Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... E... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner les Hospices civils de Lyon (HCL) et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à verser à M. E... la somme de 321 971,59 euros et à Mme B... celle de 85 158,54 euros en réparation de leurs préjudices.
Par un jugement n° 1508155 du 30 novembre 2018, le tribunal administratif de Lyon a condamné D... et la SHAM à verser à M. et Mme E... respectivement les sommes de 17 672,94 euros et 2 000 euros assorties des intérêts au taux légal et leur capitalisation et, en son article 6, a rejeté les conclusions des HCL et de la SHAM dirigées contre la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme.
Par un arrêt n° 19LY00442, 19LY00443 et 19LY00504 du 17 décembre 2020 la cour administrative d'appel de Lyon, en présence de la mutuelle Micils, a notamment annulé l'article 6 du jugement du tribunal administratif de Lyon du 30 novembre 2018, et rejeté les conclusions des HCL et de la SHAM dirigées contre la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Puy-de-Dôme comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Par une décision n° 449789 du 21 juillet 2022, le Conseil d'État statuant au contentieux a annulé cet arrêt en tant que la cour s'est déclarée incompétente pour connaître des conclusions des HCL et de la SHAM dirigées contre la CPAM du Puy-de-Dôme et lui a renvoyé l'affaire dans la limite de la cassation prononcée, qui porte désormais le n° 22LY02247.
Procédure devant la cour
Par des mémoires enregistrés les 12 août et 6 novembre 2022 ainsi que le 5 janvier 2023, à la suite de la reprise d'instance après cassation de l'arrêt de la cour, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Puy-de-Dôme, représentée par Me Di Curzio demande à la cour :
1°) de rejeter les conclusions des Hospices civils de Lyon (HCL) et de la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) ;
2°) de lui attribuer l'indemnité forfaitaire de gestion fixée à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale pour le montant de 1 114 euros ;
3°) de mettre à la charge des HCL et de la SHAM le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- l'offre d'indemnisation faite par la SHAM le 17 juin 2014 au RSI, que ce dernier a acceptée, vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil ; en conséquence, la SHAM et D... ne sont pas fondés à revenir sur cette offre d'indemnisation et à lui réclamer le remboursement de la somme de 420 504,81 euros ; l'organisme de sécurité sociale est subrogé à la victime et est, a fortiori, assimilé à une " victime " ; rien ne permet de considérer que l'offre d'indemnisation formulée par la SHAM ne constituerait pas une transaction ;
- cette demande de remboursement constitue une cause juridique distincte des demandes initiales, en méconnaissance de la jurisprudence " Intercopie " ;
- la somme de 420 504,81 euros ne peut constituer une libéralité dès lors qu'il y a eu transaction ;
- une telle demande serait de toutes les façons irrecevable dès lors qu'un titre exécutoire pourrait être émis par D... ; la transaction conclue le 17 juin 2014 entre D.../son assureur et la CPAM du Puy-de-Dôme fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet ;
- l'attribution de l'indemnité forfaitaire de gestion fixée à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale pour le montant de 1 114 euros est justifiée.
Par des mémoires enregistrés les 22 août et 15 décembre 2022, les Hospices civils de Lyon (HCL) et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), représentés par Me Le Prado, concluent à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lyon du 30 novembre 2018 en ce qu'il a rejeté les conclusions des HCL et de la SHAM présentées à l'encontre du régime social des indépendants (RSI) d'Auvergne, à la condamnation de la CPAM du Puy-de-Dôme venant aux droits de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des indépendants, elle-même venant aux droits du RSI d'Auvergne, à leur payer la somme de 420 504,81 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 27 avril 2018, capitalisés à la date d'enregistrement du 20 juin 2019, puis à chaque échéance annuelle et à ce que soit mise à la charge de la CPAM du Puy-de-Dôme une indemnité de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal a considéré que leurs conclusions indemnitaires étaient irrecevables dès lors qu'un titre exécutoire pouvait être émis, renvoyant à leurs écritures du 20 juin 2019 ;
- un organisme de sécurité sociale ne saurait être assimilé à une victime au sens de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ; l'organisme de sécurité sociale n'est pas concerné ; le fait que M. E... a refusé une issue amiable et a introduit une procédure devant le juge administratif qui a conduit ce dernier à examiner dans quelle mesure la responsabilité des HCL était engagée fait obstacle à ce que la somme puisse être regardée comme définitivement acquise ; une personne publique ne peut payer une somme qu'elle ne doit pas ; il est interdit aux personnes publiques de consentir des libéralités ;
- la répétition de l'indu n'est soumise qu'à la démonstration d'un paiement indu ; l'existence d'un paiement alors qu'aucune somme n'était due n'est pas contestable ; leur droit à remboursement s'impose ; la caisse n'est en droit de réclamer que les seuls débours en lien avec les préjudices dont D... sont responsables, ie les frais d'hospitalisation à hauteur de 22 363 euros, qui correspondent aux manquements dans le suivi de la pose de la jéjunostomie et à la pose erronée de la sonde dans le segment proximal, à l'exclusion de ceux justifiés par l'occlusion intestinale, les hospitalisations au centre de rééducation neurologique Henry Gabriel, d'ordre médical ou paramédical, futurs, ou résultant de consultations de médecine générale et de spécialiste ;
- il y a bien un trop perçu de 420 504,81 euros.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Picard, président ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Le Prado, pour D... et la SHAM, ainsi que celles de Me Di Curzio, pour la CPAM du Puy-de-Dôme ;
Considérant ce qui suit :
1. A la suite d'un avis rendu le 11 juillet 2012 par la commission de conciliation et d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux de Rhône-Alpes, retenant la responsabilité des Hospices civils de Lyon (HCL) à l'égard de M. et Mme E... au titre de fautes commises en 2009 dans la prise en charge de M. E..., la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), agissant en qualité d'assureur des Hospices civils de Lyon (HCL) sur le fondement des dispositions de l'article L. 1142-14 du code de la santé publique, a, d'une part, adressé une offre d'indemnisation transactionnelle à M. et Mme E..., qui l'ont refusée, et, d'autre part, versé au régime social des indépendants (RSI) une somme de 442 462,81 euros calculée par référence aux débours exposés par ce tiers payeur pour M. E... avant consolidation de son état. Au vu de l'expertise médicale ordonnée par le tribunal administratif de Lyon à la demande de M. et Mme E..., D... et la SHAM, estimant que les fautes imputables à l'hôpital n'avaient occasionné qu'une fraction des débours exposés par le tiers payeur, ont demandé au RSI de leur rembourser la somme de 420 504,81 euros. Par un jugement du 30 novembre 2018, le tribunal administratif a rejeté comme irrecevables les conclusions dirigées par D... et la SHAM contre le RSI, aux droits duquel est venue en dernier lieu la CPAM du Puy-de-Dôme. Par un arrêt du 17 décembre 2020, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé sur ce point le jugement du tribunal administratif puis, statuant par la voie de l'évocation, a rejeté les conclusions des HCL et de la SHAM dirigées contre le tiers payeur comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, au motif que ce litige relevait du contentieux général de la sécurité sociale, soumis à la compétence des juridictions judiciaires. Saisi par D... et la SHAM, le Conseil d'État, par une décision du 21 juillet 2022, a jugé que l'action en répétition des sommes que l'assureur des HCL estimait avoir indument versées à titre amiable au tiers payeur sur le fondement de l'article L. 1142-14 du code de la santé publique relevait de la compétence de la juridiction administrative, annulé l'arrêt de la cour en ce qu'elle avait décidé que le juge judiciaire était seul compétent pour connaître d'une telle action et renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à la cour.
Sur la recevabilité des conclusions à fin de remboursement d'une partie de la somme versée au RSI :
2. En premier lieu, le tribunal administratif de Lyon a rejeté les conclusions dont l'avaient saisi D... et la SHAM tendant à la condamnation du régime social des indépendants au remboursement d'une partie de la somme versée au régime social des indépendants au titre des débours définitifs. Par suite, la CPAM du Puy-de-Dôme est infondée à soutenir que ces mêmes conclusions, présentées en appel, seraient nouvelles et donc irrecevables.
3. En second lieu, la SHAM, assureur des HCL, n'est pas une personne morale de droit public. Elle ne pouvait donc émettre un titre exécutoire pour le remboursement par la CPAM du Puy-de-Dôme, à hauteur de 420 504,81 euros, de la somme qu'elle avait versée le 17 juin 2014 au RSI d'Auvergne. Donc, et contrairement à ce que soutient la CPAM du Puy-de-Dôme, aucune irrecevabilité ne saurait lui être opposée à ce titre.
Sur le bien-fondé de l'action en répétition de l'indu :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 1142-14 du code de la santé publique : " Lorsque la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales estime qu'un dommage relevant du premier alinéa de l'article L. 1142-8 engage la responsabilité d'un professionnel de santé, d'un établissement de santé, d'un service de santé ou d'un organisme mentionné à l'article L. 1142-1 ou d'un producteur d'un produit de santé mentionné à l'article L. 1142-2, l'assureur qui garantit la responsabilité civile ou administrative de la personne considérée comme responsable par la commission adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis dans la limite des plafonds de garantie des contrats d'assurance. (...). L'acceptation de l'offre de l'assureur vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. (...) ".
5. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article 2044 du code civil : " La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître ". En vertu de l'article 2052 du même code, un tel contrat à l'autorité de la chose jugée en dernier ressort.
6. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, M. et Mme E... ont refusé l'offre d'indemnisation transactionnelle que la SHAM, conformément à l'article L. 1142-14 du code de la santé publique, leur a adressée. Si la SHAM a également versé au RSI d'Auvergne le 17 juin 2014 une somme de plus de 400 000 euros en remboursement des débours exposés par ce dernier entre les 30 novembre 2009 et 21 janvier 2012, il ne résulte pas pour autant de l'instruction qu'elle aurait conclu avec la CPAM du Puy-de-Dôme, venue aux droits du RSI, un contrat valant transaction au sens de l'article 2044 du code civil. A cet égard, la transaction prévue à l'article L. 1142-14 du code de la santé publique ne vaut qu'entre l'assureur de la personne responsable et la victime ou ses ayants droit, à l'exclusion de l'organisme de sécurité sociale subrogé dans les droits de la victime, à laquelle il ne saurait être assimilé. Dans ces circonstances, l'indemnisation amiable dont a bénéficié le RSI d'Auvergne ne faisait pas a priori obstacle à l'action en restitution de l'indu engagée à son encontre par la SHAM.
7. Il résulte par ailleurs de l'instruction, et n'est pas contesté, que le montant de la somme indûment versée au RSI d'Auvergne s'élève à 420 504,81 euros. La SHAM est donc fondée à en demander la restitution par la CPAM du Puy-de-Dôme.
8. Dans ces conditions, et sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur la recevabilité des conclusions à fin de remboursement également présentées par D..., qu'il y a lieu de mettre à la charge de la CPAM du Puy-de-Dôme le versement à la SHAM de la somme de 420 504,81 euros.
Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :
9. Compte tenu de ce qui précède, l'indemnité forfaitaire de gestion que réclame la CPAM du Puy-de-Dôme en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ne saurait lui être accordée.
Sur les intérêts et la capitalisation :
10. La SHAM a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 420 504,81 euros à compter du 27 avril 2018, date d'enregistrement de ses conclusions tendant au remboursement de cet indu par le RSI d'Auvergne.
11. La capitalisation des intérêts ayant été demandée par la SHAM le 20 juin 2019, il y a lieu, compte tenu de ce qui vient d'être dit ci-dessus, de faire droit à cette demande à cette dernière date et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Sur les frais liés au litige :
12. Les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme en application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
13. Il n'y a pas lieu, en l'espèce, de faire droit aux conclusions des HCL et de la SHAM sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme est condamnée à rembourser à la société hospitalière d'assurances mutuelles la somme de 420 504,81 euros, avec les intérêts aux taux légal et leur capitalisation dans les conditions prévues ci-dessus.
Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié aux Hospices civils de Lyon, à la société hospitalière d'assurances mutuelles, à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme, à M. et Mme A... E... et à la mutuelle Micils.
Délibéré après l'audience du 23 mars 2023 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2023.
Le président, rapporteur,
V.-M. Picard
Le président assesseur,
Ph. SeilletLa greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 22LY02247 2
al