Vu la procédure suivante :
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés les 16 janvier 2020 et 7 juillet 2021, la SAS Parc éolien de Brasselot, représentée par Me Elfassi, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 13 septembre 2019 par lequel le préfet de l'Yonne a rejeté sa demande d'autorisation environnementale en vue d'exploiter un parc éolien sur le territoire de la commune de Jussy (89212) ;
2°) d'enjoindre au préfet de l'Yonne de reprendre l'instruction de sa demande dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
3°) d'organiser une visite des lieux ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- le projet d'arrêté préalable ne lui a pas été communiqué préalablement, en méconnaissance de l'article R. 181-40 du code de l'environnement ;
- ce refus est entaché d'une erreur d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, en l'absence d'une atteinte significative aux paysages par le projet.
Par un mémoire enregistré le 31 mai 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par la SAS Parc éolien de Brasselot ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 4 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 27 octobre 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chassagne, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Domenech, substituant Me Elfassi, pour la SAS Parc éolien de Brasselot ;
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Parc éolien de Brasselot a déposé auprès du préfet de l'Yonne le 30 janvier 2018, avec complément le 23 avril 2019, une demande d'autorisation environnementale pour l'exploitation d'une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent regroupant cinq aérogénérateurs et deux postes de livraison, pour une puissance totale de 15 à 18 MW, sur le territoire de la commune de Jussy. Par un arrêté du 13 septembre 2019, le préfet, se fondant sur les dispositions du 3° de l'article R. 181-34 ainsi que celles des articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement, a refusé de faire droit à cette demande.
2. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles (...) L. 511-1, selon les cas. / (...). " Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les (...) installations exploitées ou détenues par toute personne (...) morale, (...) privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients (...), soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, (...). / (...). " Aux termes de l'article L. 512-1 du même code : " Sont soumises à autorisation préfectorale les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l'article L. 511-1. / (...). "
3. L'appréciation de l'exigence de protection et de conservation de la nature et paysages énoncée ci-dessus implique une évaluation du lieu d'implantation du projet et puis une prise en compte de la taille des éoliennes projetées, de la configuration des lieux et des enjeux de co-visibilité, au regard, notamment, de la présence éventuelle, à proximité, d'autres parcs éoliens, et des effets d'atténuation de l'impact visuel du projet.
4. A l'appui de son refus, le préfet de l'Yonne a relevé que l'unité paysagère dite des " Jardins de l'Auxerrois " dans laquelle s'inscrit le projet constituait un paysage remarquable, emblématique du département, et, du fait de son relief, était très sensible à l'implantation d'éoliennes. Il a également noté que le secteur était affecté d'une forte prégnance de l'éolien liée à la présence d'autres parcs situés au nord et au sud, en particulier neuf autorisés représentant soixante-dix-huit aérogénérateurs dans un rayon de vingt kilomètres, accrue par le projet qui participait à un écrasement du relief et affectait les paysages de cette unité paysagère, contribuant à leur mitage, avec pour effet de faire baisser en deçà du minimum préconisé les angles de respiration depuis les communes de Jussy et de Saint-Bris-le-Vineux. Il constatait enfin que l'éolienne dite " E3 " avait un impact sur la commune de Gy-l'Evêque.
5. Il résulte de l'instruction que le projet est constitué d'éoliennes d'une hauteur de cent-cinquante mètres en bout de pâles avec un rotor d'environ cent-dix-sept mètres, disposées à environ à deux cent cinquante mètres d'altitude, sur deux lignes séparées, l'une comprenant les éoliennes dites " E1 " et " E2 ", l'autre les éoliennes dites " E3 " " E4 " et " E5 ", respectivement sur la partie nord-ouest et la partie sud-ouest du territoire de la commune de Jussy. Ce site d'implantation, éloigné du sud d'Auxerre d'à peu près six kilomètres, se trouve à l'ouest de la vallée de l'Yonne, sur un plateau dont l'altitude varie entre deux cents et trois cent quatre-vingts mètres, dans une zone au relief ondulé où, sur de grandes parcelles ouvertes, sont exercées des activités agricoles céréalières alors que sur les talwegs et pentes des vallons secs se trouvent des vergers, des bois et, à l'est, quelques rares vignes. Ce plateau cultivé, dit " de la Forterre ", est bordé, à l'est et au sud, par les coteaux de l'Yonne, qui constituent la zone paysagère dite " de l'Auxerrois ", la vallée de l'Yonne étant en recul. Des lieux de vie, tels que les villages de Jussy et Gy-l'Evêque, sont situés à proximité du site d'implantation du projet, dans des vallées et des vallons. Le secteur compte différentes infrastructures routières, avec l'autoroute dite " A6 " à neuf kilomètres au nord, des voies départementales, une ligne électrique à haute tension dans le sens nord/sud et, dans un rayon de vingt kilomètres, plusieurs parcs éoliens autorisés comprenant à ce jour, d'après les éléments du dossier, un total de soixante-dix-huit machines, ou dont les dossiers sont en cours d'instruction.
6. Tout d'abord, et contrairement à ce qu'a retenu le préfet de l'Yonne, il résulte de l'instruction, et notamment de la comparaison des éléments cartographiques figurant à l'étude d'impact et dans l'atlas des paysages de l'Yonne, également pris en compte par l'administration, que le site d'implantation du projet n'est pas au sein de l'unité paysagère dite des " Jardins de l'Auxerrois ", mais dans une unité paysagère limitrophe dénommée la " Forterre " qui ne présente, en tant que telle, aucun intérêt particulier, correspondant à une succession de plateaux calcaires marqués par l'horizontalité et très ouverts, avec un faible découpage parcellaire et peu de haies, consacrés essentiellement à des cultures céréalières, où sont ponctuellement présents, au sud et au nord-est, des boisements.
7. Ensuite, la zone d'implantation du projet est proche des unités paysagères jugées remarquables dites " Jardins de l'Auxerrois " et de la " Vallée de l'Yonne ". Mais il apparaît, notamment au vu des photomontages issus du volet paysager de l'étude d'impact, que si les éoliennes sont partiellement visibles, leur impact sur le paysage, compte tenu de ses caractéristiques, demeure limité. En particulier, les perceptions depuis les " Jardins de l'Auxerrois " resteront larges et ouvertes et, depuis la " Vallée de l'Yonne ", compte tenu d'une végétation importante dans l'aire intermédiaire, restreintes, tous les vignobles se trouvant à l'écart de la zone. L'atteinte à ces unités paysagères n'est pas, contrairement à ce qu'a retenu le préfet, spécialement caractérisée.
8. Par ailleurs, et alors que demeurent des espaces sans éoliennes préservant, depuis différents points d'observation, les vues en direction du paysage éloigné, il n'apparaît pas, contrairement à ce qu'a pu estimer le préfet, que le projet, qui est constitué d'un groupe cohérent d'éoliennes, dans le prolongement visuel des parcs de Migé Escamps, Ouanne Merry-Sec et Taingy, au sud-est et de Chitry-Quennes et Venoy-Beine-Courgis, au nord-ouest, se présenterait de manière totalement discontinue avec ces derniers, dans des conditions confinant à un mitage caractérisé du paysage. Plus généralement, ce projet n'augmente pas significativement la prégnance visuelle cumulée des parcs éoliens déjà présents dans le secteur, les co-visibilités avec ces parcs, qui restent ponctuelles, ne suffisant pas à remettre en cause son insertion correcte dans le paysage.
9. Enfin, et de manière générale, la perception du projet depuis le centre des villages est masquée en grande partie ou en totalité par le relief et la végétation. Comme le montrent les éléments du dossier, le risque de saturation visuelle pour la commune de Jussy, qui résulte de l'emprise et de la proximité du parc éolien de Brasselot, reste modéré, étant très faible voire inexistant pour la ville d'Auxerre, malgré la présence de plusieurs parcs ou projets éoliens dans son voisinage, les communes de Gy-l'Evêque et de Saint-Bris-le-Vineux. Si, en périphérie de la commune de Gy-l'Evêque, l'éolienne " E3 " est prévue en haut du coteau, à proximité d'un boisement et de la ligne haute-tension, dans la continuité d'un verger nouvellement planté, il apparaît que la taille perçue du rotor reste inférieure à la hauteur du coteau, sans rupture d'échelle, l'impact paysager, compte tenu de la configuration des lieux, demeurant limité.
10. Pour l'ensemble de ces raisons il apparaît ainsi que, comme le soutient la SAS Parc éolien de Brasselot, le refus contesté procède d'une appréciation erronée au regard des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
11. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ni d'ordonner une visite des lieux, la SAS Parc éolien de Brasselot est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Yonne du 13 septembre 2019.
12. Le présent arrêt implique nécessairement, au sens de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, que le préfet de l'Yonne reprenne l'instruction de la demande d'autorisation environnementale présentée par la SAS Parc éolien de Brasselot pour l'exploitation d'un parc de cinq aérogénérateurs et deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Jussy. Il y a lieu de lui adresser une injonction en ce sens et de lui impartir un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt.
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, pour l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SAS Parc éolien de Brasselot et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'arrêté du 13 septembre 2019 du préfet de l'Yonne est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Yonne, en application des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, de reprendre l'instruction de la demande d'autorisation environnementale présentée par la SAS Parc éolien de Brasselot pour l'exploitation d'un parc de cinq aérogénérateurs et deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Jussy, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera la somme de 1 500 euros à la SAS Parc éolien de Brasselot en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par la SAS Parc éolien de Brasselot est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Parc éolien de Brasselot et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée à la ministre de la transition énergétique et au préfet de l'Yonne.
Délibéré après l'audience du 19 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2023.
Le rapporteur,
J. Chassagne
Le président,
V.-M. Picard La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la ministre de la transition énergétique en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 20LY00201 2
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