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01/12/2022 | FRANCE | N°21LY03351

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 01 décembre 2022, 21LY03351


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 19 avril 2021 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné, d'enjoindre sous astreinte au préfet de lui délivrer un titre de séjour ou un récépissé de demande de renouvellement de titre de séjour avec droit au travai

l et de mettre à la charge de l'Etat, au titre des frais exposés et non compris dans...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 19 avril 2021 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné, d'enjoindre sous astreinte au préfet de lui délivrer un titre de séjour ou un récépissé de demande de renouvellement de titre de séjour avec droit au travail et de mettre à la charge de l'Etat, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, une somme de 1 500 euros à verser à son conseil.

Par un jugement n° 2103125 du 14 septembre 2021, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 octobre 2021 et le 22 février 2022, M. A..., représenté par Me Borges de Deus Correia, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 19 avril 2021 du préfet de l'Isère ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir, de lui délivrer un titre de séjour ou, à titre subsidiaire, un récépissé de demande de renouvellement de titre de séjour avec droit au travail ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le refus de séjour est insuffisamment motivé et procède d'un défaut d'examen particulier ;

- il est entaché d'erreurs de droit, le préfet de l'Isère s'étant cru en situation de compétence liée en raison de l'absence de présentation d'un visa de long séjour et s'étant abstenu d'examiner les raisons pour lesquelles il avait été empêché de demander le renouvellement de son précédent titre de séjour avant son expiration ;

- il méconnaît la décision n° 1/80 du conseil d'association institué par l'accord d'association conclu le 12 septembre 1963 entre la communauté économique européenne et la République de Turquie, dès lors qu'il appartenait depuis plus d'un an au marché régulier de l'emploi, sans que la nature et le motif du droit au séjour qui lui avait été accordé pendant l'instruction de sa demande soient à prendre en considération ;

- l'autorité préfectorale a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et commis une erreur manifeste d'appréciation.

La requête a été communiquée au préfet de l'Isère, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord instituant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie en date du 12 septembre 1963, approuvé et confirmé par la décision 64/732/CEE du Conseil du 23 décembre 1963 ;

- la décision n° 1/80 du 19 septembre 1980 du conseil d'association entre la Communauté économique européenne et la Turquie ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code du travail ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Le Frapper, première conseillère ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant de Turquie né le 6 juillet 1964, a déclaré être entré pour la première fois en France au cours du mois de juillet 2000. Après avoir fait l'objet de deux refus d'admission au séjour et d'une mesure d'éloignement, il a obtenu à compter du 24 avril 2008 un titre de séjour en qualité de salarié, renouvelé en dernier lieu jusqu'au 10 juin 2017. M. A... a rejoint la Turquie à une date indéterminée et est revenu en Allemagne le 1er mai 2019, sous couvert d'un visa de court séjour délivré par les autorités allemandes, puis en France à une date également indéterminée. Il a présenté en préfecture le 18 juin 2019 une demande de renouvellement du titre de séjour dont la durée de validité avait expiré le 10 juin 2017. Par un arrêté du 19 avril 2021, le préfet de l'Isère lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit d'office. M. A... relève appel du jugement du 14 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, M. A... reprend en appel le moyen tiré de ce que le préfet de l'Isère se serait cru à tort en situation de compétence liée pour lui opposer, sur le fondement de l'article R. 311-2 alors applicable du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la condition de présentation d'un visa de long séjour applicable aux premières demandes de délivrance d'une carte de séjour. Il y a lieu pour la cour d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

3. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, et il ne ressort ni des termes de la décision attaquée ni des pièces du dossier que le préfet de l'Isère n'aurait pas procédé à l'examen de l'ensemble des éléments effectivement portés à sa connaissance par M. A.... A supposer même que ce dernier ait fait précisément part à l'autorité préfectorale des raisons qui expliqueraient le délai de deux ans écoulé entre l'expiration du précédent titre qu'il détenait et sa nouvelle demande de titre de séjour, le préfet de l'Isère n'était pas tenu d'indiquer explicitement les raisons pour lesquelles il a estimé ne pas devoir faire bénéficier l'intéressé d'une mesure de faveur. Il ne ressort pas, par ailleurs, des pièces du dossier que M. A... se soit expressément prévalu au soutien de sa demande des termes de la décision n°1/80 du Conseil d'association institué par l'accord d'association conclu le 12 septembre 1963 entre la Communauté économique européenne et la République de Turquie, de sorte que le préfet pouvait se borner à indiquer qu'il n'en remplissait pas les conditions. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation et d'une erreur de droit en raison d'un défaut d'examen particulier de la demande doivent ainsi être écartés.

4. En troisième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de la décision n° 1/80 du 19 septembre 1980 du conseil d'association entre la Communauté économique européenne et la Turquie : " Sous réserve des dispositions de l'article 7 relatif au libre accès à l'emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l'emploi d'un État membre : / - a droit, dans cet État membre, après un an d'emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s'il dispose d'un emploi ; / - a le droit, dans cet État membre, après trois ans d'emploi régulier et sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté, de répondre dans la même profession auprès d'un employeur de son choix à une autre offre, faite à des conditions normales, enregistrée auprès des services de l'emploi de cet État membre ; - bénéficie, dans cet État membre, après quatre ans d'emploi régulier, du libre accès à toute activité salariée de son choix ".

5. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, devenue Cour de justice de l'Union européenne, que l'article 6, paragraphe 1 précité, qui est d'effet direct, doit être interprété en ce sens qu'un travailleur turc ne remplit pas la condition d'avoir occupé un emploi régulier, prévue par cette disposition, lorsqu'il a exercé cet emploi sous le couvert d'un droit de séjour qui ne lui a été reconnu que par l'effet d'une réglementation nationale permettant de résider dans le pays d'accueil pendant la procédure d'octroi du titre de séjour, dès lors que la régularité de l'emploi d'un ressortissant turc dans l'État membre d'accueil, au sens de l'article 6, paragraphe 1, premier tiret, de la décision nº 1/80, suppose une situation stable et non précaire sur le marché du travail dudit État membre et implique, à ce titre, un droit de séjour non contesté. Il résulte également de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le bénéfice des droits énumérés aux trois tirets de l'article 6, paragraphe 1, de la décision n° 1/80 est subordonné à la condition que le travailleur turc ait respecté la législation de l'État membre d'accueil régissant l'entrée sur son territoire et l'exercice d'une activité salariée.

6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui avait quitté le territoire français pendant une période significative, sans apporter aux débats d'éléments probants de nature à en justifier la durée, n'a séjourné de nouveau en France à compter de juin 2019 que sous couvert d'un récépissé de demande de titre de séjour l'autorisant provisoirement à travailler, par le seul effet de la réglementation nationale le lui permettant pendant la procédure d'octroi d'un titre de séjour. S'il a occupé un emploi pendant plus d'une année à compter de la même date, il ne peut toutefois être regardé comme ayant ainsi exercé un emploi régulier au sens de la décision 1/80 précitée, en l'absence de droit au séjour non contesté. Au surplus, M. A... ne justifie pas être entré sur le territoire français avant l'expiration du visa de court séjour lui ayant été délivré par les autorités allemandes, et il avait en outre changé d'employeur à la date de la décision attaquée, avant l'expiration du délai de trois ans imposé par l'article 6, paragraphe 1, de la décision n° 1/80. Il suit de là qu'il ne bénéficiait d'aucun droit à la prorogation de son droit au travail ni, par voie de conséquence, d'aucun droit au séjour dérivant de l'accord d'association entre l'Union européenne et la Turquie, et que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 6 précité de la décision n° 1/80 doit en conséquence être écarté.

7. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

8. S'il est constant que M. A... a bénéficié d'un droit au séjour en France du 24 avril 2008 au 10 juin 2017 en qualité de salarié, il ne ressort pas des pièces du dossier que son retour en Turquie, à une date d'ailleurs indéterminée, aurait été consécutif au décès de sa première épouse, survenu le 9 mars 2014, ni que la durée de son séjour en Turquie serait liée à la situation de sa fille née en 1996, dont l'état dépressif allégué n'est justifié par aucune pièce. Il ne justifie en outre d'aucune attache personnelle particulière sur le territoire français, alors qu'il ressort de la fiche de renseignements remise à l'autorité préfectorale qu'il a épousé en secondes noces, le 14 janvier 2016, une ressortissante turque qui réside actuellement toujours en Turquie, où M. A... a en conséquence constitué un nouveau foyer, et où résident par ailleurs ses trois enfants majeurs. Il n'est par ailleurs nullement démontré que M. A... ne pourrait faire valoir en Turquie les qualités qui lui sont reconnues par son entourage professionnel en France. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, l'autorité préfectorale n'a pas davantage entaché ses décisions de refus de séjour et portant obligation de quitter le territoire français d'une erreur manifeste d'appréciation.

9. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes. Ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte doivent, par voie de conséquence, être également rejetées.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse au conseil de M. A... la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Dèche, présidente assesseure,

Mme Le Frapper, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2022.

La rapporteure,

M. Le Frapper

Le président,

F. Bourrachot

La greffière,

A.-C. Ponnelle

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY03351

ap


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY03351
Date de la décision : 01/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Mathilde LE FRAPPER
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : BORGES DE DEUS CORREIA

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-12-01;21ly03351 ?
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