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26/01/2023 | FRANCE | N°22LY00597

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 26 janvier 2023, 22LY00597


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société par actions simplifiée (SAS) Magellan Développement International, désormais dénommée M010, a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la réduction des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er décembre 2010 au 31 octobre 2013, des majorations correspondantes ainsi que de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1736 du code général des impôts au titre des années 2011 et 2012, e

t de mettre à la charge de l'Etat une somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 76...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société par actions simplifiée (SAS) Magellan Développement International, désormais dénommée M010, a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la réduction des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er décembre 2010 au 31 octobre 2013, des majorations correspondantes ainsi que de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1736 du code général des impôts au titre des années 2011 et 2012, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1607464 du 27 décembre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a prononcé la décharge, d'une part, des droits de taxe sur la valeur ajoutée établis à raison de prestations de fourniture de logement au titre de la période du 15 mars 2013 au 31 octobre 2013 (articles 1er et 2), et, d'autre part, des majorations pour manquement délibéré appliquées aux droits de taxe comptabilisée et non déclarée au titre de la période du 1er décembre 2012 au 31 octobre 2013 (article 3), a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 4), et a rejeté le surplus des demandes (article 5).

Par un arrêt n° 19LY00796 du 7 septembre 2020, la cour administrative

d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la société Magellan Développement International

contre ce jugement, en tant qu'il rejetait le surplus de sa demande.

Par décision n° 446128 du 24 février 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire, désormais enregistrée sous le n° 22LY00597, devant la cour administrative d'appel de Lyon.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 27 février 2019 et le 29 juin 2020, la SAS Magellan Développement International, représentée par Me Duraffourd,

demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 5 du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 27 décembre 2018 ;

2°) de prononcer la réduction des rappels de taxe sur la valeur ajoutée maintenus à sa

charge au titre de la période du 1er décembre 2010 au 31 octobre 2013 et de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1736 du code général des impôts au titre des années 2011 et 2012 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les prestations qu'elle assure en mettant des logements et des véhicules à disposition des salariés détachés en France de sociétés d'intérim polonaises et portugaises sont hors du champ d'application territorial de la taxe sur la valeur ajoutée en France, dès lors que les preneurs sont des assujettis situés hors de France et que ces prestations, ainsi que les commissions facturées le 30 novembre 2011, ne relèvent pas des dérogations prévues à l'article 259 A du code général des impôts ;

- en tout état de cause, à supposer qu'elles soient imposables en France, les prestations de mise à disposition de logements meublés sont exonérées de taxe sur la valeur ajoutée en application du 4° de l'article 261 D du code général des impôts ou relèvent du taux réduit en vertu de l'article 279 du même code ;

- l'administration ne pouvait lui infliger l'amende de 50 % prévue par l'article 1736 du code général des impôts, dès lors que, conformément à ces dispositions dans leur version résultant de l'article 7 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018, qui est applicable immédiatement en vertu du principe de rétroactivité in mitius, elle justifie que les rémunérations non déclarées ont été comprises dans les propres déclarations de leurs bénéficiaires ;

- elle peut se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, d'une décision de rescrit n° 2012/2 du 14 février 2012 ;

- l'administration n'apporte pas la preuve du paiement effectif de sommes relevant des catégories visées à l'article 240 du code général des impôts, dont ne font notamment pas partie les redevances de marque retenues par la proposition de rectification.

Par un mémoire, enregistré le 30 août 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que la charge de la preuve incombe à la société requérante, qui a partiellement accepté les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige, et que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par des mémoires après cassation, enregistrés le 16 mars 2022, le 27 juillet 2022 et le 16 décembre 2022, la SAS M010, anciennement dénommée Magellan Développement International, représentée par Me Duraffourd, conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures par les mêmes moyens et demande, en outre, à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée maintenus à sa charge au titre de la période du 1er décembre 2010 au 31 octobre 2013, en ce qu'ils excèdent un montant de 19 671 euros ou, subsidiairement, 19 988 euros, ainsi que les pénalités correspondantes et l'amende qui lui a été infligée au titre des années 2011 et 2012 sur le fondement de l'article 1736 du code général des impôts ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient en outre que :

- si les prestations d'hébergement et leurs prestations accessoires sont bien taxables en France, les prestations de transport aérien en provenance ou à destination de l'étranger, en admettant qu'elles soient distinctes et indépendantes, n'ont pas à être assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée en France en application du 8° du II de l'article 262 du code général des impôts, et sont en tout état de cause soumises à un taux réduit ;

- le chiffre d'affaires réalisé par la société M010 au titre des prestations de fourniture

de billets de transport ainsi que de vêtements de travail aux intérimaires, qui sont des opérations indissociables ou à tout le moins purement accessoires au regard de l'objectif principal d'assurer leur logement et la recherche de solutions pour leur installation professionnelle, représente un montant insignifiant au regard du chiffre d'affaires réalisé par la société M010 au titre des prestations de gestion et d'hébergement des intérimaires, et fait l'objet d'une facturation unique ;

- en tout état de cause, seule la fourniture de vêtements de travail, nécessairement constitutive de livraisons intracommunautaires, pourrait éventuellement être taxée au taux normal, ainsi que les locations de véhicules de courte durée, sous réserve qu'elles ne soient pas regardées comme des prestations accessoires, sans permettre d'assujettir à ce même taux les prestations principales d'hébergement ou de location de moyens de transport de longue durée qui sont soit exonérées de taxe, soit assujetties à la taxe au taux réduit ;

- l'article 37 de l'annexe IV au code général des impôts ne peut avoir pour effet de permettre à l'administration de soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée en France des opérations qui n'ont pas à l'être en application de la directive du 26 novembre 2012, sauf à méconnaitre celle-ci, alors que les factures de la société M010 identifient très précisément la nature de la prestation fournie ainsi que son prix ;

- l'administration ne justifie pas que les montants retenus pour l'assiette de l'amende infligée sur le fondement de l'article 1736 du code général des impôts correspondraient à des commissions ou honoraires devant faire l'objet d'une déclaration en application de l'article 240 du code général des impôts, la société M010 n'ayant jamais versé de commissions mais s'étant seulement vu facturer des prestations de services ou redevances de licences de marque.

Par des mémoires en défense après cassation, enregistrés le 29 juin 2022 et le 8 décembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut, dans le dernier état de ses écritures, à titre principal aux mêmes fins que ses précédents mémoires, par les mêmes moyens, et, à titre subsidiaire, à ce que les droits rappelés en matière de taxe sur la valeur ajoutée soient maintenus à la charge de la société requérante à hauteur de 33 449 euros, outre pénalités correspondantes, et au rejet du surplus.

Il soutient en outre que :

- le montant des droits en litige s'élève à la somme de 71 672 euros et non à la somme de 71 953 euros ;

- les prestations refacturées par la requérante, qui sont distinctes et indépendantes, ont été rendues dans le cadre d'une activité d'intermédiaire opaque ;

- les prestations d'hébergement et les prestations accessoires qui s'y rattachent sont taxables en France dès lors qu'elles présentent un lien suffisamment direct avec des immeubles situés en France ; les prestations de location de véhicules de courte durée, dont les durées ne sauraient être cumulées pour rechercher la qualification de location de longue durée, sont également taxables en France, de même que les prestations d'achat d'équipements professionnels et les prestations de transport de passagers ;

- la requérante ne peut se prévaloir des régimes d'exonération ou du taux réduit susceptibles d'être applicables à certaines des prestations qu'elle fournit, dès lors qu'elle ne comptabilise pas séparément les recettes correspondantes et est dès lors passible de la taxe au taux le plus élevé sur la totalité de ses opérations ;

- à titre subsidiaire, si la cour devait admettre l'existence de prestations accessoires à des prestations principales d'hébergement, lesquelles sont pour l'essentiel imposables au taux réduit et ne sont pas distinguées sur les factures émises, il conviendrait de maintenir les rappels de taxe, calculés sur l'intégralité du chiffre d'affaires, à concurrence de 33 449 euros ;

- la requérante avait admis dans ses premières écritures avoir versé les sommes faisant l'objet de l'amende prononcée sur le fondement de l'article 1736 du code général des impôts, ainsi qu'il résulte au demeurant des constatations effectuées sur place par le vérificateur au vu de la comptabilité présentée ; la circonstance que les tableaux annexés à la proposition de rectification portent parfois la mention " contrat marque " ne suffit pas à établir que ces sommes auraient la nature de redevances de marques commerciales, alors en outre que des redevances versées à une société en contrepartie du droit d'utiliser une marque commerciale doivent être déclarées en application de l'article 240 du code général des impôts ;

- les déclarations DAS déposées par la société l'ont été de sa propre initiative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bourrachot, président,

- et les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Magellan Développement International (MDI), devenue la société M010, avait notamment pour activité la recherche, la réservation et la mise à disposition de logements et de véhicules pour les besoins de salariés en provenance de Pologne et du Portugal détachés en France auprès de sociétés de travail temporaire françaises, polonaises et portugaises, auxquelles elle refacturait ces prestations assorties d'une commission allant de 3 à 15%. La société Magellan Développement International a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er décembre 2010 au 30 octobre 2013, à l'issue de laquelle l'administration lui a notamment réclamé des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée résultant d'un rappel de taxe comptabilisée et non déclarée au titre de la période du 1er décembre 2012 au 30 octobre 2013 et de la soumission à la taxe sur la valeur ajoutée de l'intégralité des prestations fournies à ses clients français, polonais et portugais sur la période du 1er décembre 2010 au 30 octobre 2013. Ces rappels ont été assortis de majorations pour manquement délibéré et de l'amende prévue par l'article 1736 du code général des impôts au titre des années 2011 et 2012. Par un jugement du 27 décembre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a accordé à la société MDI la décharge, d'une part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée assignés à raison de la refacturation aux clients français, portugais et polonais des locations de logements meublés postérieures au 15 mars 2013 et, d'autre part, des majorations pour manquement délibéré dont ont été assortis les rappels de taxe sur la valeur ajoutée correspondant à la taxe comptabilisée mais non déclarée au titre de la période du 1er décembre 2012 au 30 octobre 2013 et a rejeté le surplus de la demande de la société. La société M010 relève appel de l'article 5 de ce jugement rejetant le surplus de ses prétentions, mais, dans le dernier état de ses écritures, limite en appel sa demande de décharge à la somme de 71 672 euros en droits à titre principal et 71 355 euros à titre subsidiaire.

Sur le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée :

2. En premier lieu, il résulte des dispositions de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que, lorsqu'une opération économique soumise à la taxe sur la valeur ajoutée est constituée par un faisceau d'éléments et d'actes, il y a lieu de prendre en compte toutes les circonstances dans lesquelles elle se déroule aux fins de déterminer si l'on se trouve en présence de plusieurs prestations ou livraisons distinctes ou d'une prestation ou d'une livraison complexe unique. Chaque prestation ou livraison doit en principe être regardée comme distincte et indépendante. Toutefois, l'opération constituée d'une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la taxe sur la valeur ajoutée. De même, dans certaines circonstances, plusieurs opérations formellement distinctes, qui pourraient être fournies et taxées séparément, doivent être regardées comme une opération unique lorsqu'elles ne sont pas indépendantes. Tel est le cas lorsque, au sein des éléments caractéristiques de l'opération en cause, certains éléments constituent la prestation principale, tandis que les autres, dès lors qu'ils ne constituent pas pour les clients, compte tenu notamment de la valeur respective de chacune des prestations composant l'opération, une fin en soi mais le moyen de bénéficier dans de meilleures conditions de la prestation principale, doivent être regardés comme des prestations accessoires partageant le sort fiscal de celle-ci. Tel est le cas, également, lorsque plusieurs éléments fournis par l'assujetti au consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, sont si étroitement liés qu'ils forment, objectivement, une seule opération économique indissociable, le sort fiscal de celle-ci étant alors déterminé par celui de la prestation prédominante au sein de cette opération.

3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si la situation du contribuable entre dans le champ de l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée ou, le cas échéant, s'il remplit les conditions légales d'une exonération.

4. Il résulte de l'instruction que la SAS Magellan Développement International, devenue M010, a conclu avec des entreprises de travail temporaires portugaises et polonaises des contrats de prestation de services pour l'exécution desquels elle s'engageait notamment à assurer " la recherche de solutions pour l'installation des employés en France ", " la gestion administrative et financière de l'hébergement en France ", et, uniquement pour l'une de ses clientes, " la gestion administrative des moyens de locomotion en France ". Elle exerçait à cet effet une activité d'intermédiaire opaque et prenait en location, à son nom, des hébergements, et parfois des véhicules, auprès de différents fournisseurs, qu'elle mettait à disposition des salariés de ses clients. Il ressort de l'examen des factures produites aux débats que la SAS MDI prenait également en charge des frais annexes tels que l'électricité, l'accès à Internet ou des réparations locatives, ainsi que le coût des contraventions résultant de l'utilisation des véhicules loués ou encore des frais de réparation de ces derniers. Dans certains cas, elle fournissait aux salariés détachés en France des vêtements de travail ou des équipements de protection individuelle nécessaires à l'accomplissement de leur mission, et prenait parfois également en charge la réservation du voyage entre la France et le Portugal. Le montant exact de ces prestations était ensuite refacturé, majoré d'une commission, aux employeurs des salariés détachés ayant commandé la prestation.

5. Il résulte notamment de la rédaction des contrats de prestation de services que, du point de vue des clients de la société M010, la seule finalité économique des opérations confiées à la requérante consiste à assurer l'installation des salariés détachés en France le temps de leur mission et l'exercice de celle-ci dans les meilleures conditions, ce qui suppose de leur fournir à titre principal un logement et, si besoin, un véhicule, les moyens d'effectuer le trajet entre la France et le Portugal ou encore des équipements professionnels. Il n'est au demeurant pas sérieusement démontré que les clientes de la société M010 seraient susceptibles de recourir à une prestation de location de véhicule, d'achat d'équipements professionnels ou de réservation de billets d'avion ou d'autobus auprès de la société M010 sans avoir au préalable recours à une prestation d'hébergement au bénéfice du salarié qu'elles affectent à une mission déterminée. Il s'ensuit que les prestations refacturées par la société requérante doivent être regardées comme une opération de soutien logistique constituée, pour chaque mission de travail temporaire prise individuellement, d'une prestation prédominante d'hébergement, et d'éventuelles prestations accessoires destinées à bénéficier de la prestation principale dans de meilleures conditions, et incluant tant les locations de véhicules, quelle qu'en soit la durée, que les achats d'équipements ou de billets de transport, ainsi que toutes les prestations découlant directement de la location d'un hébergement ou d'un véhicule, telles que la prise en charge des réparations, ce dernier point n'étant au demeurant pas contesté par le ministre. La circonstance que les prestations qualifiées d'accessoires puissent en théorie être également fournies par un tiers n'est pas de nature à modifier cette analyse. Il résulte au demeurant de l'examen détaillé des factures que la valeur cumulée des prestations accessoires reste marginale au regard du chiffre d'affaires afférent aux prestations d'hébergement, y compris au titre du premier exercice en litige au cours duquel elles sont un peu plus fréquentes qu'au titre des exercices postérieurs. En conséquence, le sort fiscal des prestations accessoires doit suivre celui des prestations principales d'hébergement, tant en matière de territorialité que de taux.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 259 A du code général des impôts : " Par dérogation à l'article 259, est situé en France le lieu des prestations de services suivantes : / (...) 2° Les prestations de services se rattachant à un bien immeuble situé en France, y compris (...) la fourniture de logements dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire tels que des camps de vacances ou des sites aménagés pour camper (...) ".

7. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que la prestation principale fournie par la SAS M010, qui consiste à mettre des hébergements divers à disposition des salariés détachés en France dans le cadre d'une mission de travail temporaire déterminée, présente un lien direct suffisant avec des biens immeubles situés en France, qu'elle soit ou non assortie de prestations hôtelières ou para-hôtelières, ce que ne conteste au demeurant plus la requérante. Il s'ensuit qu'elle est taxable en France, de même que les prestations accessoires dont elle est le cas échéant assortie.

8. En troisième lieu, selon l'article 260 D du code général des impôts : " Pour l'application de la taxe sur la valeur ajoutée la location d'un local meublé ou nu dont la destination finale est le logement meublé est toujours considérée comme une opération de fourniture de logement meublé quelles que soient l'activité du preneur et l'affectation qu'il donne à ce local ". Aux termes de l'article 261 D du même code : " Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée : / (...) 4° Les locations occasionnelles, permanentes ou saisonnières de logements meublés ou garnis à usage d'habitation. / Toutefois, l'exonération ne s'applique pas : / a. Aux prestations d'hébergement fournies dans les hôtels de tourisme classés, les villages de vacances classés ou agréés et les résidences de tourisme classées lorsque ces dernières sont destinées à l'hébergement des touristes et qu'elles sont louées par un contrat d'une durée d'au moins neuf ans à un ou plusieurs exploitants qui ont souscrit un engagement de promotion touristique à l'étranger dans les conditions fixées par un décret en Conseil d'Etat ; / b. Aux prestations de mise à disposition d'un local meublé ou garni effectuées à titre onéreux et de manière habituelle, comportant en sus de l'hébergement au moins trois des prestations suivantes, rendues dans des conditions similaires à celles proposées par les établissements d'hébergement à caractère hôtelier exploités de manière professionnelle : le petit déjeuner, le nettoyage régulier des locaux, la fourniture de linge de maison et la réception, même non personnalisée, de la clientèle (...) ". En vertu du a de l'article 279 du même code, dans sa rédaction alors applicable, la taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux réduit de 5,50%, puis de 7% pour les opérations pour lesquelles la taxe sur la valeur ajoutée est exigible à compter du 1er janvier 2012, en ce qui concerne les prestations relatives à la fourniture de logement, ce taux s'appliquant aux locations meublées dans les mêmes conditions que pour les établissements d'hébergement, ainsi, sous certaines conditions, qu'à la fourniture de logement dans les terrains de camping classés.

9. Il résulte de l'instruction, et notamment des factures produites à l'instance, que certaines des prestations d'hébergement refacturées par la requérante, correspondant à des locations meublées sans prestation hôtelière ou para-hôtelière, devaient être exonérées de taxe sur la valeur ajoutée en application du 4° précité de l'article 261 D du code général des impôts. Il résulte cependant des mêmes documents, et il n'est d'ailleurs plus contesté par la requérante, laquelle, dans le dernier état de ses écritures, a admis des rectifications de taxe sur la valeur ajoutée à ce titre, que les autres prestations d'hébergement acquises et refacturées par elle, exclues du bénéfice de l'exonération, devaient être soumises à la taxe au taux réduit.

10. Toutefois, en dernier lieu, lorsqu'un contribuable réalise des affaires passibles de la taxe sur la valeur ajoutée selon des taux différents et tient une comptabilité ou établit des factures ne permettant pas de distinguer entre ces différentes catégories d'affaires, il est passible de la taxe au taux le plus élevé sur la totalité des affaires. En l'espèce, les factures établies par la SAS M010 ne permettent pas à elles seules de déterminer si les prestations d'hébergement qu'elles mentionnent sont exonérées ou taxables au taux réduit. En outre, ni la comptabilité ni les factures établies par la société requérante, même rapprochées des factures émanant de ses propres fournisseurs, ne permettent de déterminer, pour chaque prestation accessoire, en particulier de location de véhicules ou d'achat d'équipements, si elle se rattache à une prestation principale d'hébergement exonérée ou imposée au taux réduit, faute notamment d'informations systématiques quant au bénéficiaire final de chaque prestation. Il s'ensuit que les prestations fournies par la société M010 étaient, dans leur ensemble, passibles de la taxe au taux le plus élevé, soit au taux réduit.

11. Il résulte de l'instruction que les rectifications initiales ont été établies à partir d'un chiffre d'affaires non soumis à la taxe sur la valeur ajoutée, tel que retenu par le vérificateur, de 236 678 euros pour la période du 1er décembre 2010 au 30 novembre 2011, de 244 044 euros pour la période du 1er décembre 2011 au 30 novembre 2012, et de 78 896 euros pour la période du 1er décembre 2012 au 15 mars 2013. La taxe sur la valeur ajoutée qui était exigible au taux réduit de 5,5% puis de 7% sur les prestations en litige s'établit en conséquence aux sommes admises par le ministre dans le dernier état de ses écritures et non contestées par la société M010, de 12 323 euros pour la période du 1er décembre 2010 au 30 novembre 2011, 15 965 euros pour la période du 1er décembre 2011 au 30 novembre 2012 et de 5 161 euros pour la période du 1er décembre 2012 au 15 mars 2013. Par suite, les opérations en litige de la SAS M010 devaient être assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée à concurrence de 33 449 euros, au lieu de 91 660 euros retenus par le vérificateur. La requérante est en conséquence seulement fondée à demander la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour la période du 1er décembre 2010 au 15 mars 2013 à hauteur de 58 211 euros, ainsi que des pénalités correspondantes.

Sur le bien-fondé de l'amende :

12. Aux termes du 1 du I de l'article 1736 du code général des impôts : " Entraîne l'application d'une amende égale à 50 % des sommes non déclarées le fait de ne pas se conformer aux obligations prévues à l'article 240 (...). L'amende n'est pas applicable, en cas de première infraction commise au cours de l'année civile en cours et des trois années précédentes, lorsque les intéressés ont réparé leur omission, soit spontanément, soit à la première demande de l'administration, avant la fin de l'année au cours de laquelle la déclaration devait être souscrite ". Selon le 1 de l'article 240 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable en 2011 et 2012 : " Les personnes physiques qui, à l'occasion de l'exercice de leur profession versent à des tiers des commissions, courtages, ristournes commerciales ou autres, vacations, honoraires occasionnels ou non, gratifications et autres rémunérations, doivent déclarer ces sommes dans les conditions prévues aux articles 87,87 A et 89. / Ces sommes sont cotisées, au nom du bénéficiaire, d'après la nature d'activité au titre de laquelle ce dernier les a perçues ". Le 2 du même article prévoit que : " Les dispositions des 1 et 1 bis sont applicables à toutes les personnes morales ou organismes, quel que soit leur objet ou leur activité (...) ".

13. En l'espèce, le vérificateur a constaté, à l'examen de sa comptabilité, que la société MDI, devenue M010, avait procédé à des règlements, dont la matérialité n'est pas sérieusement remise en cause, à hauteur de 81 729 euros en 2011 et de 91 838 euros en 2012, à destination, d'une part, de la société Mare Nostrum, société mère de la société requérante, et, d'autre part, de sociétés tierces, pour certaines de droit étranger. Dans les tableaux annexés à la proposition de rectification, le vérificateur a porté les mentions " (convention) " ou " (contrat marque) " en regard de certains règlements effectués à la société Mare Nostrum.

14. En premier lieu, les redevances payées en contrepartie du droit d'utiliser une marque commerciale n'entrent dans aucune des catégories énoncées à l'article 240 précité du code général des impôts et ne doivent dès lors pas, sous peine d'amende, faire l'objet de la déclaration spéciale prévue à ce même article. L'administration fiscale n'établit pas que les sommes en regard desquelles le vérificateur a apposé la mention " contrat marque " auraient été versées non en contrepartie du droit d'utiliser une marque commerciale, ainsi que le suggère la précision faite par le vérificateur, mais en contrepartie d'autres activités dont la rémunération serait susceptible de recevoir l'une des qualifications énumérées à l'article 240 du code général des impôts. Par suite, la société M010 est fondée à soutenir que le ministre n'établit pas que ces sommes pouvaient être incluses dans l'assiette de l'amende fiscale lui ayant été infligée.

15. En second lieu, en l'absence de toute précision apportée par le vérificateur quant à la nature des activités effectivement réalisées en contrepartie des autres sommes qu'il a qualifiées de " commissions et honoraires ", dont une partie au moins se rattacherait à une " convention " établie entre la société mère et sa filiale, et alors que la société M010 soutient, sans être utilement contredite, que les sommes litigieuses ne rémunéraient que des prestations de services réalisées entre sociétés commerciales et non constitutives d'honoraires, la requérante est fondée à soutenir que l'administration n'établit pas davantage que les autres sommes incluses dans l'assiette de l'amende entraient effectivement dans l'une des catégories énoncées à l'article 240 du code général des impôts. La circonstance que la société ait initialement tenté de se conformer à la demande du vérificateur en déposant des déclarations de régularisation ne vaut par ailleurs pas acquiescement aux qualifications juridiques retenues par ce dernier pour les sommes en litige.

16. Par suite, la SAS M010 est fondée à demander la décharge des amendes de 40 864 euros et 45 919 euros lui ayant été respectivement infligées au titre des années 2011 et 2012 sur le fondement de l'article 1736 du code général des impôts.

17. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS M010 est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a intégralement rejeté le surplus de ses demandes.

Sur les frais liés au litige :

18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante pour l'essentiel, une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La SAS M010 est déchargée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour la période du 1er décembre 2010 au 15 mars 2013, à concurrence de 58 211 euros, ainsi que des pénalités correspondantes.

Article 2 : La SAS M010 est déchargée des amendes de 40 864 euros et 45 919 euros prononcées à son encontre au titre des années 2011 et 2012 sur le fondement de l'article 1736 du code général des impôts.

Article 3 : Le jugement n° 1607464 du 27 décembre 2018 du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à la SAS M010 une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS M010 et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Dèche, présidente assesseure,

Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 janvier 2023.

Le président-rapporteur,

F. BourrachotLa présidente assesseure,

P. Dèche

La greffière,

A-C. Ponnelle

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY00597

ar


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY00597
Date de la décision : 26/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Fiscal

Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: M. François BOURRACHOT
Rapporteur public ?: Mme LE FRAPPER
Avocat(s) : CABINET DURAFFOURD

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-01-26;22ly00597 ?
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