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20/10/2022 | FRANCE | N°20LY01269

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 20 octobre 2022, 20LY01269


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'Etat à lui verser la somme de 17 500 euros en réparation du préjudice qu'il a subi à raison des cent soixante-quinze fouilles corporelles intégrales dont il a fait l'objet au cours de son incarcération, ainsi que les intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de sa requête et la capitalisation des intérêts.

Par jugement n° 1802181 du 4 février 2020, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure d

evant la cour

Par une requête enregistrée le 7 avril 2020, M. B..., représenté par Me Montr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'Etat à lui verser la somme de 17 500 euros en réparation du préjudice qu'il a subi à raison des cent soixante-quinze fouilles corporelles intégrales dont il a fait l'objet au cours de son incarcération, ainsi que les intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de sa requête et la capitalisation des intérêts.

Par jugement n° 1802181 du 4 février 2020, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 7 avril 2020, M. B..., représenté par Me Montrichard, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 17 500 euros assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- en le soumettant à 175 fouilles entre le mois de septembre 2017 et le mois de juillet 2018 sans que son comportement en détention le justifie, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- il a subi un préjudice qui doit être évalué à 17 500 euros, soit 100 euros par fouille illégale.

La requête a été communiquée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Par une décision du 3 juin 2020, M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Evrard, présidente-assesseure,

- et les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B... relève appel du jugement du 4 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser 17 500 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi en raison des fouilles corporelles intégrales dont il a fait l'objet au cours de son incarcération au centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure du 2 septembre 2017 au 29 juillet 2018.

2. Aux termes de l'article R. 57-7-79 du code de procédure pénale, alors en vigueur : " Les mesures de fouilles des personnes détenues, intégrales ou par palpation, sont mises en œuvre sur décision du chef d'établissement (...) Leur nature et leur fréquence sont décidées au vu de la personnalité des personnes intéressées, des circonstances de la vie en détention et de la spécificité de l'établissement. / (...) ". Aux termes de l'article R. 57-7-80 du même code : " Les personnes détenues sont fouillées chaque fois qu'il existe des éléments permettant de suspecter un risque d'évasion, l'entrée, la sortie ou la circulation en détention d'objets ou substances prohibés ou dangereux pour la sécurité des personnes ou le bon ordre de l'établissement ", tandis qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

3. Il résulte de ces dispositions que si les nécessités de l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l'application à un détenu de mesures de fouille, le cas échéant répétées, elles ne sauraient revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par l'un des motifs qu'elles prévoient, en tenant compte notamment du comportement de l'intéressé, de ses agissements antérieurs ou des contacts qu'il a pu avoir avec des tiers. Les fouilles intégrales revêtent un caractère subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou à l'utilisation de moyens de détection électronique. Il appartient à l'administration pénitentiaire de veiller, d'une part, à ce que de telles fouilles soient, eu égard à leur caractère subsidiaire, nécessaires et proportionnées et, d'autre part, à ce que les conditions dans lesquelles elles sont effectuées ne soient pas, par elles-mêmes, attentatoires à la dignité de la personne.

4. Il résulte de l'instruction, notamment, des décisions de fouilles individuelles versées au débat, que M. B... a fait l'objet, entre le 2 septembre 2017 et le 29 juillet 2018, période durant laquelle il a été incarcéré au centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure, de cent soixante-neuf fouilles intégrales, réalisées, pour huit d'entre elles, après une fouille de sa cellule, pour l'une d'elle, à la suite d'une promenade et, pour le surplus, après que le requérant a eu accès au parloir, et que ces mesures ont été motivées, pour vingt-quatre d'entre elles, par le refus de l'intéressé de se soumettre aux portiques de détection à ondes millimétriques à son retour du parloir sans motif médical valable, pour dix-sept d'entre elles, par le dysfonctionnement de cet appareil, pour sept d'entre elles, par la fouille de sa cellule, pour une autre, par une suspicion d'échange d'un téléphone portable au cours d'une promenade et pour une seule, par la découverte de produits prohibés dans sa cellule.

5. Les autres décisions ont été justifiées par une référence de principe à l'article 57 de la loi du 24 novembre 2009, l'administration ayant fait valoir en première instance que les tentatives d'introduction d'objets, de substances illicites et même de munitions à l'occasion de visites aux parloirs ou de promenades se sont répétées durant la période considérée.

6. Toutefois, si M. B... a refusé, à plusieurs reprises et sans motif légitime, de se soumettre aux portiques de détection à ondes millimétriques, ce comportement n'a justifié qu'une partie des fouilles qu'il a subies. En outre, il ressort des pièces du dossier que les dysfonctionnements de ces portiques ne se sont produits que durant des périodes limitées. Ni le contexte général dont l'administration fait état, et, notamment, le comportement de tiers, ni les faits dont l'intéressé a pu se rendre coupable le 12 mai 2018 et au mois de mars 2019 ne sont d'une gravité telle qu'ils permettent de regarder comme nécessaire et proportionnée la soumission de M. B... à des fouilles intégrales répétées. Le recours à ces mesures, s'il n'a pas été systématique, dès lors notamment que M. B... n'a pas été soumis à une fouille corporelle intégrale à l'issue des nombreuses visites qu'il a reçues au parloir, ne présentait pas, eu égard à ce qui précède, un caractère nécessaire et proportionné. Dès lors, ces fouilles ont revêtu un caractère attentatoire à la dignité de la personne, contraire aux dispositions citées au point 2 et sont constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

7. Eu égard à la nature du manquement commis par l'administration pénitentiaire dont est résulté une atteinte illégitime portée à la considération due à sa personne, M. B... est fondé à soutenir avoir subi un préjudice moral dont il sera fait, dans les circonstances de l'espèce, une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 4 000 euros, tous intérêts compris. Il y a lieu, par suite, d'annuler le jugement attaqué et de condamner l'Etat au versement de cette somme.

8. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Ciaudo, conseil de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat, qui doit être regardé comme partie perdante à l'instance, le versement à cet avocat d'une somme de 1 500 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1802181 du 4 février 2020 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. B... une somme de 4 000 euros tous intérêts compris.

Article 3 : L'Etat versera à Me Ciaudo, avocat de M. B..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Ciaudo renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au garde des sceaux, ministre de la justice et à Me Ciaudo.

Délibéré après l'audience du 29 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président,

Mme Evrard, présidente assesseure,

Mme Psilakis, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 octobre 2022.

La rapporteure,

A. EvrardLe président,

Ph. Arbarétaz

Le greffier,

J. Billot

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Le greffier,

2

N° 20LY01269


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY01269
Date de la décision : 20/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

37-05-02-01 Juridictions administratives et judiciaires. - Exécution des jugements. - Exécution des peines. - Service public pénitentiaire.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Aline EVRARD
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : AARPI THEMIS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-10-20;20ly01269 ?
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