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13/10/2022 | FRANCE | N°22LY00252

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 13 octobre 2022, 22LY00252


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme D... a demandé au tribunal administratif de Dijon l'annulation de l'arrêté du 12 mars 2021 par lequel le préfet de l'Yonne a refusé de l'admettre au séjour, a assorti ce refus de l'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par jugement n° 2100949 du 19 novembre 2021, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 25 janvier 2022, Mme A..., représentée

par Me Boughlita, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 19 novembre 2021 et l'arrê...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme D... a demandé au tribunal administratif de Dijon l'annulation de l'arrêté du 12 mars 2021 par lequel le préfet de l'Yonne a refusé de l'admettre au séjour, a assorti ce refus de l'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par jugement n° 2100949 du 19 novembre 2021, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 25 janvier 2022, Mme A..., représentée par Me Boughlita, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 19 novembre 2021 et l'arrêté du 12 mars 2021 pris à son encontre ;

2°) d'enjoindre au préfet de l'Yonne de réexaminer sa situation et lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision portant refus de séjour est entachée d'erreur de fait dès lors que le préfet s'est fondé sur le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité de sa seconde fille ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée dès lors que le refus de séjour pris à son encontre est illégal ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 511-4 du code précité dès lors qu'elle est mère d'un enfant français ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 juillet 2022, le préfet de l'Yonne, représenté par Me Cano, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la requérante la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 5 janvier 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère et les observations de Me d'Ovidio, représentant le préfet de l'Yonne ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., de nationalité ivoirienne, est entrée régulièrement en France le 15 juin 2015 sous couvert d'un passeport en cours de validité, revêtu d'un visa de court séjour, accompagnée de sa fille mineure C... née le 28 juillet 2012. L'intéressée, dont les demandes tendant à la délivrance d'un passeport français et d'une carte nationalité d'identité française au nom de sa deuxième fille née le 30 mai 2016 ont été rejetées, n'a pas exécuté la mesure d'éloignement prise à son encontre par une décision du préfet de l'Yonne du 26 juillet 2018, devenue définitive. Elle a déposé une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de parent d'un enfant scolarisé. Mme A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Yonne du 12 mars 2021 rejetant sa demande de titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et désignant le pays à destination duquel elle pourra être reconduite.

Sur les conclusions présentées à fin d'annulation et d'injonction :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du même code dans sa version alors en vigueur : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans ".

3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec, même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ses compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application de ces principes.

4. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que, par décision du 26 juillet 2018, le préfet de l'Yonne a rejeté la demande de titre de séjour présentée par Mme A... en qualité de parent d'enfant français. La légalité de cette décision a été confirmée par jugement n°1802195 du 31 janvier 2019 du tribunal administratif de Dijon, devenu définitif, au motif que l'administration avait apporté la preuve de ce que la reconnaissance de l'enfant avait été souscrite dans le but de faciliter l'obtention par fraude de la nationalité française et d'un titre de séjour. Dans ces conditions, le préfet de l'Yonne n'a commis aucune erreur de fait en relevant dans la décision portant refus de séjour en litige le caractère frauduleux de ladite reconnaissance de paternité.

6. En deuxième lieu, la décision portant refus de séjour rappelle les conditions d'entrée et de séjour en France de Mme A... ainsi que les éléments essentiels afférents à sa situation administrative et familiale. Elle n'est, par suite, entachée d'aucun défaut d'examen de la situation personnelle de l'intéressée.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ".

8. Pour contester la décision de refus de séjour qui lui a été opposée, Mme A... ne saurait, ainsi qu'il a été rappelé, se prévaloir de la nationalité française de sa seconde fille née le 30 mai 2016. Elle ne saurait de même se prévaloir de sa durée de présence en France de six ans dès lors que celle-ci n'a été acquise qu'au prix de la méconnaissance d'une première mesure d'éloignement édictée le 26 juillet 2018 à son encontre. La requérante ne justifie par ailleurs d'aucune insertion socioprofessionnelle au sein de la société française. Si elle y revendique la présence régulière de son père et de cousins, elle conserve dans son pays d'origine, où elle a vécu jusqu'à 28 ans, un autre enfant mineur né en 2008 ainsi que ses frères et sœurs. Rien ne fait obstacle à ce que ses filles, actuellement scolarisées, le soient à nouveau dans le pays d'origine de leur mère. A la supposer même établie depuis août 2020, la vie commune alléguée avec un ressortissant français est très récente à la date de la décision attaquée. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en édictant la décision portant refus de séjour en litige, le préfet de l'Yonne a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnu les stipulations précitées. Pour les mêmes motifs, il n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de celle-ci sur la situation personnelle de Mme A.... Enfin, compte tenu des éléments susvisés, Mme A... ne justifie pas de motifs exceptionnels ou de considérations humanitaires de nature à considérer que le préfet de l'Yonne aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas application de son pouvoir de régularisation au titre des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. En quatrième lieu, il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français prise à son encontre serait illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de séjour.

10. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 6° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ".

11. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que Mme A... ne pouvant se prévaloir de la nationalité française de sa seconde fille en raison d'une fraude concernant la déclaration de paternité, elle n'est pas fondée à revendiquer le bénéfice des dispositions précitées de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

12. En sixième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 8, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la mesure d'éloignement prise à son encontre méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

13. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. " Mme A... ne produit aucun élément tendant à démontrer qu'elle serait exposée à des risques pour sa sécurité en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, le préfet de l'Yonne, en désignant la Côte d'Ivoire comme pays de destination, n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

14. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande. Les conclusions qu'elle présente aux mêmes fins en appel doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées à fin d'injonction.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à Mme A... la somme qu'elle demande au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

16. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions du préfet de l'Yonne présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du préfet de l'Yonne présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Yonne.

Délibéré après l'audience du 22 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Dèche, présidente assesseure,

Mme Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 octobre 2022.

La rapporteure,

V. Rémy-NérisLe président,

F. Bourrachot

La greffière,

S. Lassalle

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY00252

ap


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY00252
Date de la décision : 13/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Vanessa REMY-NERIS
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-10-13;22ly00252 ?
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