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10/11/2022 | FRANCE | N°21LY03788

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 10 novembre 2022, 21LY03788


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 8 octobre 2020 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité départementale du Rhône de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (direccte) d'Auvergne-Rhône-Alpes, après avoir retiré sa décision implicite rejetant la demande d'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire présentée par la société Eiffage Energie Systèmes-Infra Rhône-Alpes, a autor

isé son licenciement.

Par un jugement n° 2008823 du 5 octobre 2021, le tribu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 8 octobre 2020 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité départementale du Rhône de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (direccte) d'Auvergne-Rhône-Alpes, après avoir retiré sa décision implicite rejetant la demande d'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire présentée par la société Eiffage Energie Systèmes-Infra Rhône-Alpes, a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 2008823 du 5 octobre 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 26 novembre 2021, présentée pour M. A..., il est demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 2008823 du 5 octobre 2021 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) d'annuler la décision susmentionnée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les informations relatives aux faits retenus contre lui ayant été obtenues de manière illicite elles ne pouvaient être prises en considération pour établir la matérialité des griefs ;

- les faits reprochés, qui relevaient exclusivement de sa vie privée et n'entraient pas dans le cadre de ses relations contractuelles avec son employeur, ne pouvaient fonder la demande d'autorisation de licenciement ;

- ces faits étaient prescrits à la date de l'engagement de la procédure disciplinaire eu égard à la date à laquelle son employeur en avait eu une connaissance complète, au mois d'octobre 2019.

Par un mémoire enregistré le 8 avril 2022, présenté pour la société Eiffage Energie Systèmes-Infra Rhône-Alpes, elle conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion a produit un mémoire enregistré le 10 juin 2022 (non communiqué).

Par ordonnance du 2 mai 2022 la clôture de l'instruction a été fixée au 17 juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Seillet, président-assesseur ;

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Dumoulin pour M. A... et de Me Nasica pour la société Eiffage Energie Systèmes-Infra Rhône-Alpes ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., salarié de la société Eiffage Energie Systèmes-Infra Rhône-Alpes, entreprise spécialisée dans le secteur d'activité de l'ingénierie, des études techniques, et notamment dans la conception, la réalisation et l'exploitation des réseaux et systèmes d'énergie et d'information, qui y exerçait des fonctions de chef d'équipe, était par ailleurs titulaire des mandats de délégué syndical, défenseur syndical, conseiller du salarié, représentant syndical au CSE, et il bénéficiait également d'une mesure de détachement auprès d'une organisation syndicale. Par une décision du 8 octobre 2020 l'inspectrice du travail de l'unité départementale du Rhône de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (direccte) d'Auvergne-Rhône-Alpes, après avoir retiré sa décision implicite rejetant la demande d'autorisation de licencier M. A... pour motif disciplinaire présentée par la société Eiffage Energie Systèmes-Infra Rhône-Alpes, a autorisé son licenciement après avoir considéré qu'était établie la matérialité de faits de conduite d'un véhicule de service sous l'emprise de l'alcool, commis le samedi 5 octobre 2019, et que la gravité de ce comportement était de nature à justifier son licenciement pour motif disciplinaire. M. A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ". Il résulte de ces dispositions que ce délai commence à courir lorsque l'employeur a une pleine connaissance de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié protégé.

3. Il ressort des pièces du dossier et, en particulier, d'un courriel adressé le 5 juin 2020 par un militaire de la gendarmerie au conseil de la société Eiffage Energie Systèmes-Infra Rhône-Alpes afin de lui transmettre le dossier pénal relatif aux faits commis par M. A... le 5 octobre 2019, que cette société a alors pris connaissance, à la réception de cette pièce de procédure, de ce que ce salarié, après avoir fait l'objet, ce jour-là, dans les locaux de la brigade de gendarmerie où il s'était rendu, d'un dépistage d'alcoolémie qui avait fait apparaître une valeur indicative de 0,43 mg/litre d'air expiré équivalent à 0,86g/ litre de sang, avait été vu par les militaires de cette brigade au volant du véhicule mis à sa disposition par son employeur. Pour tenter de démontrer que la connaissance de ces faits par son employeur était antérieure, M. A... fait état d'une demande des services de gendarmerie adressée, le 14 octobre 2019, à la gestionnaire du parc automobile de la société pour obtenir des renseignements concernant le conducteur potentiel du véhicule de l'entreprise dont l'immatriculation avait été relevée le 5 octobre 2019, d'une audition, le 22 octobre 2019, du responsable des ressources humaines par les mêmes services de gendarmerie à propos de ce véhicule et, enfin, de la plainte, déposée le 31 octobre 2019 par le directeur de la société pour " abus de confiance " contre la personne qui avait utilisé ce véhicule de société. Toutefois, il ne ressort pas de ces pièces, dont aucune n'évoque la conduite d'un véhicule de service sous l'emprise de l'alcool, que la société Eiffage Energie Systèmes-Infra Rhône-Alpes avait eu une pleine connaissance de la réalité, de la nature et de l'ampleur de ce fait reproché à M. A... et retenu par l'inspectrice du travail pour autoriser son employeur à le licencier pour un motif disciplinaire. Dès lors le moyen soulevé par M. A... et tiré de ce qu'à la date d'engagement de la procédure disciplinaire ayant conduit à son licenciement, le délai de prescription fixé par les dispositions précitées de l'article L. 1332-4 du code du travail était opposable à son employeur doit être écarté.

4. En deuxième lieu, il ressort également des pièces du dossier qu'à la suite de la plainte pour abus de confiance déposée le 31 octobre 2019 par le directeur de la société Eiffage Energie Systèmes-Infra Rhône-Alpes, le conseil de cette société, par des lettres des 3 février 2020, 19 février 2020 et 27 mars 2020, a sollicité des services du procureur de la République du tribunal judiciaire de Lyon la communication du dossier pénal et, notamment, de la décision de classement sans suite de cette plainte. Il en ressort également que, à la suite d'un soit-transmis du Parquet du tribunal judiciaire de Lyon du 6 mai 2020 demandant que lui soit communiquée, par la brigade de gendarmerie, une copie de la procédure, le dossier pénal a été adressé par la gendarmerie le même jour, le 5 juin 2020, à la fois au Parquet du tribunal judiciaire de Lyon et au conseil de la société Eiffage Energie Systèmes-Infra Rhône-Alpes alors que, par une mention portée le 17 juin 2020 par un substitut du procureur sur une demande en ce sens formulée le 11 juin 2020 par le conseil de la société, a été autorisée la production d'une copie de la procédure pénale au soutien d'une demande d'autorisation de licenciement de M. A.... Il ressort de l'ensemble de ces éléments que le dossier pénal communiqué à la société Eiffage Energie Systèmes-Infra Rhône-Alpes et dont elle a été expressément autorisée à produire une copie au soutien de la demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire, l'a nécessairement été conformément aux dispositions de l'article R. 155 du code de procédure pénale, qui prévoient que peut être délivrée aux parties " Avec l'autorisation du procureur de la République ou du procureur général selon le cas, expédition de toutes les autres pièces de la procédure, notamment, en ce qui concerne les pièces d'une enquête terminée par une décision de classement sans suite. ". Dès lors, contrairement à ce que soutient M. A..., l'administration du travail, pour autoriser son licenciement, ne s'est pas fondée sur des éléments obtenus en violation de ces dispositions et d'une manière illicite.

5. En dernier lieu, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en-dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat.

6. A ce dernier titre, le fait pour un salarié d'utiliser un véhicule automobile, mis à sa disposition par l'employeur, pour le conduire en méconnaissance des règles du code de la route et, en particulier, de celles relatives à la conduite sous l'emprise de l'alcool, eu égard aux risques pour les usagers de la voie publique qu'un tel comportement implique, doit être regardé comme une méconnaissance de l'obligation de loyauté découlant du contrat de travail, alors même qu'il a commis ces faits en dehors des heures de travail et ailleurs que sur son lieu de travail.

7. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier qu'ainsi qu'il a été dit au point 3 du présent arrêt, M. A..., alors qu'il venait de faire l'objet d'un dépistage d'alcoolémie qui avait fait apparaître une valeur indicative de 0,43 mg/litre d'air expiré équivalent à 0,86g/ litre de sang, a été vu au volant d'un véhicule portant le nom de l'entreprise, mis à sa disposition par son employeur, par des militaires d'une brigade de gendarmerie, qui ont d'ailleurs tenté en vain de l'interpeller. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les faits en question constituaient une violation des obligations découlant de son contrat de travail, susceptible de faire l'objet d'une sanction disciplinaire, nonobstant la circonstance qu'ils ont été commis en dehors de ses heures de travail dans le cadre de sa vie privée.

8. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à la mise à la charge de l'Etat d'une somme au titre des frais liés au litige.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... une somme de 800 euros au titre des frais exposés par la société Eiffage Energie Systèmes-Infra Rhône-Alpes à l'occasion de la présente instance.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : M. A... versera la somme de 800 euros à la société Eiffage Energie Systèmes-Infra Rhône-Alpes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la société Eiffage Energie Systèmes-Infra Rhône-Alpes et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 20 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre,

M. Seillet, président-assesseur,

Mme Djebiri, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 novembre 2022.

Le rapporteur,

Ph. SeilletLe président,

V.-M. Picard

La greffière,

S. Lassalle

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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N° 21LY03788

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY03788
Date de la décision : 10/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07 Travail et emploi. - Licenciements.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: M. Philippe SEILLET
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : FROMONT BRIENS et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-11-10;21ly03788 ?
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