Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 30 juillet 2021 par lequel le préfet de la Côte d'Or lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office, d'enjoindre au préfet de la Côte d'Or de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais liés au litige.
Par un jugement n° 2102218 du 3 mai 2022, le tribunal administratif de Dijon a annulé l'arrêté du 30 juillet 2021 du préfet de la Côte d'Or (article 1er), a enjoint au préfet de la Côte d'Or de statuer à nouveau sur la demande de titre de séjour présentée par Mme D... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et de la munir, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de quinze jours à compter de la notification (article 2), et a mis à la charge de l'Etat le versement à Me Boughlita une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Boughlita renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle (article 3).
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 6 juin 2022, le préfet de la Côte d'Or, représenté par la Selarl Centaure Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de Mme D... la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête d'appel est recevable ;
- c'est à tort que le tribunal a jugé que l'arrêté attaqué était entaché d'une erreur de fait ; à la supposer avérée, l'erreur retenue par le tribunal demeurait sans influence sur sa décision, la circonstance qu'une plainte pénale ait été déposée n'ayant d'incidence que sur le renouvellement de la carte de séjour mentionnée à l'article L. 425-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le motif tiré de la menace à l'ordre public peut être neutralisé, A... lors que la décision est également fondée sur un motif tiré de l'absence de réunion des conditions de délivrance du titre de séjour prévu à cet article L. 425-6 ;
- Mme D... a déposé une demande de titre de séjour sur ce fondement à une date à laquelle l'ordonnance de protection d'une durée de six mois délivrée par le juge aux affaires familiales ne produisait plus d'effets ;
- les autres moyens soulevés en première instance à l'encontre de l'arrêté attaqué n'étaient pas fondés, A... lors que l'agent ayant consulté le fichier du traitement des antécédents judiciaires était habilité, que Mme D... ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article L. 425-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que l'arrêté ne porte pas d'atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et ne méconnaît pas non plus l'intérêt supérieur de ses enfants mineurs, et que la décision fixant le pays de renvoi ne méconnaît pas l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 août 2022, Mme D... conclut au rejet de la requête et demande à la cour d'enjoindre au préfet de reprendre l'examen de sa demande et de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la requête est tardive ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'un vice de procédure à l'occasion de la consultation du fichier du traitement des antécédents judiciaires ;
- les moyens soulevés par le préfet de la Côte d'Or ne sont pas fondés ;
- l'illégalité du refus de séjour entraîne, par voie d'exception, l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- la mesure d'éloignement porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 juillet 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bourrachot, président,
- et les observations de Me Augoyard, représentant le préfet de la Côte d'Or ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante de Géorgie née le 19 avril 1981, est entrée régulièrement en France en mai 2019 accompagnée de son époux, M. C..., et de trois de leurs enfants, mineurs. Sa demande de protection internationale a été définitivement rejetée par la Cour nationale du droit d'asile le 30 janvier 2020. Par un arrêté du 30 juillet 2021, le préfet de la Côte d'Or a refusé de lui délivrer le titre de séjour mentionné à l'article L. 425-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le préfet de la Côte d'Or relève appel du jugement du 3 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Dijon a annulé cet arrêté, lui a enjoint de procéder au réexamen de la demande de Mme D... et a mis une somme à la charge de l'Etat au titre des frais liés au litige.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Pour rejeter, sur le fondement des dispositions précitées, issues de l'ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020, la demande de titre de séjour présentée par Mme D... le 19 juin 2020, l'arrêté attaqué du 30 juillet 2021 retient d'abord que l'intéressée n'a pas demandé le renouvellement de l'ordonnance de protection du 2 juin 2020, d'une durée de validité de 6 mois, soit jusqu'au 2 décembre 2020, et qu'elle " ne fait valoir aucune plainte déposée " à l'encontre de l'auteur des violences.
3. Pour annuler cette décision le tribunal administratif de Dijon a retenu, d'une part, qu'en estimant que la présence de Mme D... sur le territoire constitue une menace pour l'ordre public, le préfet de la Côte d'Or a entaché sa décision " d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation " et, d'autre part que " s'il est constant que l'intéressée n'a pas sollicité le renouvellement de cette ordonnance de protection, il ressort toutefois des pièces du dossier que, contrairement à ce qu'a retenu le préfet de la Côte d'Or, Mme D... justifie avoir déposé une plainte pour violences conjugales à l'encontre de son époux A... le 13 mai 2020 " et que " la requérante soutient, sans être contredite, qu'à la date à laquelle le préfet de la Côte d'Or a pris la décision contestée, sa plainte était toujours en cours d'instruction " et a jugé que " dans ces conditions, elle est fondée à soutenir que le préfet de la Côte d'Or a entaché sa décision d'une erreur de fait, et qu'il a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 425-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ".
4. Il ressort des termes précités de la décision attaquée que le préfet de la Côte d'Or a seulement entendu relever que Mme D... ne s'était pas prévalue devant lui de l'existence d'un dépôt de plainte, ce qui n'est pas contesté. Par suite, la circonstance qu'une telle plainte ait, néanmoins, été déposée le 13 mai 2020 n'est pas de nature à entacher le refus de titre de séjour d'une erreur de fait et le préfet de la Côte d'Or est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que sa décision était entachée d'erreur de fait.
5. Cependant, il appartient au juge d'appel, saisi d'un jugement par lequel un tribunal administratif a prononcé l'annulation d'un acte en retenant plusieurs moyens, de se prononcer sur le bien-fondé de tous les moyens d'annulation retenus au soutien de leur décision par les premiers juges et d'apprécier si l'un au moins de ces moyens justifie la solution d'annulation. Dans ce cas, le juge d'appel n'a pas à examiner les autres moyens de première instance. Dans le cas où il estime en revanche qu'aucun des moyens retenus par le tribunal administratif n'est fondé, le juge d'appel, saisi par l'effet dévolutif des autres moyens de première instance, examine ces moyens. Il lui appartient de les écarter si aucun d'entre eux n'est fondé et, à l'inverse, de se prononcer, si un ou plusieurs d'entre eux lui paraissent fondés, sur l'ensemble de ceux qu'il estime de nature à confirmer, par d'autres motifs, l'annulation prononcée par les premiers juges.
6. Aux termes de l'article L. 425-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui bénéficie d'une ordonnance de protection en vertu de l'article 515-9 du code civil, en raison des violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin se voit délivrer, dans les plus brefs délais, une carte de séjour temporaire mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / Une fois arrivée à expiration elle est renouvelée de plein droit à l'étranger qui continue à bénéficier d'une telle ordonnance de protection. / Lorsque l'étranger a porté plainte contre l'auteur des faits elle est renouvelée de plein droit pendant la durée de la procédure pénale afférente, y compris après l'expiration de l'ordonnance de protection ".
7. Aux termes de l'article 515-9 du code civil : " Lorsque les violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection ". Aux termes de l'article 515-10 du même code : " L'ordonnance de protection est délivrée par le juge, saisi par la personne en danger, si besoin assistée, ou, avec l'accord de celle-ci, par le ministère public (...) ". Aux termes de l'article 515-11 : " L'ordonnance de protection est délivrée, dans les meilleurs délais, par le juge aux affaires familiales, s'il estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, qu'il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés (...) ". Aux termes de l'article 515-12 : " Les mesures mentionnées à l'article 515-11 sont prises pour une durée maximale de six mois à compter de la notification de l'ordonnance. Elles peuvent être prolongées au-delà si, durant ce délai, une requête en divorce ou en séparation de corps a été déposée ou si le juge aux affaires familiales a été saisi d'une requête relative à l'exercice de l'autorité parentale (...) ".
8. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 425-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la première délivrance de la carte de séjour temporaire qu'elle prévoit est en principe subordonnée au bénéfice effectif d'une ordonnance de protection, dont, contrairement à ce que fait valoir Mme D..., les effets ne sont pas prolongés de plein droit par le dépôt d'une requête en divorce, l'article 515-12 précité du code civil ne prévoyant qu'une possibilité de prolongation des mesures antérieurement décidées en urgence. Il est par ailleurs constant que Mme D..., dont l'époux était reparti en Géorgie, ne bénéficiait plus depuis décembre 2020 des mesures décidées par l'ordonnance de protection du 2 juin 2020.
9. Il résulte toutefois nécessairement des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 425-6 précité, qui prévoient le renouvellement de plein droit de la carte de séjour temporaire délivrée à une victime de violences conjugales lorsqu'une plainte déposée à l'encontre de l'auteur des faits est en cours d'instruction, que le dépôt d'une telle plainte par un ressortissant étranger ayant bénéficié d'une ordonnance de protection à ce titre lui ouvre également droit au bénéfice de la première délivrance de ce titre pendant la procédure pénale afférente, même après l'expiration de l'ordonnance de protection.
10. Par suite, M. C... ayant de surcroît en l'espèce explicitement reconnu les faits, le préfet de la Côte d'Or n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il avait fait une inexacte application des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. Enfin, le préfet de la Côte d'Or ne pouvait, sans erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, estimer que Mme D..., qui a fait l'objet d'un rappel à la loi pour un vol à l'étalage et dont le comportement agressif allégué au cours de son audition ne ressort d'aucune pièce de procédure versée aux débats, représentait une menace pour l'ordre public. La circonstance que ce motif pourrait être neutralisé est par ailleurs sans incidence, A... lors que, comme il a été dit précédemment, l'autre motif de la décision de refus de séjour est également entaché d'illégalité.
12. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de son appel, le préfet de la Côte d'Or n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé l'arrêté du 30 juillet 2021.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent arrêt n'implique pas nécessairement que le préfet de la Côte d'Or délivre à Mme D... le titre de séjour demandé mais seulement, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, qu'il procède au réexamen de la demande dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et qu'il délivre, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour à Mme D... dans un délai de huit jours.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme D... qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse au préfet de la Côte d'Or la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, de mettre à la charge de l'Etat le versement au conseil de Mme D... de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Côte d'Or est rejetée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Côte d'Or de procéder au réexamen de la demande de Mme D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours.
Article 3 : L'Etat versera à Me Boughlita, conseil de Mme D..., une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de la Côte d'Or et à Mme B... D....
Délibéré après l'audience du 2 février 2023, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 février 2023.
Le président-rapporteur,
F. BourrachotLa présidente assesseure,
P. Dèche
La greffière,
A-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY01745
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