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19/04/2023 | FRANCE | N°22LY00056

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 19 avril 2023, 22LY00056


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 8 décembre 2021 par lequel la préfète de l'Ain lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi, et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de dix-huit mois.

Par un jugement n° 2109822 du 13 décembre 2021, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a fait droit à cette demande.

Procédure devant la

cour

Par une requête, enregistrée le 7 janvier 2022, la préfète de l'Ain demande à la cour ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 8 décembre 2021 par lequel la préfète de l'Ain lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi, et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de dix-huit mois.

Par un jugement n° 2109822 du 13 décembre 2021, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a fait droit à cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 7 janvier 2022, la préfète de l'Ain demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon du 13 décembre 2021 ;

2°) de rejeter la demande de M. B... devant le tribunal administratif.

Elle soutient que :

- l'enregistrement des empreintes digitales de M. B... dans le fichier Eurodac ne fait aucunement présumer de demandes d'asile introduites en Autriche et en Suisse ;

- M. B... n'a pas sollicité l'asile en France, et n'a pas manifesté l'intention de le faire au cours de son audition ; même à supposer qu'il ait demandé l'asile dans d'autres États membres de l'Union européenne, il ne relevait donc pas de la procédure de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile ;

- le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte manque en fait ;

- l'arrêté contesté est suffisamment motivé ;

- l'intéressé ne relevait pas d'une décision de transfert ;

- la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'interdiction de retour est motivée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 avril 2022, M. A... B..., représenté par Me Muscillo, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que le motif d'annulation retenu par la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon du 13 décembre 2021 doit être confirmé.

Par une décision du 23 mars 2022, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé l'aide juridictionnelle totale à M. B....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) nº 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant marocain né en 1998, a été interpellé le 8 décembre 2021 en situation irrégulière. Par un arrêté du même jour, la préfète de l'Ain lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi de son éloignement et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de dix-huit mois. La préfète de l'Ain relève appel du jugement du 13 décembre 2021 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé cet arrêté.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :

2. D'une part, il résulte des dispositions des articles L. 511-1, L. 511-2, L. 531-1 et L. 531-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d'un étranger à un autre Etat ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et que le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre. Il s'ensuit que, lorsque l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont la situation entre dans le champ d'application de l'article L. 531-1 ou de l'article L. 531-2, elle peut légalement soit le remettre aux autorités compétentes de l'Etat membre de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, sur le fondement des articles L. 531-1 et suivants, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 511-1. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce que l'administration engage l'une de ces procédures alors qu'elle avait préalablement engagée l'autre. Toutefois, il y a lieu de réserver le cas de l'étranger demandeur d'asile. En effet, les stipulations de l'article 31-2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impliquent nécessairement que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande. Ainsi, lorsqu'en application des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, l'examen de la demande d'asile d'un étranger ne relève pas de la compétence des autorités françaises mais de celles d'un autre Etat, la situation du demandeur d'asile n'entre pas dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais dans celui des dispositions de l'article L. 742-3 du même code. En vertu de ces dispositions, la mesure d'éloignement en vue de remettre l'intéressé aux autorités étrangères compétentes pour l'examen de sa demande d'asile ne peut être qu'une décision de transfert prise sur le fondement de cet article L. 742-3 dudit code.

3. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article 11 du règlement (UE) n° 603/2013 recensant les données enregistrées dans le système Eurodac qu'une personne y est identifiée non pas par son identité, mais par le numéro de référence attribué par l'Etat membre où ses empreintes ont été prises à l'origine. L'article 24 de ce règlement précise que, dans ce numéro de référence, le chiffre suivant la ou les lettres d'identification désignant l'Etat membre indique la catégorie de personne ou de demande. Il résulte de l'application combinée de cet article et des articles 9 et 14 du même règlement que le chiffre " 1 " désigne les demandeurs de protection internationale et le chiffre " 2 " désigne les personnes interpellées lors du franchissement irrégulier d'une frontière en provenance d'un pays tiers.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été interpellé en gare d'Annemasse, le 8 décembre 2021, en situation irrégulière. Le relevé d'empreintes Eurodac, produit par la préfète de l'Ain sur invitation de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon, a révélé que les empreintes digitales de M. B... avaient été relevés en Autriche, en Grèce et en Suisse. Contrairement à ce que soutient la préfète de l'Ain, l'analyse des numéros de référence Eurodac de M. B... confirme qu'il a demandé l'asile dans ces pays.

5. Toutefois, il ressort des mentions du procès-verbal d'audition sur sa situation administrative que l'intéressé, qui était assisté d'un interprète en langue arabe, a indiqué qu'il avait quitté son pays d'origine pour " avoir une vie meilleure " et qu'il n'avait pas déposé de demande d'asile en Europe. La préfète de l'Ain ne disposait d'aucun motif sérieux pour remettre en cause les allégations de l'intéressé permettant de considérer que M. B... pouvait entrer dans le champ d'application du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ni qu'il y avait lieu d'entreprendre une procédure de détermination de l'Etat membre responsable d'une demande d'asile. M. B... n'a sollicité l'asile en France qu'après avoir été placé au centre de rétention administrative et un dossier lui a été remis à cet effet le 11 décembre 2021, postérieurement à la décision critiquée. Dans ces conditions, c'est à tort que, pour annuler l'arrêté en litige, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a estimé que M. B... n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais dans celui des dispositions de l'article L. 572-1 du même code.

6. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... en première instance.

Sur les autres moyens d'annulation :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

7. En premier lieu, par un arrêté du 19 novembre 2021, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs du département, la préfète de l'Ain a donné délégation à M. Philippe Beuzelin, secrétaire général de la préfecture, à l'effet de signer la décision contestée. Ainsi, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision contestée manque en fait et doit être écarté.

8. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué indique les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et est, dès lors, régulièrement motivé. La circonstance que la préfète de l'Ain n'ait pas fait mention de ce que M. B... serait demandeur d'asile, ce qui est inexact compte tenu de ce qui a été dit plus haut, n'est pas de nature à révéler un défaut d'examen de sa situation.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

9. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

10. Comme dit au point 5, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de la décision en litige, M. B... aurait informé l'administration de ce qu'une demande d'asile était en cours d'instruction. En tout état de cause, cette seule circonstance n'est pas de nature à établir que M. B... encourrait des risques en cas de retour au Maroc alors qu'il a déclaré lors de son audition par les services de police avoir quitté ce pays " pour avoir une vie meilleure ", car il avait " beaucoup de problèmes et c'est la misère là-bas ". Dans ces conditions, et en l'absence de tout élément de nature à corroborer les risques encourus par M. B... en cas de retour dans son pays d'origine, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être qu'écarté.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

11. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que l'interdiction de retour sur le territoire français devrait être annulée en conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.

12. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. " Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".

13. D'une part, la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de dix-huit mois comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui la fondent au regard des critères fixés par l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision doit être écarté.

14. D'autre part, M. B..., qui ne fait état d'aucune circonstance humanitaire, soutient qu'il n'a pas déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement et invoque la présence en France de tantes et de cousins, et en Belgique d'oncles. Toutefois, il ressort des pièces versées au dossier que le requérant est entré récemment en France et ne justifie pas y avoir noué des attaches d'une particulière intensité. Nonobstant la circonstance que la présence de l'intéressé ne constitue pas une menace pour l'ordre public, la préfète de l'Ain, qui pouvait prononcer une interdiction de retour sur le territoire français allant jusqu'à trois ans, n'a pas commis une erreur d'appréciation en prononçant à l'encontre de M. B... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de dix-huit mois.

15. Il résulte de ce qui précède que la préfète de l'Ain est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté du 8 décembre 2021.

Sur les frais d'instance :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il en soit fait application à l'encontre de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 13 décembre 2021 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lyon et ses conclusions tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète de l'Ain.

Délibéré après l'audience du 28 mars 2023 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président,

M. Gilles Fédi, président-assesseur,

Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 avril 2023.

La rapporteure,

Bénédicte LordonnéLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY00056


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY00056
Date de la décision : 19/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Bénédicte LORDONNE
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : MUSCILLO

Origine de la décision
Date de l'import : 07/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-04-19;22ly00056 ?
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