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20/04/2023 | FRANCE | N°22LY03080

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 20 avril 2023, 22LY03080


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 22 juin 2022 par lesquelles le préfet du Rhône l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné un pays de renvoi.

Par un jugement n° 2204977 du 23 septembre 2022, la magistrate désignée par la présidente tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 20 octobre 2022, Mme B..., représentée p

ar Me Paquet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée par la présid...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 22 juin 2022 par lesquelles le préfet du Rhône l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné un pays de renvoi.

Par un jugement n° 2204977 du 23 septembre 2022, la magistrate désignée par la présidente tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 20 octobre 2022, Mme B..., représentée par Me Paquet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée par la présidente tribunal administratif de Lyon du 23 septembre 2022 ;

2°) d'annuler les décisions susmentionnées pour excès de pouvoir ;

3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 50 euros par jours de retard, et de lui délivrer dans un délai de 8 jours une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler durant le temps de la fabrication de ce titre de séjour ;

4°) à défaut, d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans un délai de 8 jours une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler durant le temps du réexamen ;

5°) si elle est admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; si elle n'est pas admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros, à son profit, en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal a entaché son jugement d'une erreur d'appréciation des faits et d'une dénaturation des pièces du dossier en considérant qu'elle n'était pas une victime de traite à des fins d'exploitation sexuelle commerciale et considéré qu'elle s'était livrée à la prostitution de son propre gré et pour son compte personnel à son arrivée en Europe en 2016 ;

- les décisions contestées sont entachées d'un défaut d'examen complet et sérieux de sa situation ;

- compte tenu de son état de santé, la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnait de 9° de l'article L.611-3 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa vie personnelle ;

- elle justifie de craintes réelles et personnelles en cas de retour au Nigéria ; ainsi la décision fixant le pays de renvoi méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- compte tenu de sa qualité de victime de traite à des fins d'exploitations sexuelles commerciale, le préfet aurait dû faire application de son pouvoir de régularisation.

Par courrier en date du 20 février 2023, le préfet du Rhône a été mis en demeure de produire, en application des articles R. 612-3 et R. 612-6 du code de justice administrative.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., née le 14 mai 1996, de nationalité nigériane, qui déclare être entrée en France le 3 octobre 2019, a sollicité son admission au titre de l'asile le 22 octobre 2019. Sa demande d'asile a été rejetée le 20 septembre 2021 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Le 24 mai 2022, la Cour nationale du droit d'asile a confirmé le rejet de sa demande d'asile. Par décision du 22 juin 2022, prise sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Rhône l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et par une décision du même jour, il a désigné un pays de renvoi. Mme B... relève appel du jugement du 23 septembre 2022 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions du 22 juin 2022.

Sur la régularité du jugement :

2. Si la requérante soutient que le premier juge a entaché sa décision de dénaturation des pièces du dossier et d'erreur d'appréciation des faits, de tels moyens se rattachent au bien-fondé du jugement attaqué et non à sa régularité.

Sur le moyen commun à l'ensemble des décisions :

3. Il ne ressort pas des termes des décisions en litige ni des pièces du dossier que le préfet du Rhône n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de l'intéressée, avant de prendre à son encontre, une mesure d'éloignement et de fixer le pays de renvoi.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version applicable au présent litige : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier, et plus particulièrement d'un certificat médical daté du 4 janvier 2022 que si Mme B... souffre d'une insuffisance rénale chronique ainsi que de complications nécessitant une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, les documents qu'elle produit ne font état d'aucune impossibilité pour elle de bénéficier effectivement d'un traitement approprié au Nigéria. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

7. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a déclaré être entrée irrégulièrement en France le 3 octobre 2019 et que sa demande d'asile a été définitivement rejetée par la Cour nationale du droit d'asile, le 24 mai 2022. Mme B... est célibataire, sans charge de famille et n'établit pas être isolée au Nigéria où elle a vécu jusqu'à l'âge de 23 ans. En outre, elle ne justifie pas avoir noué des liens particuliers sur le territoire français. Si elle invoque les risques qu'elle encourrait en cas de retour au Nigéria, en sa qualité de victime de traite des êtres humains par un réseau transnational de prostitution, elle ne peut toutefois utilement se prévaloir de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision l'obligeant à quitter le territoire français, laquelle ne désigne pas le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite. Dès lors, dans les circonstances de l'espèce, le moyen tiré de ce que la mesure d'éloignement attaquée porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et méconnaîtrait, par suite, les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le préfet du Rhône n'a pas davantage commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision contestée sur la situation personnelle de Mme B....

8. En dernier lieu, les éléments relatifs à la situation personnelle et familiale de la requérante telle que décrite aux points précédents ne permettent pas de regarder le préfet du Rhône comme ayant commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'exercice de son pouvoir de régularisation.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :

9. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

10. Aux termes de l'article R. 612-6 du code de justice administrative : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant. ".

11. Mme B... fait valoir qu'elle serait exposée à des risques en cas de retour au Nigéria, en se prévalant de ses démarches afin de sortir d'un réseau de traite transnationale des êtres humains et de prostitution sur le territoire nigérian et de la peur d'être retrouvée par sa proxénète pour l'obliger à s'acquitter de sa dette. Elle produit deux notes de l' " Amicale du Nid du Rhône " datés des 9 août et 22 octobre 2022 attestant de son accompagnement au sein de cette association, et faisant état des menaces auxquelles elle serait exposée en cas de retour au Nigéria. Le préfet du Rhône qui, malgré une mise en demeure reçue le 21 février 2022, n'a produit aucun mémoire, doit être réputé avoir acquiescé aux faits invoqués par la requérante, lesquels ne sont pas contredits par les pièces du dossier. Celle-ci doit donc être regardée comme établissant que sa vie est menacée au Nigéria. Dès lors, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales précité, faisait obstacle à l'éloignement de Mme B... vers ce pays.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 22 juin 2022 par laquelle le préfet du Rhône a désigné un pays de renvoi.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

13. Compte tenu de ses motifs, l'annulation prononcée par le présent arrêt de la décision fixant le pays de renvoi implique uniquement d'enjoindre à la préfète du Rhône de procéder au réexamen de la situation de Mme B... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Paquet, avocate de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de ce dernier le versement à Me Paquet de la somme de 1 000 euros.

DECIDE :

Article 1er : La décision du 22 juin 2022 par laquelle le préfet du Rhône a fixé le Nigéria comme pays de renvoi de Mme B... est annulée.

Article 2 : Le jugement du 23 septembre 2022 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Rhône de procéder au réexamen de la situation de Mme B... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'État versera une somme de 1 000 euros à Me Paquet, conseil de Mme B... au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B..., à la préfète du Rhône et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lyon.

Délibéré après l'audience du 23 mars 2023 à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Dèche, présidente assesseure,

Mme Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 avril 2023.

La rapporteure,

P. Dèche

Le président,

F. Bourrachot,

La greffière,

A-C. Ponnelle

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY03080

lc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY03080
Date de la décision : 20/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Pascale DECHE
Rapporteur public ?: Mme LE FRAPPER
Avocat(s) : PAQUET

Origine de la décision
Date de l'import : 07/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-04-20;22ly03080 ?
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