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24/11/2022 | FRANCE | N°21LY03905

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 24 novembre 2022, 21LY03905


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 2 avril 2020 par laquelle la ministre du travail, après avoir retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par la société Benoît Promotion contre la décision de l'inspectrice du travail du 27 juin 2019 ayant refusé de l'autoriser à le licencier pour motif disciplinaire, a annulé ladite décision du 27 juin 2019 et autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 2004530 du 26 octobre 2021, le

tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par un...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 2 avril 2020 par laquelle la ministre du travail, après avoir retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par la société Benoît Promotion contre la décision de l'inspectrice du travail du 27 juin 2019 ayant refusé de l'autoriser à le licencier pour motif disciplinaire, a annulé ladite décision du 27 juin 2019 et autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 2004530 du 26 octobre 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 6 décembre 2021, présentée pour M. B..., il est demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 2004530 du 26 octobre 2021 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) d'annuler la décision susmentionnée ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont rejeté les conclusions de sa demande dirigées contre la décision ministérielle en tant qu'elle a retiré le rejet implicite du recours hiérarchique formée par la société Benoît Promotion et qu'elle a annulé la décision de refus d'autoriser son licenciement de l'inspectrice du travail, dès lors que ni la décision implicite de rejet du recours hiérarchique née le 8 décembre 2019 ni la décision de l'inspectrice du travail du 27 juin 2019 n'étaient illégales, l'enquête réalisée auprès de tous les salariés par une autre salariée ayant été menée en violation des principes de loyauté et d'impartialité et sans intervention des instances représentatives ;

- c'est également à tort que les premiers juges ont rejeté les conclusions de sa demande dirigées contre la décision ministérielle en tant qu'elle autorisait son licenciement, dès lors que l'enquête interne a été conduite dans des conditions irrégulières, que les faits reprochés étaient prescrits et qu'ils n'étaient pas matériellement établis.

Par un mémoire, enregistré le 14 mars 2022, présenté pour la société Benoît Promotion, elle conclut au rejet de la requête et ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant dans sa requête d'appel ne sont pas fondés et que c'est à tort que les premiers juges ont reconnu fondé le moyen tiré de l'absence de violation du principe du contradictoire par l'inspectrice du travail.

Par un mémoire, enregistré le 13 juin 2022, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête, en s'en rapportant aux écritures produites en première instance.

Par une ordonnance du 2 mai 2022 la clôture de l'instruction a été fixée au 17 juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Seillet, président assesseur ;

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Lacroix, pour la société Benoît Promotion ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Benoît Promotion, qui exerce une activité de fabrication et de distribution, principalement auprès des exploitants de cinéma, de confiseries et de boissons, a sollicité, par un courrier du 15 avril 2019, au vu des conclusions d'une enquête interne, l'autorisation de licencier pour motif disciplinaire M. B..., exerçant les fonctions de préparateur de commande et investi d'un mandat de délégué du personnel. Par une décision du 27 juin 2019, l'inspectrice du travail a refusé d'autoriser son licenciement. La société Benoît Promotion a formé, par courrier du 7 août 2019, un recours hiérarchique contre la décision de l'inspectrice du travail du 27 juin 2019. Par une décision du 2 avril 2020, la ministre du travail, après avoir retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique et annulé la décision de l'inspectrice du travail refusant d'autoriser la société Benoît Promotion à procéder au licenciement de M. B... pour motif disciplinaire, a autorisé cette société à le licencier pour ce motif. M. B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande d'annulation de cette décision ministérielle.

Sur la légalité de la décision ministérielle en litige en tant qu'elle annule la décision de l'inspectrice du travail et retire le rejet implicite du recours hiérarchique :

2. Lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, le ministre chargé du travail doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision.

3. Dans le cas où le ministre, saisi d'un recours hiérarchique, annule la décision par laquelle un inspecteur du travail a rejeté la demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, il est tenu de motiver l'annulation de cette décision ainsi que le prévoit l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA) et en particulier, lorsqu'il estime que le ou les motifs fondant une décision de refus d'autorisation de licenciement sont illégaux, d'indiquer les considérations pour lesquelles il estime que ce motif ou, en cas de pluralité de motifs, chacun des motifs fondant la décision de l'inspecteur du travail est illégal.

4. Aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ".

5. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, comme l'ont relevé les premiers juges, la société Benoît Promotion a décidé, à la suite, d'une part, des déclarations de M. B... concernant ses relations avec un supérieur hiérarchique et, d'autre part, de déclarations de plusieurs salariées concernant le comportement de M. B... à leur égard, d'organiser une enquête interne, en février et mars 2019, afin d'interroger tous les salariés sur ces points. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, alors même que l'enquête interne avait été conduite par une personne exerçant des fonctions de responsable qualité, sans au demeurant aucune responsabilité hiérarchique à l'égard de M. B..., et qui aurait eu une relation de couple avec l'un des membres de la direction, et que le compte rendu de ladite enquête avait été rédigé par le président de la société, ladite enquête n'aurait pas été conduite d'une manière impartiale et loyale. Dès lors que les faits qui ont conduit au licenciement de M. B... n'ont pas été constatés par le délégué du personnel, M. B... ne peut utilement se prévaloir d'une méconnaissance des dispositions de l'article L. 2313-2 du code du travail, reprises à l'actuel article L. 2312-59 du même code, selon lesquelles : " Si un délégué du personnel constate, notamment par l'intermédiaire d'un salarié, qu'il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l'employeur. (...) L'employeur procède sans délai à une enquête avec le délégué et prend les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation. (...) ".

6. En second lieu, il ressort également des pièces du dossier que, dans le cadre de l'enquête interne évoquée au point 5, un certain nombre de salariés ont décrit de la part de M. B... un comportement inapproprié, à connotation sexuelle et sexiste à l'égard du personnel féminin de l'entreprise, consistant notamment en des regards déplacés à leur égard.

7. Ainsi, dès lors que la matérialité des faits reprochés à M. B... par son employeur au titre d'un des griefs évoqués dans la demande d'autorisation de licenciement, tenant à des agissements, propos et comportements à connotation sexuelle ou sexiste envers des salariées, plaçant ces dernières en situation de mal être au travail, en raison de leur caractère humiliant ou dégradant, était établie, l'inspectrice du travail n'a pu, sans entacher d'illégalité sa décision de refus d'autorisation de licenciement du 27 juin 2019, se fonder sur le motif tiré de ce que, s'agissant de ce grief, la matérialité des faits n'était pas établie. Dès lors, contrairement à ce que soutient M. B..., la ministre du travail a pu légalement pour ce motif, par la décision en litige du 2 avril 2020, d'une part, retirer la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par la société Benoît Promotion contre la décision de l'inspectrice du travail du 27 juin 2019 et, d'autre part, annuler ladite décision.

Sur la légalité de la décision ministérielle en litige en tant qu'elle autorise le licenciement de M. B... :

8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ". Il résulte de ces dispositions que ce délai commence à courir lorsque l'employeur a une pleine connaissance de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié protégé.

9. Il ressort des pièces du dossier que, si plusieurs salariés avaient fait état du comportement de M. B... avant l'enquête organisée par son employeur et dont le compte rendu a été établi le 15 mars 2019, ce n'est qu'à l'issue de cette enquête, qui a notamment révélé qu'un quart de l'effectif de la société avait décrit de la part de M. B... un comportement à connotation sexuelle et sexiste à l'égard du personnel féminin de la société, que la société Benoît Promotion a eu une pleine connaissance de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés à M. B.... Dès lors, le requérant n'établit pas qu'à la date de sa convocation à l'entretien préalable à son licenciement, le 3 avril 2019, les faits qui lui étaient reprochés étaient prescrits au regard des dispositions précitées de l'article L. 1332-4 du code du travail.

10. En second lieu, ainsi qu'il a été dit aux points 5 à 7, l'enquête organisée par l'employeur de M. B... a permis d'établir la matérialité des faits reprochés à ce dernier par la société Benoît Promotion et qui ont servi de fondement à la décision ministérielle d'autorisation de licenciement en litige, dont le caractère habituel à la date des témoignages recueillis ressort de la lettre même desdits témoignages, alors même que le comportement ainsi établi ne se manifestait pas toujours envers les mêmes salariées et qu'il avait pu cesser envers certaines d'entre elles à cette date. Dès lors, M. B..., dont le comportement fautif est ainsi établi, ne peut utilement soutenir que l'enquête menée en interne et les accusations portées contre lui n'auraient eu pour but que de permettre à son employeur de mettre un terme au contrat de travail.

11. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à ce que soit mise à la charge de l'État une somme au titre des frais liés au litige. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... une somme au titre des frais exposés par la société Benoît Promotion.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société Benoît Promotion au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la société Benoît Promotion et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2022 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

M. Seillet, président assesseur ;

Mme Djebiri, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2022.

Le rapporteur,

Ph. SeilletLe président,

V.-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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N° 21LY03905

al


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY03905
Date de la décision : 24/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07 Travail et emploi. - Licenciements.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: M. Philippe SEILLET
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : CEFIDES

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-11-24;21ly03905 ?
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