Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler l'arrêté du 3 mai 2021 par lequel le préfet du Cantal l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination duquel il pourra être reconduit, et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans ainsi que d'annuler l'arrêté du même jour par lequel le préfet du Cantal l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Par jugement n° 2100959 du 7 mai 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, dans un article 1er, admis M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, dans un article 2, rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 et 12 août 2021, M. A..., représenté par Me Meral, demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 2 du jugement susvisé du 7 mai 2021 et les décisions susvisées prises à son encontre ;
2°) d'enjoindre au préfet du Cantal, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, d'enjoindre audit préfet de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'un vice de procédure, dès lors qu'elle a été prise sans son audition préalable et sans respect de son droit d'être entendu au sens du droit de l'Union européenne ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision de refus de délai de départ volontaire méconnaît les dispositions des articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il justifie de circonstances particulières ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délai de départ volontaire ;
- elle est insuffisamment motivée, est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa vie privée et familiale et de l'existence de circonstances humanitaires faisant obstacle à son édiction ;
- la décision portant assignation à résidence est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire, enregistré le 6 octobre 2021, le préfet du Cantal conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, par courrier du 4 juillet 2022, en application des dispositions de l'article R. 611-7-3 du code de justice administrative, de ce que, dans l'hypothèse où la cour annulerait l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée à l'encontre de M. A..., l'arrêt à intervenir est susceptible d'impliquer le prononcé d'office d'une injonction afin de procéder à l'effacement de son signalement aux fins de son admission dans le système d'information Schengen.
La demande d'aide juridictionnelle de M. A... a été rejetée par décision du 7 juillet 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et notamment son article 41 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant sénégalais né le 28 décembre 1994, est entré en France le 4 septembre 2019 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de court séjour délivré le 21 août 2019 par le consulat général de France à Dakar. Par un arrêté du 3 mai 2021, le préfet du Cantal l'a obligé à quitter le territoire français sans délai sur le fondement des dispositions des 2° et 6° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit, et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans. Par un arrêté du même jour, le préfet du Cantal l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. A... relève appel du jugement par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union " ; qu'aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 51 de la Charte : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. (...) ".
3. Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.
4. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français non prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.
5. Une violation des droits de la défense, en particulier du droit d'être entendu, n'entraîne l'annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l'absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent.
6. En l'espèce, si M. A... soutient qu'il n'a pu présenter aucune observation concernant sa situation personnelle aux services préfectoraux du Cantal et n'a été entendu par les services de gendarmerie que pour la vérification de son droit au séjour, il ressort des pièces versées au dossier que M. A... a été entendu lors de son audition par les services de gendarmerie le 3 mai 2021 et qu'au cours de cette audition, il a pu présenter des observations concernant sa situation administrative, familiale et professionnelle et a été informé de l'irrégularité de son séjour en France. Il a également été avisé du fait qu'il pouvait faire l'objet, notamment, de mesures d'éloignement et a été mis à même de présenter des observations sur cette éventualité. Le droit d'être entendu visé au point 4 n'exige pas que l'audition de l'intéressé se réalise dans les locaux des services préfectoraux. Par suite, et alors que le requérant n'établit, ni n'allègue, avoir disposé d'autres éléments d'informations tenant à sa situation qu'il aurait été empêché de porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prise à son encontre la mesure d'éloignement contestée et qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à l'édiction d'une telle mesure, le moyen tiré de la violation de son droit d'être entendu doit être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) "
9. Il ressort des pièces du dossier que M. A... était entré sur le territoire français depuis moins de deux ans à la date de l'édiction de la décision en litige après avoir vécu l'essentiel de son existence dans son pays d'origine, où résident ses parents ainsi que ses frères et sœurs. S'il justifie d'un contrat de travail et d'une relative insertion sociale et se prévaut, sans l'établir, d'une vie commune avec une ressortissante française depuis six mois, ces éléments sont toutefois insuffisants pour caractériser une insertion socioprofessionnelle particulière en France et pour y justifier de liens stables et intenses. Dans ces conditions, la décision portant obligation de quitter le territoire français opposée à M. A... n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Cette décision n'a pas ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. En dernier lieu, un ressortissant étranger ne peut faire l'objet d'une mesure prescrivant à son égard une obligation de quitter le territoire français en application des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour. En l'espèce, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, le moyen tiré de la méconnaissance par la décision en litige des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité de la décision portant refus de délai de départ volontaire :
11. M. A... réitère en appel et sans critiquer les motifs par lesquels le premier juge a écarté ce moyen, le moyen tiré de ce qu'il justifie de circonstance particulière faisant obstacle à l'édiction de la décision susvisée. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge aux points 9 et 10 de son jugement.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans :
12. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant refus de délai de départ volontaire au soutien de ses conclusions à fin d'annulation dirigées contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans.
13. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) " Aux termes des dispositions de l'article L. 613-2 du code précité, " Les décisions relatives au refus et à la fin du délai de départ volontaire prévues aux articles L. 612-2 et L. 612-5 et les décisions d'interdiction de retour et de prolongation d'interdiction de retour prévues aux articles L. 612-6, L. 612-7, L. 612-8 et L. 612-11 sont distinctes de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Elles sont motivées. " Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) "
14. Compte tenu des éléments cités au point 9 et alors qu'il est constant que M. A... n'a fait l'objet d'aucune précédente mesure d'éloignement et qu'il n'est pas relevé par le préfet du Cantal que sa présence sur le territoire français constituerait une menace pour l'ordre public, M. A... est fondé à soutenir qu'en fixant à trois ans, soit la durée maximale prévue par les dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précitées, l'interdiction de retour prononcée à son encontre, le préfet du Cantal a entaché cette décision d'une erreur d'appréciation. Par suite, M. A... est fondé à demander l'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.
Sur la légalité de la décision portant assignation à résidence :
15. En raison de la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, M. A... ne saurait soutenir que la décision portant assignation à résidence serait illégale pour défaut de base légale.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
16. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. "
17. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai et annule la décision portant interdiction de retour sur le territoire français n'implique pas la délivrance d'un titre de séjour provisoire à M. A... ni le réexamen de sa situation. Dès lors, ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Cantal de prendre de telles mesures doivent être rejetées.
18. En revanche, eu égard aux motifs énoncés au point 14, il y a lieu, d'office, d'enjoindre au préfet du Cantal de faire procéder sans délai à l'effacement du signalement de M. A... aux fins de son admission dans le système d'information Schengen.
Sur les frais liés à l'instance :
19. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 7 mai 2021 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans prononcée à son encontre.
Article 2 : La décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans édictée à l'encontre de M. A... le 3 mai 2021 est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Cantal de faire procéder sans délai à l'effacement du signalement de M. A... aux fins de son admission dans le système d'information Schengen.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet du Cantal.
Délibéré après l'audience du 22 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 octobre 2022.
La rapporteure,
V. Rémy-NérisLe président,
F. Bourrachot
La greffière,
S. Lassalle
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 21LY02734
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