allier a délivré à la société parc éolien du " moulin du bocage " une autorisation environnementale pour la réalisation d'un parc éolien constitué de cinq aérogénérateurs de 150 mètres de hauteur et de deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Gipcy.

Sur la composition du dossier de demande d'autorisation :

2. En premier lieu, les requérants soutiennent que l'autorisation environnementale a été délivrée malgré l'avis défavorable de l'architecte des bâtiments de France (ABF), non joint au dossier. Toutefois, le projet, qui se trouve à environ 2 kilomètres des monuments protégés les plus proches, spécialement le château de Lalande dans la commune de Rocle, et l'église Saint-Pierre de Gipcy, est à plus de 500 mètres de tout monument historique protégé au titre de l'article L. 621-30 du code du patrimoine, aucune atteinte à un site patrimonial remarquable ou à un monument historique protégé ou à ses abords n'étant ici caractérisée. L'avis conforme de l'ABF n'était donc pas requis, la production au dossier d'enquête publique de son avis simple, que l'autorité administrative n'était pas tenue de suivre, n'étant pas exigée en vertu des articles R. 181-32 et R. 181-37 du code de l'environnement. Aucune irrégularité n'a ici été commise.

3. En deuxième lieu, la ministre de la transition écologique a produit l'avis favorable émis le 11 février 2019 par le directeur de la circulation aérienne militaire du ministère des armées, conformément à l'article R. 181-32 du code de l'environnement. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, pour se prononcer, le service de l'aviation militaire n'aurait pas disposé de données suffisantes. Par suite, le moyen tiré de l'absence d'avis du ministre de la défense concernant les radars ne peut qu'être écarté.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 123-14 du code de l'environnement : " Au vu des conclusions du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête, la personne responsable du projet, plan ou programme visé au I de l'article L. 123-2 peut, si elle estime souhaitable d'apporter à celui-ci des changements qui en modifient l'économie générale, demander à l'autorité organisatrice d'ouvrir une enquête complémentaire portant sur les avantages et inconvénients de ces modifications pour le projet et pour l'environnement. Dans le cas des projets d'infrastructures linéaires, l'enquête complémentaire peut n'être organisée que sur les territoires concernés par la modification. Dans le cas d'enquête complémentaire, le point de départ du délai pour prendre la décision après clôture de l'enquête est reporté à la date de clôture de la seconde enquête. Avant l'ouverture de l'enquête publique complémentaire, le nouveau projet, plan ou programme, accompagné de l'étude d'impact ou du rapport sur les incidences environnementales intégrant ces modifications, est transmis pour avis à l'autorité environnementale conformément, selon les cas, aux articles L. 122-1 et L. 122-7 du présent code et à l'article L. 104-6 du code de l'urbanisme et aux collectivités territoriales et à leurs groupements consultés en application du IV de l'article L. 122-1. "

5. Il résulte de ces dispositions qu'il est possible de modifier les caractéristiques du projet à l'issue de l'enquête publique, sous réserve, d'une part, que ne soit pas remise en cause l'économie générale du projet et, d'autre part, que cette modification procède de l'enquête. Doivent être regardées comme procédant de l'enquête les modifications destinées à tenir compte des réserves et recommandations de la commission d'enquête, des observations du public et des avis émis par les collectivités et instances consultées et joints au dossier de l'enquête.

6. En l'espèce, l'abandon de l'éolienne E6, qui est destinée à réduire les impacts du projet sur l'environnement, avec pour conséquence la mise à jour des capacités techniques et financières de l'exploitant, résulte notamment de l'avis défavorable émis par la commune de Noyant d'Allier. L'économie générale du projet, avec nécessité d'ouvrir une enquête complémentaire, ne s'en est pas trouvée remise en cause. Par ailleurs, le nouveau nom de la société porteuse du projet et celui de l'exploitant technique, introduits dans le dossier soumis à enquête publique, ont été portés à la connaissance du public. Par suite, aucune violation des dispositions de l'article L 123-14 du code de l'environnement ne saurait être retenue.

7. En quatrième lieu, même si le vérificateur et l'approbateur du rapport de la DREAL du 28 avril 2021 sont la même personne, une telle circonstance, en l'absence de toute règle imposant des personnes différentes, est insusceptible d'entacher d'illégalité l'arrêté contesté.

8. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 111-5 du code de l'urbanisme : " La construction de bâtiments nouveaux mentionnée au 1° de l'article L. 111-4 et les projets de constructions, aménagements, installations et travaux mentionnés aux 2° et 3° du même article ayant pour conséquence une réduction des surfaces situées dans les espaces autres qu'urbanisés et sur lesquelles est exercée une activité agricole ou qui sont à vocation agricole doivent être préalablement soumis pour avis par l'autorité administrative compétente de l'État à la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers prévue à l'article L. 112-1-1 du code rural et de la pêche maritime (...) ". L'article L. 111-4 prévoit : " Peuvent toutefois être autorisés en dehors des parties urbanisées de la commune : (...) 2° Les constructions et installations nécessaires à l'exploitation agricole, à des équipements collectifs dès lors qu'elles ne sont pas incompatibles avec l'exercice d'une activité agricole, pastorale ou forestière sur le terrain sur lequel elles sont implantées, à la réalisation d'aires d'accueil ou de terrains de passage des gens du voyage, à la mise en valeur des ressources naturelles et à la réalisation d'opérations d'intérêt national ; 3° Les constructions et installations incompatibles avec le voisinage des zones habitées et l'extension mesurée des constructions et installations existantes ".

9. Les requérants soutiennent que faute de consultation de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) de l'Allier en raison de la réduction des surfaces agricoles résultant du projet et de publicité de son avis lors de l'enquête, la procédure serait irrégulière. Il ressort des pièces du dossier que l'emprise définitive du parc éolien en litige, et donc la perte de d'espace cultivable, est d'environ 2,3 hectares au total alors que les surfaces agricoles utiles des territoires des communes de Gipcy et de Noyant sont, respectivement, de 1 988 hectares et de 1 269 hectares et que le réseau inter éolien, une fois réalisé, sera suffisamment enterré pour permettre la poursuite de l'activité agricole. Par ailleurs, aucune règle ne prévoit que l'avis de la CDPENAF soit joint au dossier d'enquête publique préalable à la délivrance de l'autorisation en litige. L'absence de consultation de la CDPENAF, compte tenu en particulier du caractère minime des surfaces agricoles finalement affectées ni, de toutes les façons, le défaut de publicité de son avis, n'ont pu exercer la moindre influence sur le sens de la décision prise ni priver qui que ce soit d'une garantie. Le moyen ne peut qu'être écarté.

Sur l'étude d'impact :

10. Aux termes de l'article R. 122-5 du code de l'environnement, dans sa rédaction alors applicable : " I. - Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, ouvrages et aménagements projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine. (...) ".

11. En premier lieu, l'étude d'impact a précisé les incidences liées au chantier de construction et au transport de machines, y compris pour ce qui est des parcelles à l'angle de la RD230 et de la RD136 et à l'angle de la RD230 et du chemin de Guyonnière. Les conséquences sur le milieu hydrique qui, à la suite de relevés pédologiques réalisés entre les 29 mars et 8 novembre 2018, ont été jugées faibles en phase de chantier et négligeables en phase d'exploitation, ont été étudiées, avec prise en compte de la présence de mares. Il en résulte également que le surplus de terre végétale et de substrat issu de l'excavation pour les fondations des machines sera conservé sur le site dans des bennes de collecte ou de stockage afin d'être éventuellement réutilisé par les exploitants agricoles. Les effets du chantier sur les milieux physiques n'apparaissent pas excessifs, toutes dispositions devant être prises pour éviter de souiller les abords du chantier. Aucune pièce versée au dossier ne permet ainsi d'affirmer que les auteurs de l'étude auraient sous-estimé les impacts du projet sur son environnement physique, les autres éléments invoqués, pour certains non assortis de précisions, n'étant pas, à eux-seuls, de nature à avoir nui à l'information complète du public ou à avoir exercé une influence sur la décision de l'autorité administrative. Par suite, et alors qu'elle n'avait pas à préciser l'identité des propriétaires concernés ou leurs avis, l'étude d'impact apparait suffisante s'agissant des conditions de réalisation du chantier.

12. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les haies et arbres dont la destruction a été constatée par huissier en 2019 et 2020 constituaient des habitats naturels du Grand Capricorne du chêne, alors que l'éolienne E6, dont l'installation était la plus susceptible de porter atteinte au seul arbre abritant avec certitude cette espèce, a été supprimée du projet et que la création d'un nouveau chemin d'accès entre les éoliennes E4 et E5, afin d'éviter la coupe ou l'élagage d'arbres favorables au Grand Capricorne ou l'abritant, a été décidée. Dans ces circonstances, et quand bien même la mise en place du projet entraînera la suppression de linéaires de haies, où la présence de grands capricornes n'a cependant pas été relevée, mais avec en particulier recréation d'habitats favorables aux insectes saproxyliques, aucune obsolescence de l'étude d'impact, en ce qu'elle ne porte sur cette espèce, ne saurait être retenue.

13. En troisième lieu, il n'apparaît pas que le projet porterait atteinte à des zones humides, au sens de l'article 23 de la loi n° 2079-773 du 24 juillet 2019, qui n'auraient pas été identifiées, celles-ci ayant été recherchées conformément à la réglementation alors en vigueur, en procédant notamment à des sondages pédologiques. A l'emplacement des éoliennes et de leurs infrastructures, aucune zone humide n'a été relevée. La zone humide à proximité immédiate de l'implantation des fondations de l'aérogénérateur E5 a bien été prise en considération, les effets du projet sur ce milieu ayant par ailleurs été étudiés au stade de sa construction comme de son exploitation. L'absence de prise en compte de l'impact du projet sur des habitats naturels d'espèces protégées vivant dans les milieux humides n'est pas avérée. Si l'étude d'impact prévoit la réalisation d'une étude géotechnique et hydrogéologique en amont du chantier au droit de l'implantation de chacune des éoliennes, afin de définir précisément les éventuelles précautions complémentaires à prendre pour la construction du projet éolien, une telle circonstance ne permet pas d'établir l'insuffisance de cette étude. Les effets du projet sur les milieux hydriques apparaissent ainsi avoir été suffisamment pris en compte.

14. En quatrième lieu, l'étude d'impact comporte dans ses différentes parties les rubriques concernant l'avifaune avec en particulier un état des lieux des espèces à enjeux, un volet méthodologique et biographique, des relevés de terrain, un examen des impacts du projet sur ces espèces et des préconisations pour les prévenir ou les limiter. Parmi les différentes espèce d'oiseaux protégés dont elle a relevé la présence, l'étude environnementale réalisée par un bureau d'études spécialisé, dont la méthodologie a été exposée dans l'étude d'impact, a fait état de l'observation d'une cigogne noire en phase de migration active mais sans que la nidification d'individus de cette espèce sur le site d'implantation du projet ou à proximité ne soit rapportée. L'étude mentionne également la présence du grand-duc d'Europe, précisant qu'au moins une dizaine de couples de cette espèce niche dans la zone des 20 kilomètres. Rien ne permet cependant de dire que, en raison des méthodes d'évaluation utilisées, les observations intéressant l'avifaune seraient erronées ou incomplètes. L'étude d'impact n'apparaît donc pas insuffisante sur ce point.

15. En dernier lieu, aux termes de l'article R. 512-8 du code de l'environnement, dans sa rédaction alors applicable : " (...) II. - Le contenu de l'étude d'impact est défini à l'article R. 122-5. Il est complété par les éléments suivants : (...) 2° Les mesures réductrices et compensatoires mentionnées au 7° du II de l'article R. 122-5 font l'objet d'une description des performances attendues, notamment en ce qui concerne la protection des eaux souterraines, l'épuration et l'évacuation des eaux résiduelles et des émanations gazeuses ainsi que leur surveillance, l'élimination des déchets et résidus de l'exploitation, les conditions d'apport à l'installation des matières destinées à y être traitées, du transport des produits fabriqués et de l'utilisation rationnelle de l'énergie ; (...) ".

16. Les requérants soutiennent que les dispositions précitées ont été méconnues dès lors que les modalités de raccordement du projet au réseau électrique ont été évoquées de façon succincte et que les mesures compensatoires n'ont pas été abordées de façon précise. Toutefois, le raccordement d'une installation de production d'électricité aux réseaux de transport de distribution et de transport d'électricité, qui incombe aux gestionnaires de ces réseaux et qui relève d'une autorisation distincte, ne constitue pas un transport des produits fabriqués au sens des dispositions précitées de l'article R. 512-8 du code de l'environnement. Le moyen invoqué doit donc être écarté.

Sur le moyen tiré de l'absence de concertation et d'information des élus et citoyens :

17. Le moyen tiré de l'absence de concertation et d'information des élus et citoyens, en particulier d'une méconnaissance de l'article L. 120-1 du code de l'environnement a été soulevé dans le mémoire enregistré le 11 mai 2021, plus de deux mois après communication du premier mémoire en défense aux requérantes, le 27 janvier 2022 et, dès lors, est irrecevable en application des dispositions des articles R. 311-5 et R. 611-7-2 du code de justice administrative.

Sur le choix d'un modèle d'éoliennes :

18. Si les requérants contestent le choix d'un modèle d'éolienne avec une garde au sol de 18 mètres et invoquent l'absence de pertinence de l'implantation d'un parc éolien au sein du bocage bourbonnais dans un contexte de faible gisement de vents, il n'appartient pas juge administratif d'apprécier l'opportunité de tels choix.

Sur les atteintes à l'environnement :

19. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...), les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (...) ".

20. Tout d'abord, l'appréciation de l'exigence de protection et de conservation de la nature et des paysages énoncée plus haut implique une évaluation du lieu d'implantation du projet et puis une prise en compte de la taille des éoliennes projetées, de la configuration des lieux et des enjeux de co-visibilité, au regard, notamment, de la présence éventuelle, à proximité, d'autres parcs éoliens, et des effets d'atténuation de l'impact visuel du projet.

21. Il résulte de l'étude paysagère que le parc éolien se trouve dans un secteur marqué par l'agriculture, notamment l'élevage, et des boisements de conifères dédiés à l'exploitation, au sein de l'unité paysagère de la forêt et du bocage Bourbonnais caractérisée par une ondulation du relief et une végétation dense, non dénuée d'intérêt. Une végétation dense créant un effet d'enveloppe permet de limiter les vues. Le projet est à l'échelle du paysage, où un recul important vis-à-vis des Côtes Matras a été prévu afin d'éviter un fort effet d'écrasement dommageable pour la qualité paysagère des lieux. Plusieurs lieux de vie, espaces protégés et chemins de randonnée sont situés dans le voisinage du parc, qui restent globalement préservés avec des atteintes qualifiées de nulles à faibles. La modification sensible du paysage quotidien est limitée à des séquences ponctuelles depuis les bourgs ou au sein des hameaux et fermes isolées les plus proches. Les impacts les plus significatifs affectent des sites tels que l'église Saint-Pierre de Gipcy ou le château de Lalande à Rocles, proches du parc, ou l'église Saint-Loup de Saint-Hilaire qui, implantée sur un point haut du territoire, bénéficie d'une large ouverture visuelle depuis ses abords immédiats, même si une densification de la haie arborescente située en contrebas de cet dernier édifice est prévue et le panorama principal est orienté en direction opposée au projet. Bien que réelles, et alors que l'insuffisance des mesures d'évitement, de réduction et, compensation (ERC) n'est pas avérée, les atteintes que ce projet porte à la nature et aux paysages, y compris les sites et monuments, n'apparaissent pas excessives au regard des exigences de l'article L. 511-1 ci-dessus.

22. Ensuite, il n'apparaît pas que l'implantation d'éoliennes sur des terres agricoles, dont l'emprise au sol, inférieure à 2 hectares, est très limitée et dont la mise en place implique que les fondations et les câbles seront enterrés, compromettrait l'agriculture dans le secteur concerné au sens de cette même disposition.

23. Enfin, et concernant les atteintes à la commodité du voisinage, les requérants soutiennent que le projet litigieux, en raison de nuisances sonores, serait de nature à affecter la santé et la salubrité publiques. Si, dans son avis du 1er février 2019 l'ARS a relevé qu'un " ( ...) complément de l'étude acoustique incluant les secteurs de vent majoritaires et hors période estivale permettrait d'apprécier de façon plus pertinente l'impact sonore sur les riverains ", il apparaît, au vu de l'étude d'impact en particulier, que les émergences sonores diurnes et nocturnes mesurées, compte tenu notamment de la suppression de l'éolienne E6 et de la réduction des nuisances en résultant pour le hameau de Chevrotière, respectent les exigences des articles 26 et suivants de l'arrêté visé plus haut du 26 août 2011. Dans ces conditions, le risque que ces nuisances sonores entraineraient pour la santé des habitants n'apparaît pas caractérisé, aucune violation de l'article L. 511-1 ne pouvant davantage être retenue ici.

Sur l'exigence d'une dérogation " espèces protégées " :

24. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat;(...) 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ; (...) ". Le I de l'article L. 411-2 du même code renvoie à un décret en Conseil d'État la détermination des conditions dans lesquelles sont fixées, notamment, la " délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ".

25. Il en résulte que la destruction ou la perturbation d'animaux appartenant à des espèces protégées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Le système de protection des espèces faisant l'objet d'une protection impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées à ces espèces, proposées par le pétitionnaire, doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".

26. Tout d'abord, faute pour l'autorisation en cause de tenir lieu de dérogation " espèces protégées " au titre du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, le dossier de demande d'autorisation n'avait pas à comporter les informations requises par l'article D. 181-15-5 du même code.

27. Ensuite, et s'agissant du Grand Capricorne, l'éolienne E6, proche d'un arbre abritant avec certitude des individus de cette espèce, a été supprimée et, par ailleurs l'exploitant est appelé à prendre des mesures destinées à éviter l'abattage et l'élagage de tout arbre abritant cet insecte protégé, avec plantation ou renforcement de haies bocagères. Le risque d'impact du projet sur les chiroptères est jugé globalement modéré à fort selon les éoliennes, les Noctules, les Pipistrelles et les Sérotine étant les espèces encourant les dangers les plus élevés, les espèces de lisière, qu'il s'agisse des Barbastelles, des Murins ou des Oreillards, étant les moins exposées, compte tenu notamment d'une implantation des éoliennes en zone de culture, pour l'essentiel à l'écart des milieux particulièrement favorables aux chiroptères. L'arrêté contesté prévoit notamment, à cet égard, un dispositif de bridage en fonction des conditions météorologiques, avec arrêt de l'ensemble des machines sur les cinq premières heures de la nuit entre avril et juillet et toute la nuit d'août à septembre, et le maintien d'une végétation rase au niveau des plateformes des éoliennes, destinée à diminuer leur attractivité pour les insectes et donc pour les chauves-souris. Quant aux espèces d'oiseaux protégés, il apparaît que les risques de collision invoqués restent limités, excepté en particulier pour la buse variable et le faucon crécerelle, mais que, dans l'étude d'impact, l'exploitant s'est engagé sur la création d'habitats de chasse favorables, à distance du parc, l'installation de systèmes de détection et d'arrêt des éoliennes ou de toute autre technique adaptée aux espèces et que l'arrêté en litige impose des gravillons sur les plateformes, sans que l'efficacité de telles mesures soit sérieusement contredite. Dans ces circonstances, et alors que l'effectivité des mesures de réduction envisagées, surtout pour les oiseaux et chauve-souris protégés, n'est pas pertinemment remise en cause, il n'apparaît pas que les risques que le projet comporte pour la faune seraient tels qu'ils devraient ici être regardés comme suffisamment caractérisés et que l'exploitant aurait dû demander et obtenir une dérogation " espèces protégées ".

Sur la rentabilité économique du projet :

28. Il apparaît que la société parc éolien du " moulin du bocage " a investi environ 22 millions d'euros pour le parc litigieux, financé à hauteur de 20 % par un apport en capital et de 80 % par un emprunt bancaire, et que la société mère, la société RWE Renewables GmbH, s'est engagée par une lettre du 15 décembre 2020 à garantir, dans une limite de 26 400 000 euros, les obligations que sa filiale a souscrites pour la construction du projet, son exploitation ou son démantèlement, et à lui apporter éventuellement les capitaux propres nécessaires en l'absence de prêt bancaire et que le dossier d'enquête justifiait des capacités techniques et financières de l'exploitant, initialement dans le dossier de demande d'autorisation, puis dans un document intitulé " compléments " de décembre 2020. En l'espèce, les requérants ne démontrent pas que le projet ne serait pas viable économiquement en se fondant sur un document intitulé " démonstration de la non viabilité économique d'une variante à 6 éoliennes de modèle N117 ", qui ne correspond pas au projet composé de 5 éoliennes de modèle N131. Le plan d'affaire prévisionnel permet de couvrir les coûts de démantèlement et l'arrêté attaqué fixe en son article 2.2 le montant des garanties financières fixé par l'arrêté ministériel du 26 août 2011, qui permettent de garantir le démantèlement, ces garanties étant de 60 000 euros par aérogénérateur. Si les requérants contestent la rentabilité économique du projet sur la durée d'exploitation, en critiquant sa capacité de production électrique compte tenu des conditions de vent du secteur, une telle circonstance demeure sans incidence sur la légalité de l'autorisation attaquée. Le moyen tiré de l'absence de prise en compte de la pertinence économique du projet ne peut donc qu'être écarté.

29. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que la requête de l'association Noyant-Air et autres doit, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

30. Il n'y a pas lieu, en l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société parc éolien du " moulin du bocage " au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'association Noyant-Air et autres est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la société parc éolien du " moulin du bocage " sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Noyant-Air, représentante unique des requérants en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société parc éolien du " moulin du bocage ".

Copie en sera adressée à la ministre de la transition énergétique.

Délibéré après l'audience du 6 avril 2023 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

M. Seillet, président assesseur ;

B... Djebiri, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 avril 2023.

La rapporteure,

C. DjebiriLe président,

V.-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

N° 21LY03411 2

al


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY03411
Date de la décision : 27/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

29-035 Energie.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: Mme Christine DJEBIRI
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : SELARL ATMOS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 07/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-04-27;21ly03411 ?
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