Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SAS Aluminium France Extrusion Saint Florentin a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 5 novembre 2019 du ministre du travail en tant qu'elle a refusé de lui délivrer l'autorisation de licencier M. B... A..., et d'enjoindre à l'inspection du travail, saisie d'une nouvelle demande d'autorisation de licenciement, d'y faire droit dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, ou à tout le moins, d'enjoindre à l'inspection du travail de prendre une nouvelle décision dans ce même délai.
Par un jugement n° 1903518 du 1er juin 2021, le tribunal a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires enregistrés les 21 juillet et 8 décembre 2021, et le 14 février 2022, la SAS Aluminium France Extrusion Saint Florentin (SAS AFE), représentée par Me Guillon, demande à la cour :
1°) par la voie de l'appel principal, d'annuler ce jugement et la décision du ministre en charge du travail du 5 novembre 2019 en tant qu'elle a refusé de lui délivrer l'autorisation de licencier M. A... ;
2°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail du 19 avril 2019 portant refus de licenciement de M. A... ;
3°) d'enjoindre à l'inspection du travail, saisie d'une nouvelle demande d'autorisation de licenciement, d'y faire droit dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou à tout le moins, d'enjoindre à l'inspection du travail de prendre une nouvelle décision dans ce même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les faits reprochés à M. A... n'étaient pas prescrits, en application de l'article L. 1332-4 du code du travail, lorsqu'elle a demandé l'autorisation de procéder au licenciement de ce dernier à l'inspecteur du travail ;
- ces faits commis par M. A... sont fautifs, au regard des dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail ; il s'agit d'agissements répétés de harcèlement moral qui ont dégradé les conditions de travail d'autres salariés, en particulier féminins, de comportement violent verbalement voire parfois physiquement, et de propos ou attitude méprisants, menaçants ou agressifs, d'autant plus que l'intéressé était membre et secrétaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; elle était ainsi tenue de prendre les mesures nécessaires pour les prévenir en application des dispositions de l'article L. 1152-4 du même code, compte tenu de l'obligation d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs prévue par l'article L. 4121-1 du même code ; ce moyen n'est pas inopérant ;
- de tels faits étaient d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation de licencier M. A... ; ce moyen n'est pas inopérant ;
- la demande qu'elle a formulée tendant à l'autorisation de licencier M. A... n'était pas en lien avec les mandats qu'il détenait ou avec leur exercice.
Par des mémoires enregistrés les 19 octobre 2021, 21 janvier et 17 mars 2022, M. A..., représenté par Me Thierry, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement attaqué en tant que les premiers juges ont estimé que la ministre en charge du travail avait à tort regardé les faits en cause comme prescrits au regard des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail ;
3°) à ce que soit mise à la charge de la SAS Aluminium France Extrusion Saint Florentin une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- à l'appui de son appel incident, les faits en cause n'étaient pas prescrits ;
- les autres moyens soulevés par la SAS AFE ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 14 janvier 2022, la ministre du travail de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- les moyens concernant la matérialité des faits reprochés et leur caractère fautif sont inopérants ;
- les autres moyens soulevés par la SAS AFE ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 14 septembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 octobre 2022.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt est susceptible d'être fondé sur des moyens relevés d'office, tiré de ce que les conclusions présentées par la SAS AFE visant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 19 avril 2019 sont irrecevables comme nouvelles en appel, et que les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par M. A... tendant à l'annulation du jugement attaqué en tant que les premiers juges ont estimé que le ministre en charge du travail avait à tort regardé les faits en cause comme prescrits au regard des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail sont irrecevables, dès lors qu'elles sont dirigées contre les motifs de ce jugement et non pas son dispositif.
En réponse à cette information, la SAS AFE et M. A... ont produit des mémoires enregistrés, respectivement, les 28 février et 14 mars 2023, ainsi que les 1er et 6 mars 2023, qui ont été communiqués.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chassagne, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Dejonghe, substituant Me Guillon, pour la SAS AFE, ainsi que celles de Me Thierry, pour M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Aluminium France Extrusion Saint-Florentin (SAS AFE), exerce une activité de fabrication et de commercialisation de produits métallurgiques et en particulier de profilés en aluminium extrudé sur le territoire de la commune de Saint-Florentin, dans l'Yonne. M. A..., salarié de cette société, recruté par contrat à durée indéterminée et exerçant en dernier lieu des fonctions d'ouvrier opérateur dégagement de chaîne au service expédition, bénéficiait des mandats de délégué du personnel titulaire, membre suppléant du comité d'entreprise et de membre titulaire et secrétaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSTC). La demande de licenciement pour motif disciplinaire de M. A... a été rejetée par une décision de l'inspecteur du travail du 19 avril 2019. Sur recours hiérarchique de la SAS AFE, la ministre en charge du travail, par une décision du 5 novembre 2019, a annulé la décision implicite de rejet de ce recours et celle du 19 avril 2019 de l'inspecteur du travail, et refusé d'accorder l'autorisation de licencier M. A.... La SAS AFE, par la voie de l'appel principal, relève appel du jugement du tribunal administratif de Dijon ayant rejeté sa demande d'annulation de cette décision du 5 novembre 2019 en tant que la ministre en charge du travail a refusé de lui délivrer cette autorisation, et M. A..., par la voie de l'appel incident, conclut à l'annulation de ce jugement en tant que les premiers juges ont estimé que cette autorité avait à tort regardé les faits en cause comme prescrits au regard des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail.
Sur la recevabilité :
2. En premier lieu, les conclusions présentées par la SAS AFE visant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 19 avril 2019, non critiquée devant le tribunal, et au demeurant annulée par la ministre, sont nouvelles en appel et donc irrecevables. Elles doivent par conséquent être rejetées.
3. En second lieu, les conclusions présentées à titre incident par M. A... ne sont pas dirigées contre le dispositif du jugement attaqué mais contre ses motifs. Elles ne sont donc pas davantage recevables, devant par suite être rejetées.
Sur le surplus des conclusions :
4. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
5. Le refus ministériel d'accorder à la SAS AFE l'autorisation de licencier M. A... repose sur deux motifs, l'un, censuré par les premiers juges, étant tiré de ce que les faits reprochés à l'intéressé étaient prescrits à la date de l'engagement de la procédure de licenciement, l'autre, tenant à l'existence d'un lien entre le licenciement envisagé et les mandats détenus par l'intéressé, que le tribunal a validé et retenu comme étant de nature à lui seul à justifier le refus contesté. Sur ce dernier point, la ministre a noté une implication active de M. A... dans l'exercice de ses mandats, et en particulier, à l'automne 2018, dans une action visant à la mesure et au contrôle du respect des valeurs limites d'exposition de substances dangereuses, tout en observant la concomitance entre cette action, la contestation de celle-ci par la SAS AFE devant le juge judiciaire et l'organisation, à la suite de la transmission de plusieurs attestations de salariés, d'une enquête interne visant M. A.... Elle a également relevé que la sincérité de deux attestations sur lesquelles la société s'est fondée pour lancer cette enquête, l'une obtenue d'une salariée intérimaire, l'autre d'un salarié avec lequel M. A... avait eu une altercation, était contestable compte tenu des circonstances dans lesquelles elles avaient été recueillies. Par ailleurs, la ministre a constaté que l'auteur de l'une de ces attestations avait déclaré à un autre salarié, délégué syndical, qu'il avait provoqué M. A... pour créer l'altercation dont il vient d'être question et l'injurier à propos de son syndicat d'appartenance, sans que l'employeur ne cherche à sanctionner ce salarié ou à enquêter.
6. D'abord, il apparaît que M. A..., à plusieurs reprises, spécialement en qualité de membre titulaire et secrétaire du CHSTC, a été actif dans l'exercice de ce mandat, en particulier au cours de l'année 2018, pour s'assurer que la SAS AFE préserve la santé et la sécurité de ses employés, notamment contre les risques d'exposition à des substances dangereuses. Alors que le CHSCT, par une délibération du 2 octobre 2018, avait envisagé de mandater un cabinet d'expertise extérieur afin de bénéficier d'une étude complète à ce sujet, la SAS AFE s'y est opposée en assignant, devant le tribunal de grande instance d'Auxerre, le CHSCT pris en la personne de M. A..., son secrétaire, ainsi que ses autres membres même si, à la suite de deux réunions ultérieures du CHSCT en novembre 2018, ce dernier a renoncé à une expertise extérieure et la société a abandonné la procédure judiciaire et s'est finalement engagée à prendre des mesures diverses contre de tels risques d'exposition.
7. Ensuite, et comme l'ont relevé tant la ministre que les premiers juges, il ressort des pièces du dossier que, également à la fin de l'année 2018, plusieurs salariés ont attesté de faits reprochés à M. A..., sur lesquels son employeur s'est fondé pour demander l'autorisation de le licencier. Or, il apparaît que lors de son audition durant l'enquête interne diligentée par la société à la suite de ces témoignages, une salariée intérimaire a déclaré que le directeur des ressources humaines l'avait convoquée afin de lui demander de rédiger une attestation sur des faits remontant à 2017, attribués à M. A..., et avait proposé de la recruter en contrepartie, d'autres salariés s'étant également plaints de son comportement. Si, selon la SAS AFE, cette salariée a indiqué que les faits ainsi dénoncés étaient vrais et qu'elle avait témoigné librement, il n'en reste pas moins que tous ces éléments rapprochés de ceux relatés au point précédent, comme leur concomitance, font sérieusement douter de ce que les activités de représentation de M. A... ne seraient pas le motif essentiel de la procédure de licenciement déclenchée à son encontre.
8. Enfin, et pour mieux comprendre le contexte dans lequel le projet de licencier l'intéressé est né, la ministre a pu valablement prendre en considération l'absence de toute investigation ou sanction à l'encontre d'un salarié qui avait eu une altercation avec M. A..., après l'avoir provoqué et insulté, ainsi que son syndicat.
9. Pour l'ensemble de ces raisons, c'est sans erreur d'appréciation que la ministre en charge du travail a pu estimer que la demande d'autorisation présentée par la SAS AFE pour licencier M. A... n'était pas sans lien avec l'exercice par l'intéressé de ses mandats.
10. Il résulte de ce qui précède que la SAS AFE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande. Sa requête doit donc, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, pour l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la SAS AFE une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... pour les besoins du litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Aluminium France Extrusion Saint Florentin est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par M. A... sont rejetées.
Article 3 : La SAS Aluminium France Extrusion Saint Florentin versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Aluminium France Extrusion Saint Florentin, à M. B... A... et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 23 mars 2023 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2023.
Le rapporteur,
J. ChassagneLe président,
V.-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 21LY02487
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