Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... et Mme D... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2015 et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2001629 du 2 mars 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 30 avril 2021, le 10 janvier 2022, le 18 novembre 2022 et le 22 novembre 2022, ce mémoire n'ayant pas été communiqué, M. B... et Mme D..., représentés par Me Sastre, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2015, ainsi que des pénalités correspondantes, et de condamner l'Etat au paiement d'intérêts à hauteur des dégrèvements accordés ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les conditions de mise en œuvre de l'abus de droit ne sont pas réunies, faute pour l'administration d'établir que le but recherché par la stipulation d'une soulte serait exclusivement fiscal, alors que M. B... n'a pas perçu de liquidités de la société Holding HTTP, la soulte étant bloquée sur son compte courant d'associé, qu'une soulte n'a pas nécessairement pour objet un ajustement de la parité d'échange, le législateur n'ayant pas exclu les sociétés unipersonnelles du bénéfice de ce mécanisme, qu'elle a été stipulée en l'espèce afin de pouvoir être proposée en garantie aux établissements bancaires sollicités dans le cadre du développement du groupe, et qu'elle ne lui a pas permis d'appréhender des dividendes ;
- si la soulte devait être taxée en plus-value, elle ne devrait pas l'être sur 100% de son montant mais dans les mêmes proportions que la plus-value imposable.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 décembre 2021, le 3 novembre 2022 et le 22 novembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au non-lieu à statuer à hauteur des dégrèvements prononcés, au rejet du surplus de la requête et demande à la cour que l'imposition des revenus taxés sur le fondement du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts soit maintenue dans la catégorie des plus-values de cession de valeurs mobilières en application de l'article 150-0 A du même code.
Il soutient que :
- la substitution de base légale, ne privant les requérants d'aucune garantie, entraîne des dégrèvements de 28 800 euros en droits, 2 131 euros d'intérêts de retard et 23 040 euros au titre de la majoration pour abus de droit ;
- les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés, le versement de la soulte litigieuse étant dépourvue de justification économique.
Par ordonnance du 21 novembre 2022, l'instruction de l'affaire, close trois jours francs avant l'audience en application de l'article R. 613-2 du code de justice administrative, a été rouverte jusqu'au 23 novembre 2022 à 10h.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Le Frapper, première conseillère,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,
- et les observations de Me Sastre, représentant M. B... et Mme D... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a constitué le 2 janvier 2015 la société à responsabilité limitée (SARL) Holding HTTP, dont il est l'unique associé, et à laquelle il a fait apport, le 10 mars 2015, de 8 362 actions qu'il détenait dans la SARL Inter'nett, en contrepartie de 14 460 parts de la SARL Holding HTTP, et d'une soulte de 142 780 euros, inscrite sur son compte courant d'associé ouvert dans les livres de la holding. La plus-value d'échange de 1 485 497 euros a été placée en report d'imposition, en ce compris la soulte, sur le fondement de l'article 150-0 B ter du code général des impôts. Par proposition de rectification contradictoire du 15 janvier 2018, consécutive à un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a entendu remettre en cause le bénéfice de ce report d'imposition, à concurrence du montant de la soulte, en application de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. Elle a en conséquence assujetti le foyer de M. B... et Mme D... à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, sur le fondement du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, assorties notamment de la pénalité de 80% pour abus de droit. M. B... et Mme D... relèvent appel du jugement du 2 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes tendant à la décharge, en droits et pénalités, de ces impositions supplémentaires.
Sur l'étendue du litige :
2. Par décision du 8 novembre 2022, postérieure à l'introduction de la requête, le directeur régional des finances publiques a prononcé le dégrèvement, en droits et pénalités, à concurrence d'une somme de 53 971 euros, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle M. B... et Mme D... ont été assujettis au titre de l'année 2015. Les conclusions de la requête relatives à cette imposition sont, dans cette mesure, devenues sans objet.
Sur le bien-fondé du surplus de l'imposition :
3. Aux termes, d'une part, de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif, ou bien, à défaut, recherchent le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs et n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles. L'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales.
4. Aux termes, d'autre part, du I de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année 2015 : " L'imposition de la plus-value réalisée, directement ou par personne interposée, dans le cadre d'un apport de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres ou de droits s'y rapportant tels que définis à l'article 150-0 A à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent est reportée si les conditions prévues au III du présent article sont remplies. (...) / Les apports avec soulte demeurent soumis à l'article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus (...) ". En application de l'article 150-0 A du code général des impôts, la plus-value qu'une personne physique retire d'un apport de titres ou droits est soumise à l'impôt sur le revenu au titre de l'année de sa réalisation. Toutefois, le contribuable bénéficie, en vertu des dispositions précitées de l'article 150-0 B ter du même code, d'un report d'imposition si l'apport est effectué à une société qu'il contrôle et que le montant de la soulte perçue, le cas échéant, n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus à l'échange.
5. En instituant un mécanisme de report d'imposition, le législateur a entendu favoriser les restructurations d'entreprises susceptibles d'intervenir par échange de titres en évitant que l'imposition immédiate de la plus-value constatée à l'occasion d'une telle opération, alors que le contribuable ne dispose pas des liquidités lui permettant d'acquitter cet impôt, fasse obstacle à sa réalisation. Si, dans la version du texte applicable au litige, le report d'imposition bénéficie à la totalité de la plus-value résultant d'une opération d'apport avec soulte lorsque le montant de celle-ci n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l'apport, le but ainsi poursuivi par le législateur n'est pas respecté si la stipulation d'une soulte au profit de l'apporteur en complément de l'attribution de titres de la société bénéficiaire de l'apport n'a aucune autre finalité que de permettre à celui-ci d'appréhender, en franchise immédiate d'impôt, des liquidités détenues par cette société ou par celle dont les titres sont apportés. Dans ce cas, l'administration est fondée, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, à considérer qu'en stipulant l'octroi de cette soulte, les parties à l'opération d'apport ont recherché le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'article 150-0 B ter du code général des impôts à l'encontre des objectifs poursuivis par le législateur, dans le seul but d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'apporteur aurait normalement supportées.
6. En l'espèce, si l'administration fiscale n'a pas remis en cause les motifs économiques à l'origine de la constitution d'une société holding, elle a estimé en substance, pour remettre en cause la stipulation d'une soulte, que cette dernière présentait un caractère artificiel, faute d'être justifiée par la nécessité d'équilibrer le rapport d'échange des titres ou de rééquilibrer l'actionnariat, dès lors que M. B... était le seul associé de la holding. Elle a également relevé que le résultat de la société Inter'nett des années 2014 et 2015 avait été mis en réserve, dont une partie avait été prélevée pour distribuer des dividendes à la société Holding HTTP après l'opération d'échange. Si l'inscription au compte courant d'associé vaut en principe mise à disposition des fonds, il n'est toutefois pas sérieusement contesté qu'en l'espèce la soulte inscrite au compte courant d'associé de M. B... ne lui a pas été effectivement remboursée, en application des engagements figurant au traité d'apport de mars 2015, qui prévoyait le blocage du compte courant à concurrence de la soulte, afin que la somme correspondante puisse être proposée en garantie aux banques et que les financements nécessaires au développement du groupe puissent ainsi être demandés avec de meilleures chances de succès. Il résulte notamment des propres écritures du ministre que le montant exact de la soulte était toujours inscrit au compte courant d'associé au 31 décembre 2018, et il n'est pas contesté que cette somme est demeurée inscrite au compte courant au-delà de cette date. L'administration fiscale ne conteste pas davantage utilement qu'en cohérence avec l'engagement initial, une convention de blocage du compte courant pour une durée de cinq ans a été conclue à concurrence du montant de la soulte entre la société et son associé en mai 2016, au moment des premières remontées de dividendes en provenance de la société Inter'Nett, et que le nantissement du compte courant de M. B..., même s'il n'a finalement pas été retenu comme garantie, a été effectivement proposé à un établissement bancaire à l'occasion, menée à son terme, d'une opération de développement du groupe animé par la holding. La circonstance que ces évènements soient postérieurs à la stipulation de la soulte n'est pas de nature à les priver de toute portée, leur survenue, antérieurement au contrôle, permettant de corroborer les intentions initiales de M. B.... Il résulte ainsi suffisamment de l'instruction que la stipulation d'une soulte poursuivait en l'espèce au moins en partie un objectif autre que fiscal.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête ni sur la demande de substitution de base légale présentée en défense, que M. B... et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande tendant à la décharge des impositions litigieuses, ainsi que des pénalités correspondantes.
8. En l'absence de litige né et actuel avec le comptable public, la demande des requérants tendant au paiement d'intérêts sur les sommes dégrevées ne peut toutefois qu'être rejetée.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. B... et Mme D..., à concurrence du dégrèvement d'un montant, en droits et pénalités, de 53 971 euros de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, prononcé au titre de l'année 2015.
Article 2 : M. B... et Mme D... sont déchargés du surplus des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2015, ainsi que des pénalités correspondantes.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... et Mme D... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et Mme C... D... ainsi qu'au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 24 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Le Frapper, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 décembre 2022.
La rapporteure,
M. Le FrapperLe président,
F. Bourrachot
La greffière,
A.-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 21LY01365
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