Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 22 juin 2021 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit d'office, d'enjoindre sous astreinte au préfet de la Haute-Savoie de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou de procéder au réexamen de sa demande, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à son conseil au titre des frais liés au litige.
Par un jugement n° 2106628 du 17 janvier 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 février 2022, le 19 septembre 2022 et le 4 novembre 2022, M. B..., représenté par Me Robin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et l'arrêté du 22 juin 2021 ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'omission à statuer ;
- le tribunal administratif a procédé d'office à une substitution de motifs qui n'avait pas été demandée en défense ;
- le refus de titre de séjour est insuffisamment motivé en droit, en tant qu'il est fondé sur une " atteinte sérieuse à l'ordre public " ;
- il est également insuffisamment motivé en fait s'agissant de son état de santé ainsi que de ses attaches familiales et procède d'un défaut d'examen particulier ;
- il est intervenu au terme d'une procédure irrégulière en l'absence de saisine de la commission du titre de séjour ;
- il est entaché d'erreur de droit en ce qu'il lui oppose la notion juridiquement inexistante d'atteinte sérieuse à l'ordre public ;
- l'autorité préfectorale a méconnu sa propre compétence et son pouvoir d'appréciation sur sa situation médicale ;
- elle a méconnu l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il ne peut effectivement bénéficier en Bosnie-Herzégovine d'un traitement approprié à son état de santé ;
- c'est à tort que sa demande a été traitée comme une première demande de titre de séjour et non comme une demande de renouvellement ;
- le refus de séjour méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- son comportement ne constitue pas une menace à l'ordre public ;
- l'illégalité du refus de séjour entraîne l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- la mesure d'éloignement méconnaît le 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et procède d'un défaut d'examen particulier ainsi que d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits et des libertés fondamentales ;
- l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français entraîne l'illégalité de la décision fixant le délai de départ volontaire ;
- cette décision ne prend pas en compte les limitations apportées aux déplacements, ne permettant pas d'organiser un départ dans un délai de trente jours, et procède d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'illégalité du refus de séjour et de la mesure d'éloignement entraîne, par voie d'exception, l'illégalité de la décision fixant le pays de destination ;
- cette décision méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au préfet de la Haute-Savoie, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Le Frapper, première conseillère,
- et les observations de Me Lulé, substituant Me Robin, représentant M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant de Bosnie-Herzégovine né le 17 mars 1962, a déclaré être entré en France pour la première fois le 7 septembre 2004. Sa demande de protection internationale a été définitivement rejetée par la Cour nationale du droit d'asile le 24 janvier 2007. Il a obtenu son admission au séjour en raison de son état de santé à compter du 9 février 2007, son droit au séjour ayant ensuite été régulièrement renouvelé jusqu'au 26 octobre 2018, date d'expiration du dernier titre de séjour délivré. M. B... a déclaré être entré pour la dernière fois en France le 1er janvier 2020, après avoir été expulsé vers la Bosnie par les autorités italiennes à la suite d'une condamnation pénale. Il a demandé le 11 février 2020 à être à nouveau admis au séjour en raison de son état de santé et relève appel du jugement du 17 janvier 2022 du tribunal administratif de Grenoble ayant rejeté ses demandes tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 juin 2021 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit d'office.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 614-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français prise en application des 3°, 5° ou 6° de l'article L. 611-1 est assortie d'un délai de départ volontaire, le tribunal administratif est saisi dans le délai de trente jours suivant la notification de la décision. / L'étranger peut demander le bénéfice de l'aide juridictionnelle au plus tard lors de l'introduction de sa requête en annulation ".
3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que M. B... a déposé le 19 juillet 2021 une demande d'aide juridictionnelle auprès du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Lyon afin de contester l'arrêté du 22 juin 2021 lui ayant été notifié le 25 juin 2021, que ce bureau s'est déclaré incompétent au profit du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Grenoble par une décision du 20 août 2021 et qu'une décision de ce dernier bureau statuant après renvoi sur la demande du 19 juillet et accordant l'aide juridictionnelle totale est intervenue le 9 décembre 2021. Par suite, la requête dirigée contre l'arrêté du 22 juin 2021, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Grenoble le 5 octobre 2021 n'était pas tardive, la fin de non-recevoir opposée en première instance devant ainsi être écartée.
4. En second lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ".
5. Il résulte de ces dispositions que lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans le pays dont l'étranger est originaire et que si ce dernier y a effectivement accès. Toutefois, en vertu des règles gouvernant l'administration de la preuve devant le juge administratif, la partie qui justifie de l'avis d'un collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) conforme à ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié et effectivement accessible dans le pays de renvoi.
6. En l'espèce, pour refuser de délivrer un titre de séjour à M. B..., qui a subi en 2007 une opération de transplantation rénale consécutive à la défaillance de l'unique rein lui restant après un don d'organe antérieur, et qui bénéficie par ailleurs d'un suivi pluridisciplinaire, notamment cardiologique et psychologique, l'autorité préfectorale s'est approprié les termes d'un avis du collège de médecins de l'OFII du 22 décembre 2020 estimant que l'état de santé de l'intéressé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais qu'il peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Pour contester cet avis, M. B... établit, par la production d'un courrier électronique du 8 septembre 2021, non discuté et émanant du fabricant, que la spécialité dénommée Cellcept, traitement immunosuppresseur qui lui est prescrit et dont ses médecins précisent qu'il n'est pas substituable, n'est plus enregistré en Bosnie depuis le 1er mai 2018. Cette pièce n'est pas utilement remise en cause par un courrier électronique du 30 octobre 2021 d'un médecin inspecteur de santé publique affecté à la direction générale des étrangers du ministère de l'intérieur, qui conclut à la disponibilité de ce traitement par référence à une liste des médicaments essentiels en Bosnie de 2017, antérieure au 1er mai 2018, et dont il n'est en outre pas contesté en défense qu'elle est désormais obsolète, ayant été remplacée par une liste établie en 2019. M. B... justifie également que la spécialité dénommée Advagraf, second traitement immunosuppresseur qui lui est prescrit avec la mention " non substituable ", n'est pas disponible en Bosnie et ne peut être éventuellement remplacée par la spécialité dénommée Prograf, disponible dans ce pays, que sous une étroite surveillance médicale, bien qu'elle contienne la même molécule. Il ressort enfin du courrier électronique produit en défense en première instance qu'un traitement antihypertenseur prescrit à M. B... n'est pas non plus disponible en Bosnie, sans qu'il soit allégué qu'il pourrait être remplacé par une autre spécialité. Par suite, M. B... apporte des éléments de nature à contredire utilement l'avis du collège de médecins de l'OFII du 22 décembre 2020, au demeurant contraire à un précédent avis émis le 21 avril 2020 alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le traitement prescrit au requérant aurait été modifié entre ces deux avis. Il suit de là que le requérant est fondé à soutenir qu'il ne peut bénéficier intégralement d'un traitement approprié en Bosnie, que la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour procède ainsi d'une erreur d'appréciation et que les décisions subséquentes doivent être annulées par voie de conséquence, dès lors que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, il résulte à la fois des termes de la décision attaquée et de ceux du mémoire en défense produit en première instance que le préfet, s'il a évoqué, dans le rappel de l'historique de la situation administrative de M. B..., une " atteinte sérieuse à l'ordre public " pour des faits commis en Italie, n'a pas entendu faire application de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et lui refuser le titre en litige en raison d'une menace à l'ordre public.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement et sur les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Haute-Savoie du 22 juin 2021.
8. Eu égard aux motifs du présent arrêt, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de délivrer à M. B... un titre de séjour d'une durée d'un an portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement à M. B... de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 17 janvier 2022 et l'arrêté du 22 juin 2021 du préfet de la Haute-Savoie sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Savoie de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de la Haute-Savoie.
Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Annecy.
Délibéré après l'audience du 8 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Le Frapper, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 décembre 2022.
La rapporteure,
M. Le FrapperLe président,
F. Bourrachot
La greffière,
A.-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY00559
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