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04/08/2022 | FRANCE | N°21LY02939

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 04 août 2022, 21LY02939


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler la décision du 12 février 2019 par laquelle la ministre du travail, après avoir retiré le rejet implicite du recours hiérarchique dirigé contre la décision du 12 avril 2018 par laquelle l'inspectrice du travail avait refusé d'autoriser la société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA) à le licencier pour motif économique, a annulé cette décision et autorisé son licenciement pour motif économ

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Par un jugement nos 1802177, 1900744 du 6 juillet 2021, le tribunal adm...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler la décision du 12 février 2019 par laquelle la ministre du travail, après avoir retiré le rejet implicite du recours hiérarchique dirigé contre la décision du 12 avril 2018 par laquelle l'inspectrice du travail avait refusé d'autoriser la société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA) à le licencier pour motif économique, a annulé cette décision et autorisé son licenciement pour motif économique.

Par un jugement nos 1802177, 1900744 du 6 juillet 2021, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté la demande de M. B....

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 2 septembre 2021, présentée pour M. B..., il est demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement nos 1802177, 1900744 du 6 juillet 2021 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en tant qu'il a rejeté sa demande ;

2°) d'annuler la décision susmentionnée ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les premiers juges se sont livrés à une appréciation des motifs économiques dans un cadre géographique erroné et sur la base d'éléments de fait inexacts ;

- c'est à tort que la ministre du travail a estimé que des menaces sur la sauvegarde de la compétitivité du secteur d'activité dont relevait l'entreprise au sein du groupe dont elle faisait partie rendaient nécessaire sa réorganisation ; la réorganisation ayant conduit à la suppression du poste visait seulement à une rationalisation de l'outil de production et le choix opéré par le groupe visait à privilégier les actionnaires.

Par des mémoires enregistrés les 17 janvier et 14 mars 2022, présentés pour la société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA), elle conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 18 mai 2022, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Elle soutient, en se référant aux écritures de première instance, que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 29 avril 2022 la clôture de l'instruction a été fixée au 17 juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Seillet, président-assesseur ;

- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;

- et les observations de Me Borie, pour M. B..., ainsi que celles de Me Curtius, pour la SEITA ;

Considérant ce qui suit :

1. La SEITA, filiale française du groupe Imperial Tobacco devenu en 2016 Imperial Brands, a sollicité, après la validation par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Ile de France de l'accord collectif conclu le 10 juillet 2017 portant plan de sauvegarde de l'emploi, prévoyant la suppression de 336 postes, l'autorisation de licencier pour motif économique M. B..., salarié protégé de la société exerçant des fonctions d'agent de maîtrise qualité sécurité environnement et titulaire de mandats de membre titulaire du comité d'établissement, de délégué du personnel suppléant et de délégué syndical, dans le cadre du projet de fermeture de son site de production de Riom. Par une décision du 12 avril 2018, l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle n° 2 de l'unité départementale du Puy-de-Dôme a refusé d'autoriser la SEITA à licencier M. B.... Toutefois, par une décision du 12 février 2019, la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, après avoir retiré le rejet implicite du recours hiérarchique formé par la SEITA contre la décision du 12 avril 2018, a annulé cette décision de l'inspectrice du travail et autorisé la SEITA à licencier le salarié. M. B... relève appel du jugement du 6 juillet 2021 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de la décision de la ministre du travail.

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives qui bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, est subordonné à une autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. En outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence.

3. Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : (...) 3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité (...) ".

4. Pour apprécier la réalité du motif économique allégué à l'appui d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d'un groupe, l'autorité administrative est tenue de faire porter son examen sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d'activité que la société en cause. A ce titre, en vertu des dispositions applicables en l'espèce, le groupe s'entend, ainsi qu'il est dit au I de l'article L. 2331-1 du code du travail, de l'ensemble constitué par les entreprises placées sous le contrôle d'une même entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. Toutes les entreprises ainsi placées sous le contrôle d'une même entreprise dominante sont prises en compte, quel que soit le lieu d'implantation de leur siège, tant que ne sont pas applicables les dispositions introduites par l'article 15 de l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail à l'article L. 1233-3 du code du travail, en vertu desquelles seules les entreprises implantées en France doivent alors être prises en considération.

5. Il ressort tant des pièces du dossier que des constatations effectuées par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand dans le jugement attaqué et, en particulier, de la note économique transmise aux représentants du personnel, des rapports rédigés, d'une part, par le cabinet Progexa, mandaté à cette fin par le comité central d'entreprise, et, d'autre part, par le cabinet Deloitte, à la demande de l'employeur, que le groupe Imperial Brands, qui réalise plus de 70 % du chiffre d'affaires net de son secteur tabac en Europe, a été confronté à une baisse de la demande de cigarettes en Europe de 2 % entre 2012 et 2017, faisant suite à une baisse de 3 % entre 2000 et 2012, et que le groupe Imperial Brands a perdu, au niveau mondial, un point de parts de marché sur la période 2012-2016, après avoir connu une perte de 1,5 point de parts de marché sur la période 2002-2012, qui l'avait conduit à une précédente réorganisation. Il en ressort également que le groupe Imperial Brands, confronté à une diminution en volume de la production et de la consommation de tabac de plus de 30 % en Europe entre 2002 et 2013, avait subi une chute de 14 % de son chiffre d'affaires (hors acquisitions aux États-Unis) entre 2013 et 2015, puis de 2,6 % (hors effets de change) au cours de l'année 2017, et de 2,1 % (hors effets de change) au 1er semestre de l'année 2018. Dans ces conditions, et eu égard à ces tendances structurelles, caractérisées par une forte et régulière rétractation du marché européen du tabac et par la réduction constante de la consommation de tabac sur ce marché et notamment sur le marché français, sur lesquels ce secteur d'activité réalise l'essentiel de son chiffre d'affaires, et alors qu'il ressort également des pièces du dossier que les sites européens du groupe Imperial Brands se sont trouvés systématiquement en surcapacité de production entre 2011 et 2016 en raison notamment de la perte de parts de marché, il existait, à la date de la décision ministérielle en litige, une menace pesant sur la compétitivité du secteur d'activité tabac dont relève la SEITA au sein du groupe Imperial Brands de nature à justifier la réorganisation du groupe, de sorte que la réalité du motif économique allégué à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement était établie à cette date. Dès lors qu'il n'appartient pas au juge administratif, pas davantage qu'à l'administration du travail, de substituer son appréciation des choix de gestion à celle de l'employeur ni, par suite, de rechercher si la menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité dont elle relève au sein d'un groupe est due à la faute ou à la légèreté blâmable de l'employeur, le requérant ne peut utilement se prévaloir de la circonstance, à la supposer établie, que les pertes de parts de marché subies par le groupe Imperial Brands et la menace sur la compétitivité de l'entreprise découleraient, outre du choix de privilégier les remontées de dividende des actionnaires au détriment des investissements industriels, du choix volontaire de diminuer la part des dépenses publiques promotionnelles.

6. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à la mise à la charge de l'État d'une somme au titre des frais liés au litige. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... une somme au titre des frais exposés par la SEITA.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA) et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 7 juillet 2022 à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président de chambre ;

M. Seillet, président assesseur ;

Mme Djebiri, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 août 2022.

Le rapporteur,

Ph. SeilletLe président,

Ph. Arbarétaz

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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N° 21LY02939

al


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY02939
Date de la décision : 04/08/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07 Travail et emploi. - Licenciements.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: M. Philippe SEILLET
Rapporteur public ?: M. CHASSAGNE
Avocat(s) : NMCG AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 23/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-08-04;21ly02939 ?
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