Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Gefirex Holding a demandé au tribunal administratif de Lyon la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos les 30 septembre 2013, 2014 et 2015.
Par un jugement n°1806791 du 18 février 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 juillet 2020 et 14 janvier 2021, la société Gefirex holding, représentée par Me Montfort, demande à la cour :
1°) avant-dire-droit, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) de la question préjudicielle suivante : l'inscription à l'actif du bilan, en tant qu'immobilisations incorporelles, de droits de présentation de clients acquis par un cabinet d'expertise-comptable sans permettre leur correction en valeur lorsque les clients correspondants ne sont plus clients du cabinet concerné est-il conforme aux considérants 3, 18 et 21 ainsi qu'aux articles 6§1 et 8 de la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d'entreprises ;
2°) d'annuler ce jugement ;
3°) de prononcer la décharge sollicitée ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 30 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'interdiction qui lui est faite par l'administration fiscale de corriger dans son bilan la valeur des droits de présentation acquis est contraire à la directive 2013/34/UE du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d'entreprises et notamment ses considérants 3, 18 et 21 et ses articles 3 point 8, 4§3 et 6§1 ; l'interprétation des articles 38 et 39 du code général des impôts et de l'article 38 sexies de l'annexe III audit code justifie une question préjudicielle à poser à la CJUE ;
- le régime juridique applicable à la clientèle d'un expert-comptable ne peut être le même que celui applicable à la clientèle d'un fonds de commerce, en raison du lien particulier existant entre un expert-comptable et ses clients ; les droits de présentation qu'elle a acquis de la société Gefirex ne s'intègrent pas dans son fonds de commerce et le traité d'apport conclu entre la société Gefirex et la société Gefirex Holding ne vise que l'apport de droits de présentation précisément identifiés et valorisés, client par client ;
- elle est fondée à se prévaloir d'une prise de position formelle de l'administration sur l'appréciation de cette situation en application de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales dès lors que l'administration a, dans le cadre d'une réponse aux observations du contribuable du 1er décembre 2003, durant une autre vérification de comptabilité concernant la SAS Gefirex, admis le bien-fondé d'une provision pour dépréciation de clientèle comptabilisée dans les mêmes conditions par la SAS Gefirex, désormais absorbée par la société Gefirex Holding.
Par un mémoire, enregistré le 15 décembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,
- et les observations de Me Ducrot pour la société Gefirex Holding ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Gefirex Holding, qui exerce une activité d'expertise-comptable, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos les 30 septembre 2013, 2014 et 2015. A l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale a réintégré dans les résultats imposables de ces exercices des provisions pour dépréciation du fonds de commerce et une charge correspondant à une dépréciation de l'actif déduites par la société vérifiée au titre de la perte de contrats de clientèle. Elle a, en conséquence, mis à la charge de la société Gefirex Holding des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, ainsi que les intérêts de retard correspondants. La société Gefirex Holding relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge en conséquence de ces réintégrations.
Sur les conclusions en décharge :
2. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Sous réserve des dispositions des articles 33 ter, 40 à 43 bis et 151 sexies, le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation. / 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. (...) ". Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. (...) ". L'article 38 sexies de l'annexe III au même code dispose : " La dépréciation des immobilisations qui ne se déprécient pas de manière irréversible, notamment les terrains, les fonds de commerce, les titres de participation, donne lieu à la constitution de provisions dans les conditions prévues au 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts. ". Il résulte de ces dispositions que la dépréciation, au cours d'un exercice, d'un élément d'actif incorporel faisant partie des éléments constitutifs d'un fonds de commerce, ou d'un fonds libéral, et représentatif d'une certaine clientèle attachée à ce fonds ne peut donner lieu à la constatation d'une provision que si, en raison de ses caractéristiques, il est dissociable des autres éléments représentatifs de la clientèle attachée à ce fonds.
3. Il résulte de l'instruction que, par acte du 15 mars 2006, la SARL Gefirex, société d'expertise-comptable de révision fiduciaire et d'études financières de gestion, a apporté à sa filiale, la société Gefirex Holding, sa branche d'activité d'expertise-comptable, et lui a alors cédé 712 actifs incorporels correspondant à autant de droits de présentation de clients. Au cours des exercices suivants, la société Gefirex Holding a comptabilisé par voie de provision pour dépréciation les conséquences de la perte de valeur de ces droits de présentation lors de chaque perte de client au cours de ces exercices, à hauteur de 100 % de la valeur de chaque droit de présentation. Au 30 septembre 2015, la société a constaté la perte définitive de 374 droits de présentation de clientèle, a repris les provisions correspondantes et a inscrit les sommes correspondantes en dépréciation d'actif. L'administration fiscale a remis en cause ces écritures et a réintégré dans les résultats imposables de la société les provisions ainsi constituées ainsi que la minoration d'actif qu'elle a considéré injustifiée, au motif que la contribuable ne justifiait d'aucune dépréciation, au cours desdites années, de l'ensemble de sa clientèle.
4. En premier lieu, la société requérante soutient que l'interdiction qui lui est faite par l'administration fiscale de corriger la valeur des droits de présentation acquis dans son bilan est contraire à la directive 2013/34/UE du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d'entreprises et notamment ses considérants 3, 18 et 21 et ses articles 3 point 8, 4§3 et 6§1. Toutefois, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir des termes de la directive précitée s'agissant des exercices clos en 2013 et 2014 pour lesquels le délai de transposition de la directive, fixé au 20 juillet 2015, n'était pas expiré. S'agissant de l'exercice clos en 2015, la société requérante ne se prévaut expressément d'aucune disposition des textes de droit national ayant emporté transposition de cette directive ni ne soutient que celles-ci seraient incompatibles avec les objectifs de la directive. Par suite, et sans qu'il soit besoin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, le moyen tiré de la méconnaissance des objectifs de la directive susvisée doit être écarté.
5. En deuxième lieu, la société Gefirex Holding soutient que la clientèle attachée à une activité par nature civile comme celle d'expert-comptable dans laquelle il existe une relation intuitu personae entre l'expert-comptable et son client ne peut être assimilée à une clientèle commerciale, en principe indifférenciée. Elle en déduit que la perte de certains clients est dissociable de l'ensemble de la clientèle du cabinet de sorte qu'elle peut donner lieu à l'inscription d'une provision, puis d'une dépréciation d'actif lorsque la perte de clientèle peut être regardée comme définitive. Toutefois, d'une part, la société requérante étant commerciale par sa forme, toutes ses activités, même d'origine civile, sont soumises à l'impôt sur les sociétés. Elle ne saurait ainsi revendiquer l'existence d'une relation intuitu personae avec chacun de ses clients au même titre qu'un expert-comptable exerçant à titre individuel. D'autre part, ainsi que l'a jugé le tribunal, si les contrats des clients acquis par la société requérante auprès de sa société-mère ont fait l'objet, du fait d'une valorisation propre à chacun d'eux, d'une inscription distincte en comptabilité permettant de les identifier, il ne résulte pas de l'instruction, et n'est pas sérieusement soutenu, qu'ils se différenciaient, de par leurs caractéristiques propres, des éléments représentatifs de la clientèle attachée au fonds libéral de la société. Par suite, la perte d'une partie de la clientèle, non dissociable de l'ensemble de la clientèle de la société d'expertise-comptable, ne pouvait faire l'objet ni d'une provision en raison de l'absence de poursuite de relations professionnelles ni d'une dépréciation de l'actif. Il s'ensuit que la société Gefirex Holding n'est pas fondée à contester la réintégration, dans les bases de l'impôt sur les sociétés, des provisions pour dépréciation de clientèle et de la dépréciation de l'actif qu'elle avait constituées au titre des exercices en litige.
6. En dernier lieu, une décision de dégrèvement non motivée ne constitue pas une prise de position formelle de l'administration sur l'appréciation d'une situation de fait au regard du texte fiscal de nature à entraîner, sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, une décharge des impositions en litige. En l'espèce, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir d'une prise de position formelle de l'administration constituée par une réponse aux observations du contribuable du 1er décembre 2003, adressée à la SARL Gefirex, désormais absorbée par la société requérante, par laquelle l'administration aurait accepté la déduction de provisions pour dépréciation de clientèle comptabilisées dans les conditions susvisées dès lors que cette réponse ne comporte aucun motivation s'agissant de l'abandon de la rectification alors constituée par la réintégration de la provision pour dépréciation de clientèle.
7. Il résulte de ce qui précède que la société Gefirex Holding n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'État qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la société Gefirex Holding la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Gefirex Holding est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Gefirex Holding et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 20 octobre 2022 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 novembre 2022.
La rapporteure,
V. Rémy-NérisLe président,
F. Bourrachot
La greffière,
A-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 20LY01922
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