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06/04/2023 | FRANCE | N°22LY01845

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 06 avril 2023, 22LY01845


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 9 décembre 2021 par lequel le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination et d'enjoindre à cette autorité de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", subsidiairement, de procéder au réexamen de sa situation.

Par un jugement n° 2200095 du 21 janvier 2022, le magistrat désigné par

le président du tribunal a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une r...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 9 décembre 2021 par lequel le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination et d'enjoindre à cette autorité de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", subsidiairement, de procéder au réexamen de sa situation.

Par un jugement n° 2200095 du 21 janvier 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 16 juin 2022, M. B..., représenté par Me Cans, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et cet arrêté ;

2°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir et dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros au profit de son conseil au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'un vice de procédure tenant à la méconnaissance du droit d'être entendu qui fait partie des principes généraux du droit de l'Union européenne ; elle méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été communiquée au préfet de l'Isère qui n'a pas produit d'observations.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 mai 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur l'Union européenne ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2008/115 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de M. Chassagne, premier conseiller, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant de la République démocratique du Congo, né le 30 décembre 1960 à Kinshasa, est entré irrégulièrement en France le 7 octobre 2018 selon ses déclarations. Il relève appel du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble qui a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 9 décembre 2021 du préfet de l'Isère lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

Sur l'obligation de quitter le territoire :

2. En premier lieu, et d'une part, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

3. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français non prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.

4. Une violation des droits de la défense, en particulier du droit d'être entendu, n'entraîne l'annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l'absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent.

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur, désormais codifié à l'article L. 431-2 du même code : " Lorsqu'un étranger a présenté une demande d'asile qui relève de la compétence de la France, l'autorité administrative, après l'avoir informé des motifs pour lesquels une autorisation de séjour peut être délivrée et des conséquences de l'absence de demande sur d'autres fondements à ce stade, l'invite à indiquer s'il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre et, dans l'affirmative, l'invite à déposer sa demande dans un délai fixé par décret. Il est informé que, sous réserve de circonstances nouvelles, notamment pour des raisons de santé, et sans préjudice de l'article L. 511-4, il ne pourra, à l'expiration de ce délai, solliciter son admission au séjour. / Un décret en Conseil d'État précise les conditions d'application du présent article. " Aux termes de l'article D. 311-3-2 de ce code, alors applicable, désormais codifié à l'article D. 431-7 du même code : " Pour l'application de l'article L. 311-6, les demandes de titres de séjour sont déposées par le demandeur d'asile dans un délai de deux mois. Toutefois, lorsqu'est sollicitée la délivrance du titre de séjour mentionné au 11° de l'article L. 313-11, ce délai est porté à trois mois. "

6. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a saisi le 13 novembre 2018 l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) d'une demande d'asile, rejetée par une décision du 3 février 2020, confirmée le 1er octobre 2021 par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Le préfet de l'Isère s'est fondé sur ce rejet pour prendre l'arrêté contesté sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il n'apparait pas que le préfet aurait mis à même M. B..., préalablement à cette décision, de présenter des observations écrites voire à faire valoir des observations orales, alors que ce dernier a cherché, le 6 novembre 2021, puis par courriel de son conseil du 22 décembre 2021, à déposer une demande de titre de séjour au titre de son état de santé et solliciter un rendez-vous à cet effet. Toutefois, en application des dispositions précitées des articles L. 311-6 et D. 311-3-2 de ce code, et alors que rien ne permet de dire qu'il n'aurait pas été informé de la possibilité de solliciter son admission au séjour dans le cadre de ces dispositions, il appartenait à M. B... de déposer sa demande de titre dans un délai de trois mois après l'intervention de la circonstance nouvelle correspondant à l'intervention chirurgicale dont il a fait l'objet le 21 janvier 2020 au centre hospitalier universitaire de Grenoble Alpes ou, en toute hypothèse, à la stabilisation de son état de santé constatée à la fin de l'année 2020 au terme de son suivi post-opératoire. Il n'apparaît pas que si M. B... avait été entendu et donc pu demander son admission au séjour, comme il le souhaitait, la procédure administrative en cause aurait pu aboutir à un résultat différent du refus auquel il s'est heurté. Dès lors, la méconnaissance de son droit à être entendu reste ici sans incidence sur la légalité de la décision en cause. Le moyen doit donc être écarté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. / (...). "

8. Il ressort des pièces du dossier que M. B... qui est victime de différentes pathologies, souffre essentiellement d'une pathologie cardiaque, qui a notamment conduit à ce qu'il subisse une opération chirurgicale, précédemment évoquée, visant à la pose d'un dispositif électronique. La réalité de cette pathologie, sa gravité et les soins qu'elle nécessite, en particulier depuis cette intervention et à la date de la décision en cause, ont été justifiés par l'intéressé, tant en première instance qu'en appel, par différents certificats médicaux, dont certains émanant de médecins cardiologues, selon lesquels, le dispositif qui vient d'être évoqué vise à une prise en charge de cette maladie à titre préventif, avec un traitement pharmaceutique au long cours composé de sept médicaments différents, et doit faire l'objet d'un contrôle de son bon fonctionnement tous les six mois. Toutefois, en dépit de ces éléments M. B..., dont l'état de santé est désormais globalement stabilisé, n'a produit aucune pièce suffisamment précise de nature à faire sérieusement douter de l'impossibilité de bénéficier effectivement d'un traitement approprié à cet état de santé dans son pays d'origine, au sens des dispositions précitées du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et en particulier de l'absence de tout traitement pharmaceutique comparable et de toute possibilité de contrôle du dispositif électronique. Dans ces conditions, le préfet de l'Isère ne saurait être regardé comme ayant méconnu ces dispositions. Le moyen ne peut donc être admis.

9. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... n'est présent que depuis le 7 octobre 2018 sur le territoire français où il s'est maintenu de manière précaire en qualité de demandeur d'asile. En dehors de sa fille majeure qui l'accompagne, et qui, faisant l'objet, à la date de la décision contestée, d'une mesure d'éloignement, n'a pas vocation à demeurer sur le territoire, M. B... ne possède aucune attache familiale ou personnelle en France, n'en étant en revanche pas dépourvu dans son pays d'origine où il a vécu toute son existence et où résident son épouse et huit de ses enfants. De plus, s'il se prévaut de son état de santé, il n'apparaît pas, ainsi qu'il a été vu précédemment, qu'il ne pourrait pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié à sa situation dans son pays d'origine. Par suite, aucune atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne saurait être retenue. Pour les mêmes motifs, le préfet de l'Isère, en prenant la décision contestée, n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé. Les moyens ne peuvent donc être admis.

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

10. Aux termes des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, (...) ; / (...) / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (...). " Aux termes de ce dernier article : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

11. Si M. B... fait valoir qu'il encourrait des risques de traitement inhumains ou dégradants en raison de son état de santé en cas de retour en République démocratique du Congo, il résulte de ce qui a été dit précédemment que la réalité de ces risques ne ressort pas des pièces du dossier. Par ailleurs, en se bornant à se prévaloir des éléments qu'il a développés tant devant l'OFPRA que la CNDA, selon lesquels il ferait l'objet de menaces dans ce pays, sans apporter des éléments circonstanciés de nature à corroborer ses dires alors que, d'ailleurs, ses demandes d'asiles ont été rejetées, il n'établit pas la réalité de risques qu'il encourrait personnellement en cas de retour dans son pays d'origine. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

12. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 9 décembre 2021. Sa requête doit donc, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 23 mars 2023 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

M. Seillet, président assesseur ;

M. Chassagne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2023.

Le rapporteur,

J. Chassagne

Le président,

V.-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY01845

kc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY01845
Date de la décision : 06/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: M. Julien CHASSAGNE
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : CANS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-04-06;22ly01845 ?
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