Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) a demandé au tribunal administratif de Dijon, à titre principal, d'annuler le marché public de signalisation routière verticale conclu avec la société Lacroix Signalisation en 1997 et de condamner cette dernière à lui rembourser la somme à parfaire de 2 778 831,84 euros, augmentée des intérêts et de leur capitalisation, à titre subsidiaire de condamner cette même société à lui verser la somme à parfaire de 583 342,21 euros, augmentée des intérêts et de leur capitalisation, en réparation du préjudice économique subi lors de la conclusion de ce marché public.
Par un jugement avant dire-droit n° 1301554 du 30 juillet 2015, le tribunal administratif de Dijon a ordonné une expertise.
Par un jugement n° 1301554 du 16 juillet 2018, ce même tribunal, après avoir rejeté les conclusions principales de la société APRR, a, d'une part, condamné la société Lacroix Signalisation à verser à la société APRR la somme de 118 787 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2013 et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 17 juin 2014 et, d'autre part, mis à la charge de la société Lacroix Signalisation les sommes de 23 638 euros au titre des frais d'expertise et 1 500 euros au titre des frais du litige à verser à la société APRR et a rejeté les conclusions principales de cette dernière.
Procédure devant la cour
Par un arrêt n° 18LY03562, 18LY03581 du 3 décembre 2020 la cour administrative d'appel de Lyon a, d'une part, annulé le jugement du 16 juillet 2018 du tribunal administratif de Dijon en tant qu'il statuait sur les conclusions présentées par la société APRR sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, d'autre part, rejeté les conclusions principales de la société APRR tendant à l'annulation du contrat conclu avec la société Lacroix signalisation présentées sous le n° 18LY03562, ainsi que celles tendant, sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, à l'indemnisation du préjudice financier et, enfin, ordonné, avant de statuer sur l'autre chef de préjudice de la société APRR sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, une expertise aux fins de déterminer le préjudice subi par cette dernière au titre de la conclusion du marché n° 1980048.
Par ordonnance du 10 décembre 2020, M. C... a été désigné en qualité d'expert.
Par ordonnance du 16 avril 2021, M. B... a été désigné comme sapiteur.
Le rapport de l'expert a été enregistré le 22 octobre 2021 à la cour.
Par ordonnance du 10 juin 2022, le président de la cour a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expert et du sapiteur aux sommes respectives de 21 205,74 euros TTC et 8 280 euros TTC.
Par des mémoires enregistrés les 24 novembre 2021, 25 décembre 2021 et 16 mai 2022, annulant et remplaçant celui enregistré le 13 mai 2022, sous les n° 18LY03562 et 18LY03581, la société Lacroix City Saint-Herblain, venant aux droits de la société Lacroix Signalisation, représentée par Me Marcault-Derouard, conclut, dans l'instance n °18LY03562, au rejet de la requête de la société APRR et, dans l'instance n° 18LY03581, au rejet de la demande de première instance de la société APRR, et à ce que soit mis à sa charge une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le rapport de l'expertise ordonnée en appel se fonde, ainsi que l'avait indiqué la cour à propos du rapport de l'expertise ordonnée en première instance, sur des données non contradictoires ; aucune discussion contradictoire sur les choix méthodologiques n'a eu lieu en amont des travaux de l'expert ; ses cinq dires ne sont pas tous mentionnés dans le rapport et plusieurs éléments sont demeurés sans réponse ;
- il n'est pas incohérent, en fonction des données propres à chaque situation, de recourir à des méthodes d'évaluation du préjudice différentes ;
- le taux de surprix de 30 % qui se base sur l'ensemble de la période d'entente est surévalué s'agissant du seul marché passé par la société Lacroix Signalisation au début de l'entente ;
- les écarts de prix négatifs doivent être pris en considération pour déterminer le taux de surprix ;
- les calculs proposés par la société APRR sur la base de l'activité de la société sont erronés ;
- la cour a déjà exclu, dans l'arrêt avant dire-droit, toute indemnisation des frais financiers et de l'actualisation, indemnisés par l'application de l'intérêt légal.
Par des mémoires enregistrés le 25 novembre 2021, le 21 février 2022, non communiqué, le 18 mai 2022, le 30 mai 2022 et le 2 juin 2022, la société APRR, représentée par Me de Monsembernard, conclut au rejet des conclusions présentées par la société Lacroix City Saint-Herblain et demande à la cour :
1°) de condamner la société Lacroix City Saint-Herblain à lui verser la somme à parfaire de 854 071,24 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;
2°) de mettre à la charge de la société Lacroix City Saint-Herblain les frais de l'expertise ordonnée par la cour ;
3°) de mettre à la charge de la société Lacroix City Saint-Herblain une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le rapport d'expertise, qui se fonde sur des méthodes qui n'ont pas pu être débattues, adopte des méthodes différentes pour déterminer le préjudice subi par chaque société membre de l'entente et n'a pas pris la peine de répondre à la plupart de ses remarques, méconnaît le principe du contradictoire ;
- parmi les quatre méthodes exposées par l'expert pour déterminer le surprix brut, il n'est pas justifié d'écarter la méthode issue du rapport réalisé à sa demande par un cabinet d'expertise ; la deuxième méthode, fondée sur la marge brute dégagée par l'entreprise membre de l'entente, est très approximative ; les troisième et quatrième méthodes comparent le prix du marché attribué à la société Lacroix Signalisation pendant l'entente à l'ensemble des marchés attribués par la société APRR après l'entente, ce qui revient à comparer des données totalement différentes, sans analyser la position de cette société sur le marché en cause ;
- la façon dont l'expert a appliqué la méthode de la marge brute est erronée ; cette méthode aurait dû conduire à un taux de marge de 25,71 %, voire de 45 % ;
- la quatrième méthode consistant, à partir des données du rapport d'expertise qu'elle a commandé, à y intégrer l'impact de l'évolution du coût des matières premières n'est pas plus exacte ;
- l'expert ne justifie pas l'existence de la répercussion du surcoût sur les usagers des autoroutes alors que le mode de détermination du tarif des péages exclut une telle répercussion ;
- la répercussion du surcoût sur les usagers comprend diverses erreurs ; l'incidence liée à l'inflation est basée sur des données erronées ; l'incidence liée à l'accroissement du trafic est sous-évaluée compte tenu de l'assimilation de l'évolution tarifaire de la classe 1 à l'évolution tarifaire globale ; le surprix calculé pour une année ne peut être multiplié par le nombre d'années restant à courir avant la fin de l'entente ;
- elle a droit à l'actualisation du montant du préjudice et des frais financiers jusqu'à la date de lecture de l'arrêt de la cour ;
- son préjudice s'établit, en prenant en compte la méthode issue du rapport d'expertise qu'elle a commandé et la méthode du rapport du cabinet d'expertise commandé par la société Lacroix signalisation corrigée, ainsi que son préjudice financier et l'actualisation de ce dernier, à 854 071,24 euros.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code de la voirie routière ;
- le décret n°95-81 du 24 janvier 1995 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties des jours des audiences des 19 mai et 30 juin 2022, les dossiers ayant été renvoyés à l'issue de la première audience, en vue de la production à la demande de la cour d'éléments complémentaires par la société APRR.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... ;
- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;
- et les observations de Me Delannoy pour la société APRR et celles de Me Marcault Derouard pour la société Lacroix City Saint-Herblain.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 16 juillet 2018, le tribunal administratif de Dijon, après avoir rejeté les conclusions présentées à titre principal par la société APRR tendant à l'annulation du marché public de signalisation routière verticale conclu avec la société Lacroix Signalisation a condamné la société Lacroix Signalisation, sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, à verser à la société APRR la somme de 118 787 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2013 et de leur capitalisation à compter de l'année suivante, en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la participation de la société Lacroix Signalisation à une entente dans le secteur de la signalisation routière, et a mis les frais d'expertise à la charge de la société Lacroix Signalisation. La société APRR a alors demandé à la cour, sous le n° 18LY03562, de réformer ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions principales et n'a pas entièrement fait droit à ses conclusions subsidiaires et la société Lacroix Signalisation a demandé à la cour, sous le n° 18LY03581, de réformer ce jugement en tant qu'il l'a condamnée. Par un arrêt avant-dire droit rendu le 3 décembre 2020, la cour a, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, rejeté les conclusions principales de la société APRR. Puis, après avoir annulé cette partie du jugement pour irrégularité et évoquer les conclusions indemnitaires présentées par la société APRR sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, la cour a rejeté les conclusions de la société APRR se rapportant à l'indemnisation de son préjudice financier résultant du coût du financement pondéré du capital pour lequel elle demandait l'actualisation du montant du surprix. La cour a, pour le surplus, ordonné une expertise à fin de déterminer le préjudice subi par la société APRR au titre de la conclusion avec la société Lacroix Signalisation du marché n° 1980048. L'expert désigné par le président de la cour a déposé son rapport le 22 octobre 2021.
2. Pour déterminer, ainsi que lui avait demandé la cour, le montant du préjudice subi par la société APRR au titre de la conclusion en 1998 du marché n° 1980048, qu'il a estimé à la somme de 78 681 euros, l'expert a établi le surprix brut lié aux pratiques anticoncurrentielles selon trois méthodes dont il a fait la moyenne. Il a après retranché la part de ce surprix qui a été répercutée sur les usagers des autoroutes au travers de l'augmentation des tarifs des péages (" passing on ") afin de déterminer un surprix net. Il a ensuite calculé l'effort financier supplémentaire supporté par la société APRR pour payer ce surprix net et l'a intégré au préjudice. Enfin, il a réactualisé le montant des sommes ainsi déterminées à leur valeur à la fin de l'année 2006, date de fin de l'entente.
3. L'article L. 122-4 du code de la voirie routière, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que la convention de concession et le cahier des charges : " peuvent autoriser le concessionnaire à percevoir des péages en vue d'assurer le remboursement des avances et des dépenses de toute nature faites par l'Etat et les collectivités ou établissements publics, l'exploitation et, éventuellement, l'entretien et l'extension de l'autoroute, la rémunération et l'amortissement des capitaux investis par le concessionnaire ". L'article 5 de la convention de concession autorise la société APRR à percevoir des péages. L'article 12 du cahier des charges prévoit que : " Tous les frais nécessaires à la construction, à l'entretien et à l'exploitation des autoroutes et ouvrages concédés, y compris les frais résultant de l'éclairage des barrières de péage et des accès, là où cela est nécessaire, seront à la charge de la société concessionnaire, sauf dispositions contraires résultant de l'application éventuelle des articles 1er, 4, 6 et 9.2. ". L'article 13.1 prévoit que : " Les ouvrages établis en vertu de la présente concession, y compris les équipements et installations d'exploitation et de sécurité, sont entretenus et maintenus en bon état et sont exploités à ses frais par la société concessionnaire ou, sous sa responsabilité, par les titulaires de contrats visés à l'article 30 du présent cahier des charges de façon à toujours convenir parfaitement à l'usage auquel ils sont destinés. " Selon l'article 1er du décret du 24 janvier 1995 relatif aux péages autoroutiers, les tarifs de ces péages sont définis chaque année par les sociétés concessionnaires, le cahier des charges de ces sociétés définit les règles de fixation de tarifs et les contrats de plan, qu'elles concluent pour une durée de cinq ans avec l'État, fixent les modalités d'évolution des tarifs de péage pendant la période considérée. Lorsqu'un contrat de plan n'a pas été signé, les tarifs sont fixés par arrêté conjoint du ministre chargé de l'économie et du ministre chargé de l'équipement et la majoration des tarifs ne peut être inférieure à 70 % de l'évolution des prix à la consommation.
4. La société APRR, sur laquelle ne repose pas exclusivement la charge de la preuve de l'absence de répercussion du surprix, a fourni après la remise du rapport d'expertise des précisions sur les modalités de fixation des tarifs autoroutiers. Il en résulte que lors de la conclusion d'un contrat de concession, le concessionnaire s'engage à construire l'ouvrage et à l'exploiter en contrepartie d'un tarif unitaire contraint dans son évolution (0,70 x inflation) qui intègre une hausse prévisionnelle du trafic sur la durée de la concession. Les hausses de coût d'exploitation survenant en cours de réalisation du contrat ne sont donc, en principe, pas directement répercutées sur les usagers. Toutefois, en cours de réalisation du contrat de concession, le concessionnaire peut être autorisé à appliquer des hausses tarifaires supérieures afin de financer des investissements supplémentaires qui ne figuraient pas dans le cahier des charges initial de la concession. Dans ce cadre, la société APRR a signé avec l'État un contrat de plan pour la période 1995-1999 qui prévoyait une hausse globale toutes autoroutes sur la période égale à 1,13 fois l'inflation pour les véhicules légers, prenant en considération les évolutions de trafic ainsi que des investissements à réaliser. Entre 2000 et 2003, aucun contrat de plan n'a été signé de sorte que l'évolution des tarifs des péages a été déterminée par arrêtés ministériels. Pour la période 2004-2008, un nouveau contrat de plan, dénommé contrat d'entreprise, a été signé prenant en compte de nouveaux investissements et les hausses tarifaires correspondantes.
5. Au vu de ces documents, et bien que le modèle économique mis en place entre l'État et les sociétés autoroutières leur soit très favorable, ainsi que l'a noté l'autorité de la concurrence dans son avis n° 14-A-13 du 17 septembre 2014 sur le secteur des autoroutes après la privatisation des sociétés concessionnaires, il n'apparait pas que les dépenses de renouvellement de signalisation routière verticale portant sur des portions de voies existantes, contrairement à d'autres investissements portant sur les ouvrages existants, seraient prises en compte dans la détermination des hausses tarifaires.
6. En revanche, ainsi que l'indique la société APRR elle-même, les dépenses de signalisation routière verticale se rapportant à de nouveaux aménagements sont prises en compte dans la détermination des hausses tarifaires au-delà de la hausse minimale de 0,70 fois l'inflation. Si les négociations tarifaires se font sur la base de pré-projets chiffrés, en fonction de ratios utilisés dans le secteur, dans lesquels la part des panneaux de signalisation est minime, et avec des marges d'erreur, il n'en demeure pas moins que, compte tenu de la durée de l'entente et des surprix significatifs qu'elle a engendrés, il y a lieu de considérer que les nouvelles pratiques de prix des sociétés membres de l'entente ont été prises en compte dans la détermination des hausses tarifaires, et ce, quelle que soit la période concernée. Par suite, le surcoût portant sur ces investissements a été entièrement répercuté sur les usagers.
7. Il résulte des informations transmises par la société APRR et non contestées que le contrat n° 1980048 correspond à de nouveaux investissements pour lequel le surprix a été, compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, entièrement répercuté sur les usagers. Il en résulte, quel que soit le montant du surprix brut, un surprix net nul.
8. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens soulevés par les parties, la société APRR n'est pas fondée à demander la condamnation de la société Lacroix City-Saint Herblain, venue aux droits de la société Lacroix Signalisation, à l'indemniser du surcoût induit par l'entente.
Sur les dépens et les frais exposés en appel et non compris dans les dépens :
9. Il y a lieu, compte tenu des circonstances particulières de l'affaire, de mettre à la charge de la société Lacroix City Saint-Herblain les frais de l'expertise réalisée par M. A... devant le tribunal, taxés et liquidés à la somme de 23 638 euros, ainsi que les frais de l'expertise réalisée par MM. Etievent et B..., taxés et liquidés par ordonnance du président de la cour du 10 juin 2022 à la somme totale de 29 485,74 euros.
10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1 : Les frais des expertises, taxés et liquidés aux sommes respectives de 23 638 euros et 29 485,74 euros, sont mis à la charge de la société Lacroix City Saint-Herblain.
Article 2 : Les conclusions des parties sont rejetées pour le surplus.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société APRR et à la société Lacroix City Saint-Herblain.
Délibéré après l'audience du 30 juin 2020, à laquelle siégeaient :
Mme Michel, présidente,
Mme Duguit-Larcher, première conseillère,
M. Rivière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juillet 2022.
La rapporteure,
A. D...La présidente,
C. Michel
Le greffier,
J. Billot
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier,
2
Nos 18LY03562 et 18LY03581