Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 10 janvier 2019 par laquelle le préfet de Saône-et-Loire a prononcé la déchéance des droits aux aides à l'installation et leur remboursement.
Par un jugement n° 1901884 du 9 juillet 2020, le tribunal administratif de Dijon a fait droit à cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 28 septembre 2020, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 9 juillet 2020 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant ce tribunal.
Il soutient que :
- le contrôle prévu à l'article D. 343-18 du code rural et de la pêche maritime n'est enfermé dans aucun délai, autre que le délai de prescription ; l'arrêté du 13 janvier 2009 n'a pu avoir pour effet de limiter le délai dans lequel le contrôle du préfet peut s'exercer, qu'il n'implique pas qu'un contrôle réalisé postérieurement à l'échéance de la sixième année d'installation serait illégal.
- la condition d'éligibilité de la dotation jeune agriculteur prévue par l'article D. 343-12 du code rural et de la pêche maritime n'est pas remplie, à savoir des revenus inférieurs à trois fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) net de prélèvements sociaux ;
- l'autorité administrative est tenue de prononcer la déchéance de cette aide ;
- la méconnaissance des conditions d'éligibilité constitue une " irrégularité " au sens du règlement 2988/95.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er septembre 2021, Mme B..., représentée par Me Littner Bibard, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés sont infondés ;
- subsidiairement, la décision litigieuse est insuffisamment motivée ; le préfet a fait une application erronée des textes applicables à la période concernée ; seul le montant du SMIC annuel brut, déduit des prélèvements sociaux, devait être pris en compte pour le calcul de la valeur limite définie à l'article D. 343-12 du code rural et de la pêche maritime applicable ; son revenu professionnel global ne dépasse pas le seuil de trois SMIC net de prélèvement sociaux ; aucun texte ne fixait, pour la période en litige, la date de valeur du SMIC devant être retenue pour le calcul de la valeur limite justifiant l'octroi de l'aide ; la hausse de son revenu sur deux exercices résulte de facteurs purement conjoncturels ; elle n'a jamais été informée de l'obligation de respecter les critères d'octroi de l'aide.
Par ordonnance du 21 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 février 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 ;
- le règlement (CE) n° 1698/2005 du Conseil concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) ;
- le règlement (CE) n° 1974/2006 de la Commission du 15 décembre 2006 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté du 13 janvier 2009 du ministre de l'agriculture et de la pêche relatif au contenu du plan de développement de l'exploitation à réaliser pour bénéficier des aides à l'installation ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère ;
- et les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre de l'installation de son activité agricole, Mme A... B... a bénéficié, par décision du 27 juillet 2009, d'une dotation d'installation aux jeunes agriculteurs d'un montant global de 14 198 euros, financée pour moitié par l'État et pour moitié par des fonds européens. A la suite d'un contrôle administratif, le préfet de Saône-et-Loire a, par une décision du 10 janvier 2019, prononcé la déchéance des droits de l'intéressée au titre de la dotation jeune agriculteur au motif qu'il avait été constaté que le revenu professionnel global moyen de Mme B... sur les cinq années du PDE (plan de développement de l'exploitation) était supérieur au revenu de référence fixé à trois fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance. Le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, relève appel du jugement du 9 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Dijon a annulé cette décision.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Dijon :
2. Aux termes de l'article D. 343-18 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable : " (...) au terme de la cinquième année suivant l'installation, le préfet procède au contrôle administratif du plan de développement de l'exploitation. L'engagement de tenir une comptabilité conformément au 5° de l'article D. 343-5 fait l'objet d'un contrôle systématique au terme du plan de développement de l'exploitation. Un arrêté du ministre chargé de l'agriculture fixe les éléments du plan de développement de l'exploitation à vérifier lors du contrôle administratif. ". Aux termes de l'article D. 343-18-2 du même code, dans sa version alors applicable : " (...) Lorsqu'il est constaté au terme de la cinquième année suivant son installation que la moyenne du revenu professionnel global du bénéficiaire des aides est supérieure à un montant fixé par l'arrêté prévu à l'article D. 343-7, le préfet peut demander le remboursement de la dotation d'installation. (...). ". Aux termes de l'article 5 de l'arrêté du 13 janvier 2009 : " Au terme du plan de développement de l'exploitation et avant l'échéance de la sixième année d'installation, le préfet contrôle sa réalisation (...) En outre, pour l'application du dernier alinéa de l'article D. 343-18-2 du code rural, le préfet vérifie que la moyenne du revenu professionnel global annuel du bénéficiaire des aides à l'installation, appréciée sur les cinq années du plan, n'est pas supérieure à trois fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance, net de prélèvements sociaux ".
3. Pour annuler la décision du 10 janvier 2019, les premiers juges ont retenu qu'en méconnaissance de l'article 5 de l'arrêté susvisé du 13 janvier 2009, le contrôle opéré par le préfet a eu lieu après l'échéance de la sixième année d'installation, et que cette irrégularité a privé Mme B... d'une garantie.
4. Pour critiquer ce jugement, le ministre soutient que l'arrêté du 13 janvier 2009 n'a pu avoir pour effet de limiter le délai dans lequel le contrôle du préfet peut s'exercer, qu'il n'implique pas qu'un contrôle réalisé postérieurement à l'échéance de la sixième année d'installation serait illégal, alors que l'autorité administrative est tenue de prononcer la déchéance de l'aide en cas de la méconnaissance des conditions d'éligibilité, qui constitue une " irrégularité " au sens du règlement n° 2988/95 susvisé.
5. D'une part, si l'arrêté du 13 janvier 2009 du ministre de l'agriculture et de la pêche est " relatif au contenu du plan de développement de l'exploitation à réaliser ", il n'excède pas l'habilitation que lui confèrent les dispositions précitées de l'article D. 343-18 du code rural et de la pêche maritime, qui précisent que le contrôle doit avoir lieu au terme de la cinquième année suivant l'installation.
6. D'autre part, comme l'ont relevé les premiers juges, il résulte des dispositions de l'article 5 de l'arrêté du 13 janvier 2009 que la vérification de la condition de revenus prévue par ces dispositions doit intervenir avant l'échéance de la sixième année d'installation.
7. Enfin, aux termes du paragraphe 3 de l'article 13 du règlement du 15 décembre 2006 : " Le respect du plan de développement est évalué par l'autorité compétente dans un délai maximal de cinq ans après la date d'adoption de la décision individuelle d'octroi de l'aide. Les États membres définissent, en tenant compte des circonstances dans lesquelles le plan de développement est mis en œuvre, les modalités de recouvrement de l'aide déjà reçue s'il est constaté, au moment de l'évaluation, que le jeune agriculteur ne s'est pas conformé aux dispositions du plan de développement ".
8. Il résulte des dispositions précitées que les modalités de récupération d'une aide déjà reçue sont soumises aux règles du droit national, sous réserve que l'application de ces règles se fasse de façon non discriminatoire au regard des procédures visant à trancher des litiges nationaux du même type et qu'elle ne porte pas atteinte à l'application et à l'efficacité du droit de l'Union ou n'ait pas pour effet de rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile la récupération des sommes octroyées. Si le ministre soutient que le préfet se trouvait en situation de compétence liée en application de l'article 4 du règlement n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995, aux termes duquel " 1. Toute irrégularité doit entraîner, en règle générale, le retrait de l'avantage indument obtenu ", le droit de l'Union ne s'oppose pas à ce que l'autorité administrative exerce dans ce domaine son pouvoir d'appréciation et même, le cas échéant, exclue la répétition d'une aide indûment versée en prenant en compte des critères tels que la protection de la confiance légitime, la disparition de l'enrichissement sans cause, l'écoulement d'un délai ou un comportement de l'administration elle-même. Il appartenait donc au préfet, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, de tirer les conséquences de l'écoulement du délai de vérification tenant à l'échéance de la sixième année d'installation sur la possibilité de la récupération de l'aide en litige.
9. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'agriculture et de l'alimentation n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du préfet de Saône-et-Loire prononçant la déchéance des droits de Mme B... au titre de la dotation jeune agriculteur.
Sur les frais de l'instance :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'agriculture et de l'alimentation est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et à Mme A... B....
Copie en sera adressée au préfet de Saône-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 13 décembre 2022 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président,
M. Gilles Fédi, président-assesseur,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 janvier 2023.
La rapporteure,
Bénédicte LordonnéLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 20LY02812