Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon : 1°) d'annuler la décision du 21 mars 2019 par laquelle le préfet de l'Ardèche a implicitement rejeté sa demande d'autorisation de pêche professionnelle de l'anguille sur les lots E4, E5 et E6 sur le fleuve Rhône, ainsi que par voie de conséquence la décision expresse confirmative du 17 mai 2019 ; 2°) d'enjoindre au préfet de l'Ardèche de lui délivrer l'autorisation sollicitée dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir ou, à défaut, de statuer à nouveau sur sa demande dans le même délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1903657 du 10 juillet 2020, le tribunal administratif de Lyon, après avoir admis les interventions du comité national de la pêche en eau douce et de la fédération départementale de pêche et de protection du milieu aquatique de l'Ardèche, a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 11 septembre 2020 et un mémoire en réplique, non communiqué, enregistré le 25 octobre 2021, M. A..., représenté par Me Benesty, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 10 juillet 2020 ;
2°) d'annuler les décisions du préfet de l'Ardèche des 21 mars et 17 mai 2019 ;
3°) de mettre une somme de 10 000 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a méconnu l'article R. 611-7 du code de justice administrative, faute de porter à la connaissance des parties, dans le cadre de son moyen relevé d'office, outre la référence au 2° de l'article L. 110-1, celle aux textes qui, dans le cas de l'espèce, en définissent la portée ;
- le principe de " prévention " ne peut être invoqué directement et à lui seul, puisque sa portée et sa mise en œuvre requièrent une disposition législative ; le 2° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement ne constitue donc pas en lui-même une base légale ;
- la substitution de base légale est irrégulière, en ce qu'il n'est pas possible de prétendre qu'il n'a pas été privé d'une garantie ; le pouvoir d'appréciation n'est ni identique, ni similaire dans les deux bases légales ; l'appréciation pour le principe de précaution est celle de l'existence d'un risque alors qu'elle porte sur une action " utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable " s'agissant du principe de " prévention " ;
- le tribunal a entaché son jugement d'une erreur de droit, faute pour le préfet de l'Ardèche de démontrer que la décision ministérielle de réouverture de la pêche à l'anguille jaune sur le Rhône contreviendrait au principe de prévention ; le seul accroissement de prélèvement ne peut fonder une méconnaissance de ce principe, dès lors que la pêche ne touche qu'un facteur secondaire de l'obstacle à la restauration de la population, qui repose sur des causes anthropiques ; la perte nette de biodiversité ne sera pas évitée ;
- le préfet de l'Ardèche a entaché sa décision d'incompétence, aucune disposition légale ou réglementaire ne lui donnant compétence pour prononcer l'interdiction générale de l'exercice d'une activité économique sur tout ou partie du territoire dont il a la responsabilité, alors que le ministre compétent a décidé d'autoriser et de fixer la date d'ouverture de la pêche ;
- le préfet de l'Ardèche ne pouvait fonder sa décision sur le principe de précaution de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, dès lors que le risque est avéré, d'une part, et que la mesure ne serait pas " effective ", d'autre part, l'interdiction de la pêche professionnelle ne constituant pas un moyen efficace et proportionné d'enrayer la disparition de l'anguille ;
- le préfet de l'Ardèche a entaché sa décision d'une double erreur de droit, d'une part, en invoquant, dans le cadre d'une décision individuelle régie par les dispositions du code de l'environnement, les règles du code de la consommation ou de la santé, d'autre part, en appréciant l'opportunité de la demande alors qu'il était en situation de compétence liée dès lors que le pétitionnaire remplit les conditions de l'arrêté du 4 octobre 2010 ;
- le préfet de l'Ardèche a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation compte tenu de la carence d'action sur les autres axes du plan de gestion anguille (PGA) ; les études scientifiques retiennent que la cause essentielle du déclin de l'espèce ne résulte pas de la pêche ;
- la décision litigieuse révèle une inégalité de traitement entre pêcheurs professionnels et non professionnels ; elle est d'autant plus inacceptable que le préfet détient, par l'article 5 de l'arrêté du 4 octobre 2010, les pouvoirs pour fixer le nombre d'équipements utilisé et maîtriser ainsi l'importance du prélèvement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 septembre 2021, la ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés sont infondés.
Par ordonnance du 29 septembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 25 octobre 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 1100/2007 du 18 septembre 2007 ;
- le code de l'environnement ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté du 5 février 2016 relatif aux périodes de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) aux stades d'anguille jaune et d'anguille argentée ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère ;
- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
- et les observations de Me Benesty pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A... exerce une activité de pêche dite professionnelle sur le fleuve Rhône. Il est à ce titre preneur d'un bail de pêche conclu avec l'Etat pour la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2021. Par une lettre du 20 janvier 2019, reçue le 21 janvier 2019, M. A... a sollicité auprès du préfet de l'Ardèche l'autorisation de pêcher l'anguille jaune sur les lots E4, E5 et E6 pour la période courant du 1er mai au 30 septembre 2019. Si le silence gardé par le préfet suite à la demande de l'intéressé a fait naître une décision implicite de rejet, une décision explicite de rejet du 17 mai 2019 s'y est substituée. M. A... relève appel du 10 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce refus d'autorisation.
Sur la légalité du refus d'autorisation :
2. Aux termes de l'article L. 110-1 du code de l'environnement : " Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l'air, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d'usage ./ (...) II. - Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants :/ (...) 2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ; Ce principe doit viser un objectif d'absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité (...) ".
3. Le Conseil de l'Union européenne a adopté le 18 septembre 2007 le règlement (CE) n° 1100/2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes (Anguilla anguilla), espèce migratrice catadrome qui se reproduit dans la mer des Sargasses et grandit dans les eaux douces européennes, désormais classée dans la catégorie des espèces en situation de " danger critique d'extinction ". Ce règlement a, notamment, imposé aux Etats membres d'élaborer un plan de gestion de l'anguille pour chaque bassin hydrographique et de le soumettre à la Commission avant le 31 décembre 2008. L'objectif de ces plans de gestion est, dans une perspective de long terme, de " réduire la mortalité anthropique afin d'assurer avec une grande probabilité un taux d'échappement vers la mer d'au moins 40 % de la biomasse d'anguilles argentées ". Parmi les mesures des plans de gestion, figurent notamment, outre des mesures de repeuplement ou d'aménagement des cours d'eaux, " la réduction de l'activité de pêche commerciale " et " la limitation de la pêche récréative ". En application de ce règlement, la France a notamment pris, vis-à-vis de l'Union européenne, l'engagement de réduire en trois ans de 30 %, puis de 60 % à partir de 2015, la mortalité liée à la pêche légale. Elle a présenté à la Commission le 31 décembre 2008 un plan national de gestion de l'anguille, ultérieurement révisé les 12 novembre 2009 et 3 février 2010 conformément à ce que prévoit l'article 5 du règlement. Par une décision du 15 février 2010, la Commission a approuvé, au vu des résultats de l'évaluation technique et scientifique réalisée par le Conseil international pour l'exploration de la mer, le plan de gestion français révisé.
4. Les dispositions combinées des articles R. 436-65 à R. 436-65-9 du code de l'environnement, créés par le décret n° 2010-1110 du 22 septembre 2010 relatif à la gestion et à la pêche de l'anguille, précisent, la portée du principe dit " de prévention " défini au 2° du II de l'article L. 110-1 du même code. La pêche de l'anguille, aux trois stades de son développement (anguille de moins de douze centimètres, anguille jaune, anguille argentée), est interdite en dehors des limites des unités de gestion fixées par arrêté du préfet de région. La pêche de l'anguille de moins de 12 centimètres, interdite aux pêcheurs de loisir en tous lieux, peut être autorisée sous conditions aux pêcheurs professionnels, pendant une période de cinq mois consécutifs au plus et dans la limite de quotas de pêche répartis par unité de gestion, fixés par arrêté ministériel et en affectant une part de la capture de l'anguille de moins de 12 cm au repeuplement. La pêche de l'anguille argentée est interdite, sauf sur certains cours d'eau et plans d'eau des unités de gestion de l'anguille Loire, Bretagne et Rhône-Méditerranée, sur dérogation accordée par arrêté ministériel aux pêcheurs professionnels. Pour ce qui concerne la pêche de l'anguille jaune, l'article R. 436-65-4 du code de l'environnement prévoit que : " I. - La pêche de l'anguille jaune est autorisée pendant une période fixée par unité de gestion, et le cas échéant par secteur, par arrêté conjoint du ministre chargé de la pêche en eau douce et du ministre chargé de la pêche maritime. II. - La pêche de l'anguille jaune par les pêcheurs professionnels, ainsi que, lorsqu'ils utilisent des engins ou des filets, par les membres des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique et les pêcheurs de loisir en zone maritime, est subordonnée à l'obtention d'une autorisation délivrée selon les modalités fixées, selon le cas, par arrêté du ministre chargé de la pêche en eau douce ou par arrêté du ministre chargé de la pêche maritime. ". L'arrêté ministériel du 5 février 2016, modifié le 28 décembre 2018 fixe la période d'autorisation de la pêche de l'anguille jaune, dans le bassin Rhône Méditerranée en domaine fluvial, 2ème catégorie pour le département de l'Ardèche du 1er mai au 30 septembre 2019. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 4 octobre 2010 relatif à la mise en place d'autorisations de pêche de l'anguille en eau douce : " L'autorisation de la pêche de l'anguille par les pêcheurs amateurs aux engins et aux filets et par les pêcheurs professionnels prévue aux II des articles R. 436-65-3, R. 436-65-4 et R. 436-65-5 du code de l'environnement est délivrée à titre individuel par le préfet de département. ".
5. Il résulte des dispositions précitées que le plan national de gestion de l'anguille n'interdit pas la pêche de l'anguille jaune mais la subordonne seulement à une autorisation individuelle, y compris pour l'unité de gestion n° 8 " Rhône-méditerranée ". A cet égard, si les premiers juges ont relevé que la situation du cours moyen du fleuve Rhône est parmi les plus exposées, des facteurs extérieurs à la mortalité par pêche, tels que la contamination du fleuve du Rhône par les polychlorobiphényles et la mortalité des anguilles lors du passage des turbines à la dévalaison y contribuent largement. Alors que l'interdiction de la pêche à l'anguille jaune en vue de sa consommation et sa commercialisation en raison du danger que cette consommation faisait courir à la santé humaine a été partiellement levée par arrêté inter-préfectoral des préfets de la Drôme et de l'Ardèche des 7 et 9 novembre 2018, il ne ressort pas des pièces du dossier, qu'un principe d'interdiction de la pêche de l'anguille jaune serait localement justifié, en dépit de l'objectif de préservation que poursuit le préfet dans le cadre de l'exercice des pouvoirs de police spéciale que lui confèrent les dispositions citées au point précédent et qui peuvent d'ailleurs le conduire à compléter la délivrance de l'autorisation requise des mesures appropriées à la charge du pétitionnaire. La ministre ne conteste pas, dès lors que le risque d'atteinte à l'environnement est avéré, que la base légale tirée du principe de précaution prévu au 1° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement sur laquelle s'était fondé le préfet, était erronée. Dans ces conditions, le requérant est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges lui ont substitué le principe d'action préventive et de correction, énoncé au 2° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, lequel ne pouvait, sans erreur d'appréciation, fonder le refus d'autorisation sollicitée, qui ne repose sur aucun motif propre à la situation individuelle du demandeur ni aucune spécificité des lots concernés.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'en examiner la régularité, que M. A... est fondé à demander l'annulation du jugement du 10 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus d'autorisation de pêche professionnelle de l'anguille opposé par le préfet de l'Ardèche.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard au motif d'annulation exposé ci-dessus, l'exécution du présent arrêt n'impose pas qu'il soit fait droit à la demande de délivrance de l'autorisation sollicitée mais implique seulement que cette demande soit réexaminée. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de l'Ardèche de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La décision du 17 mai 2019 par laquelle le préfet de l'Ardèche a rejeté la demande d'autorisation de pêche professionnelle de l'anguille de M. A... sur les lots E4, E5 et E6, est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Ardèche d'instruire à nouveau cette demande, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré après l'audience du 11 octobre 2022 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président,
M. Gilles Fédi, président-assesseur,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 octobre 2022.
La rapporteure,
Bénédicte LordonnéLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 20LY02659