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21/07/2022 | FRANCE | N°18LY03519

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 21 juillet 2022, 18LY03519


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) a demandé au tribunal administratif de Dijon, à titre principal, d'annuler les marchés publics de signalisation routière verticale conclus avec la société Franche-Comté Signaux entre 1998 et 2005 et de condamner cette dernière à lui rembourser la somme à parfaire de 15 735 206,21 euros, augmentée des intérêts et de leur capitalisation, à titre subsidiaire, de condamner cette même société à lui verser la somme à parfaire de 3 303 512,96 euros, aug

mentée des intérêts et de leur capitalisation, en réparation du préjudice économique...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) a demandé au tribunal administratif de Dijon, à titre principal, d'annuler les marchés publics de signalisation routière verticale conclus avec la société Franche-Comté Signaux entre 1998 et 2005 et de condamner cette dernière à lui rembourser la somme à parfaire de 15 735 206,21 euros, augmentée des intérêts et de leur capitalisation, à titre subsidiaire, de condamner cette même société à lui verser la somme à parfaire de 3 303 512,96 euros, augmentée des intérêts et de leur capitalisation, en réparation du préjudice économique subi lors de la conclusion de ces marchés publics.

Par un jugement avant dire-droit n° 1301551 du 30 juillet 2015, le tribunal administratif de Dijon a ordonné une expertise.

Par un jugement n° 1301551 du 16 juillet 2018, ce même tribunal, après avoir rejeté les conclusions principales de la société APRR, a, d'une part, condamné la société Franche-Comté Signaux à lui verser la somme de 513 848 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2013 et de leur capitalisation à compter du 17 juin 2014 et, d'autre part, mis à la charge de la société Franche-Comté Signaux les sommes de 22 396 euros au titre des frais d'expertise et 1 500 euros au titre des frais du litige.

Procédure devant la cour

Par un arrêt n° 18LY03519, 18LY03569 du 3 décembre 2020 la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté les conclusions principales de la société APRR présentées sous le n° 18LY03569, et, avant de statuer sur le surplus des conclusions des sociétés APRR et Franche-Comté Signaux tendant à la réformation du jugement en tant qu'il a statué sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, après avoir rejeté les conclusions de la société APRR tendant à l'indemnisation de son préjudice financier, a ordonné une expertise à fin de déterminer le préjudice subi par la société APRR au titre de la conclusion de dix-sept marchés.

Par ordonnance du 10 décembre 2020, M. A... a été désigné en qualité d'expert.

Le rapport de l'expert a été enregistré le 9 septembre 2021 à la cour.

Par ordonnance du 10 juin 2022, le président de la cour a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expert à la somme de 35 512,03 euros.

Par des mémoires enregistrés le 28 janvier 2021, non communiqué, 15 octobre 2021 et le 30 mai 2022, sous les n° 18LY03519, 18LY03569, la société APRR, représentée par Me Sénac de Monsembernard, conclut au rejet des conclusions présentées par la société Franche-Comté Signaux et demande à la cour :

1°) de réformer le jugement et de condamner la société Franche-Comté Signaux à lui verser la somme à parfaire de 4 836 673,71 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;

2°) de mettre à la charge de la société Franche-Comté Signaux les frais de l'expertise ordonnée en appel ;

3°) de mettre à la charge de la société Franche-Comté Signaux une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le rapport d'expertise, qui se fonde sur des éléments qui n'ont pas pu être débattus et sur des données issues de contrats signés par la société Franche-Comté Signaux postérieurement à l'entente qui n'ont pas été communiqués et ne répond pas à de nombreuses objections, méconnaît le principe du contradictoire ;

- les deux méthodes utilisées par l'expert pour pondérer la méthode qui avait été retenue dans le rapport réalisé pour son compte par un cabinet d'expertise ne sont pas pertinentes ; la prise en considération des seules données propres à la société Franche-Comté Signaux fausse l'analyse ; il n'est pas exact, à partir des données du rapport réalisé pour son compte par un cabinet d'expertise, d'intégrer l'impact de l'évolution du coût des matières premières ;

- l'expert ne justifie pas l'existence de la répercussion du surcoût sur les usagers des autoroutes alors que le mode de détermination du tarif des péages exclut une telle répercussion ;

- la répercussion du surcoût sur les usagers comprend diverses erreurs ; le taux de surprix devrait être égal au surprix divisé par le montant du marché ; le montant du surcoût calculé pour une année ne peut être multiplié par le nombre d'années restant à courir avant la fin de l'entente ; contrairement à ce qu'a retenu l'expert, ses tarifs n'ont pas fait l'objet d'une hausse limitée à 0,70 fois l'inflation ;

- elle a droit à l'actualisation de son préjudice jusqu'à la date de lecture de l'arrêt de la cour ;

- il n'y a pas de raison d'écarter du préjudice indemnisable les surcoûts des marchés n°s 1990061 et 04 J 77 dont les données financières produites n'ont pas été contestées par la société Franche-Comté Signaux.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de la voirie routière ;

- le décret n° 95-81 du 24 janvier 1995 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties des jours des audiences des 19 mai et 30 juin 2022, les dossiers ayant été renvoyés à l'issue de la première audience, en vue de la production à la demande de la cour d'éléments complémentaires par la société APRR ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C... ;

- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;

- et les observations de Me Delannoy, pour la société APRR.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 16 juillet 2018, le tribunal administratif de Dijon, après avoir rejeté les conclusions présentées à titre principal par la société APRR tendant à l'annulation des marchés publics de signalisation routière verticale conclus avec la société Franche-Comté Signaux entre 1997 et 2004, a condamné la société Franche-Comté Signaux, sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, à verser à la société APRR la somme de 513 848 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2013 et de leur capitalisation à compter de l'année suivante, en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la participation de la société Franche-Comté Signaux à une entente dans le secteur de la signalisation routière, et a mis les frais d'expertise à la charge de la société Franche-Comté Signaux. Cette dernière a alors demandé à la cour, sous le n° 18LY03519, de réformer ce jugement en tant qu'il l'a condamnée et la société APRR a demandé à la cour, sous le n° 18LY03569, de réformer ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions principales et n'a pas entièrement fait droit à ses conclusions subsidiaires. Par un arrêt avant-dire droit du 3 décembre 2020, la cour a rejeté les conclusions principales présentées par la société APRR. Puis, statuant sur la responsabilité quasi-délictuelle de la société Franche-Comté Signaux, la cour a rejeté les conclusions de la société APRR se rapportant à l'indemnisation de son préjudice financier résultant du coût du financement pondéré du capital pour lequel elle demandait l'actualisation du montant du surprix. La cour a, pour le surplus, ordonné une expertise à fin de déterminer le préjudice subi par la société APRR au titre de la conclusion avec la société Franche-Comté Signaux de dix-sept marchés pendant la période d'entente. L'expert désigné par le président de la cour a déposé son rapport le 9 septembre 2021.

2. Pour déterminer, ainsi que lui a demandé la cour, le montant du préjudice subi par la société APRR au titre de la conclusion des dix-sept marchés passés avec la société Franche-Comté Signaux, désormais en liquidation et représentée par Me Guigon, en sa qualité de liquidateur judiciaire, qu'il a estimé à la somme de 887 922 euros, l'expert a établi le surprix brut lié aux pratiques anticoncurrentielles selon deux méthodes dont il a fait la moyenne. Il a après retranché la part de ce surprix qui a été répercutée sur les usagers des autoroutes au travers de l'augmentation des tarifs des péages (" passing on ") afin d'arrêter un surprix net. Alors que la cour avait déjà, dans l'arrêt avant-dire droit, rejeté les conclusions de la société APRR se rapportant à l'indemnisation de son préjudice financier résultant du coût du financement pondéré du capital pour lequel elle demandait l'actualisation du montant du surprix, il a ensuite calculé l'effort financier supplémentaire supporté par la société APRR pour payer ce surprix net et l'a intégré au préjudice. Puis il a réactualisé le montant des sommes ainsi déterminées à leur valeur à la fin de l'année 2006, date de fin de l'entente.

Sur la régularité des opérations de l'expertise ordonnée en appel :

3. Le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier.

4. Il ne résulte pas de l'instruction que les parties, qui ont participé à une réunion d'expertise et ont présenté différents dires devant l'expert désigné en appel, n'auraient pas été à même de débattre des choix arrêtés par l'expert quant aux méthodes à retenir pour calculer le préjudice de la société APRR. La circonstance que l'expert n'ait pas retenu les mêmes méthodes de détermination du préjudice pour chaque société ayant participé à l'entente n'est pas de nature à porter atteinte au principe du contradictoire.

5. La société APRR fait grief à l'expert désigné devant la cour de s'être fondé, pour déterminer les prix moyens post entente sur des contrats signés par Franche-Comté Signaux après l'entente avec des tiers. S'il résulte des mentions portées dans le rapport commandé par la société Franche-Comté Signaux et annexé au rapport de l'expert désigné devant le tribunal qu'il s'agit de contrats signés après l'entente entre la société APRR et la société Franche-Comté Signaux, la société Franche-Comté Signaux n'a pas produit de pièces permettant d'en justifier. Dans ces conditions, ces éléments de fait étant contestés par la société APRR et n'ayant pas été soumis au contradictoire, il y a lieu de les écarter.

6. L'article R. 621-7 du code de justice administrative dispose que : " Les observations faites par les parties, dans le cours des opérations, sont consignées dans le rapport ".

7. Il résulte de l'instruction que le pré-rapport d'expertise a été diffusé le 8 juillet 2021 à l'ensemble des parties. Le dire n° 3 de la société APRR produit après cette diffusion a été annexé au rapport définitif. Les dispositions de l'article R. 621-7 n'obligeaient pas l'expert à répondre à l'ensemble des observations de la société APRR.

Sur la détermination du surprix brut :

8. Si la société APRR n'a pas été en mesure de produire pour le marché n° 1990061 les documents contractuels demandés par l'expert désigné en appel et notamment le décompte général définitif, la fiche récapitulative détaillée produite par la société APRR, dont les données ne sont pas utilement contestées par la société Franche-Comté Signaux, suffit à déterminer la part du préjudice subi par la société APRR et lié à ce marché. De même, le marché n° 04 J 77, dont la contradiction entre le montant maximum de l'engagement et le montant figurant au décompte général définitif n'est qu'apparente, doit être pris en considération.

9. Pour déterminer le montant du surprix brut, l'expert s'est fondé sur trois méthodes dont il a fait la moyenne.

10. La première méthode utilisée par l'expert devant la cour se fonde sur les résultats d'un rapport réalisé par un cabinet d'expertise pour la société APRR et utilisé par l'expert nommé devant le tribunal. La société Franche-Comté Signaux, qui ne s'est pas prévalue après que l'expert nommé devant la cour a rendu son rapport de ce que certains éléments contenus dans le rapport de ce cabinet n'auraient toujours pas été portés à sa connaissance, ne conteste pas le recours par l'expert devant la cour, dans cette méthode, aux données de prix d'autres sociétés pour la période post entente. Ces éléments doivent donc être regardés comme des éléments de fait non contestés par les parties. Selon cette première méthode, qui rend compte du surprix moyen de l'ensemble des sociétés ayant participé à l'entente, les marchés sont, hors partie génie civil, affectés d'un surprix de 30 %.

11. Dans les deux autres méthodes, l'expert a recherché à déterminer l'écart de prix en se fondant sur les données propres à la société Franche-Comté Signaux en comparant les prix de quatre références phares vendues par cette société pendant l'entente à leur prix après la fin de l'entente, corrigé de l'effet matière première, c'est-à-dire de la baisse du coût des matériaux. Ces deux méthodes reposent sur des données pertinentes, à savoir les prix pratiqués par la société pendant l'entente et soit les prix pratiqués post entente par les membres de l'entente (2ème méthode), soit les prix pratiqués post entente par la société Franche-Comté Signaux dans ses différents contrats avec la société APRR (3ème méthode). Si l'expert n'a pas exposé étape par étape la façon dont il a déterminé l'effet matière première, qu'il n'a pas doublement pris en considération, il s'est explicitement référé aux conclusions sur ce point du rapport de l'expert désigné devant le tribunal et a expliqué les raisons pour lesquelles il a décidé de se fonder sur les mêmes données. Dans ces deux méthodes, les données utilisées sont en nombre suffisant pour être représentatives. La deuxième méthode conduit, comme la première dont elle vient conforter les résultats, à un surprix de 30,5%, sans qu'il y ait lieu, contrairement à ce qu'a fait l'expert, d'appliquer à ce surprix une marge d'erreur. La troisième méthode conduit, une fois les données fournies par la société Franche-Comté Signaux neutralisées pour les motifs exposés au point 5, à un surprix de l'ordre de 31 %.

12. Chacune de ces méthodes conduit à un surprix comparable, ce qui permet de les conforter. Il y a lieu de retenir un surprix brut de 30,5%, qui correspond au surprix de la deuxième méthode, telle que corrigée ci-dessus, qui repose sur les données propres à l'entreprise pendant la période d'entente, tout en les comparant avec les données de l'ensemble des acteurs de l'entente en période post entente.

13. Compte tenu de ces éléments, le surprix brut s'établit à 938 825 euros:

Sur la répercussion du surprix sur les usagers (passing on) et le surprix net en résultant :

14. L'article L. 122-4 du code de la voirie routière, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que la convention de concession et le cahier des charges : " peuvent autoriser le concessionnaire à percevoir des péages en vue d'assurer le remboursement des avances et des dépenses de toute nature faites par l'Etat et les collectivités ou établissements publics, l'exploitation et, éventuellement, l'entretien et l'extension de l'autoroute, la rémunération et l'amortissement des capitaux investis par le concessionnaire ". L'article 5 de la convention de concession autorise la société APRR à percevoir des péages. L'article 12 du cahier des charges prévoit que : " Tous les frais nécessaires à la construction, à l'entretien et à l'exploitation des autoroutes et ouvrages concédés, y compris les frais résultant de l'éclairage des barrières de péage et des accès, là où cela est nécessaire, seront à la charge de la société concessionnaire, sauf dispositions contraires résultant de l'application éventuelle des articles 1er, 4, 6 et 9.2. ". L'article 13.1 prévoit que : " Les ouvrages établis en vertu de la présente concession, y compris les équipements et installations d'exploitation et de sécurité, sont entretenus et maintenus en bon état et sont exploités à ses frais par la société concessionnaire ou, sous sa responsabilité, par les titulaires de contrats visés à l'article 30 du présent cahier des charges de façon à toujours convenir parfaitement à l'usage auquel ils sont destinés. ". En vertu de l'article 1er du décret du 24 janvier 1995 relatif aux péages autoroutiers, les tarifs de ces péages sont fixés chaque année par les sociétés concessionnaires, le cahier des charges de ces sociétés concessionnaires définit les règles de fixation des tarifs et les contrats de plan, qu'elles concluent pour une durée de cinq ans avec l'État, fixent les modalités d'évolution des tarifs de péage pendant la période considérée. Lorsqu'un contrat de plan n'a pas été signé, les tarifs sont fixés par arrêté conjoint du ministre chargé de l'économie et du ministre chargé de l'équipement et la majoration des tarifs ne peut être inférieure à 70 % de l'évolution des prix à la consommation.

15. La société APRR, sur laquelle ne repose pas exclusivement la charge de la preuve de l'absence de répercussion du surprix, a fourni après la remise du rapport d'expertise des précisions sur les modalités de fixation des tarifs autoroutiers. Il en résulte que lors de la conclusion d'un contrat de concession, le concessionnaire s'engage à construire l'ouvrage et à l'exploiter en contrepartie d'un tarif unitaire contraint dans son évolution (0,70 x inflation) qui intègre une hausse prévisionnelle du trafic sur la durée de la concession. Les hausses de coût d'exploitation survenant en cours de réalisation du contrat ne sont donc, en principe, pas directement répercutées sur les usagers. Toutefois, en cours de réalisation du contrat de concession, le concessionnaire peut être autorisé à appliquer des hausses tarifaires supérieures afin de financer des investissements supplémentaires qui ne figuraient pas dans le cahier des charges initial de la concession. Dans ce cadre, la société APRR a signé avec l'État un contrat de plan pour la période 1995-1999 qui prévoyait une hausse globale toutes autoroutes sur la période égale à 1,13 fois l'inflation pour les véhicules légers, compte tenu des évolutions de trafic ainsi que des investissements à réaliser. Entre 2000 et 2003, aucun contrat de plan n'a été signé de sorte que l'évolution des tarifs des péages a été déterminée par arrêtés ministériels. Pour la période 2004-2008, un nouveau contrat de plan, dénommé contrat d'entreprise, a été signé prenant en compte de nouveaux investissements et les hausses tarifaires correspondantes.

16. Au vu de ces documents, et bien que le modèle économique mis en place entre l'État et les sociétés autoroutières leur soit très favorable, ainsi que l'a noté l'autorité de la concurrence dans son avis n° 14-A-13 du 17 septembre 2014 sur le secteur des autoroutes après la privatisation des sociétés concessionnaires, il n'apparaît pas que les dépenses de renouvellement de signalisation routière verticale portant sur des portions de voies existantes, contrairement à d'autres investissements portant sur les ouvrages existants, seraient prises en compte dans la détermination des hausses tarifaires.

17. En revanche, ainsi que l'indique la société APRR elle-même, les dépenses de signalisation routière verticale se rapportant à de nouveaux aménagements sont prises en compte dans la détermination des hausses tarifaires au-delà de la hausse minimale de 0,70 fois l'inflation. Si les négociations tarifaires se font sur la base de pré-projets chiffrés, en fonction de ratios utilisés dans le secteur, dans lesquels la part des panneaux de signalisation est minime et avec des marges d'erreur, il n'en demeure pas moins que, compte tenu de la durée de l'entente, et des surprix significatifs qu'elle a engendrés, il y a lieu de considérer que les nouvelles pratiques de prix des sociétés membres de l'entente ont été prises en compte dans la détermination des hausses tarifaires, et ce, quelle que soit la période concernée. Par suite, le surcoût portant sur ces investissements a été entièrement répercuté sur les usagers.

18. Il résulte des informations transmises par la société APRR et non contestées que les contrats n° 190802107, 00E37, 00J57, 00L75, 00K04, 01E54, 2020119, 2020020, 02L50, 02C18, 03J56, 03N20, 04J77 et 04L54 sont relatifs à des dépenses ne figurant pas dans les contrats de plan. Il en va de même du contrat 01J57 relatif à la mise en conformité de bornes kilométriques. Pour ces contrats, la société APRR n'a pas pu répercuter le surprix lié à l'entente sur les usagers. En revanche, les contrats n° 1990061 et 2000001 correspondent à de nouveaux investissements pour lesquels le surprix a été, compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, entièrement répercuté sur les usagers. Il en résulte un surprix net de 813 263 euros (938 825 -90 235 -35 327).

19. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de porter la somme de 513 848 euros que la société Franche-Comté Signaux a été condamnée à verser à la société APRR par le jugement attaqué à 813 263 euros et de réformer en ce sens le jugement.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

20. La société APRR a droit aux intérêts sur la somme de 813 263 euros à compter du 17 juin 2013, date d'enregistrement de sa requête au tribunal administratif de Dijon.

21. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 17 juin 2013. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 17 juin 2014, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les dépens et les frais exposés en appel et non compris dans les dépens :

22. Il y a lieu de laisser à la charge de la société Franche-Comté Signaux les frais de l'expertise ordonnée devant le tribunal administratif et de mettre les frais de l'expertise réalisée par M. A..., taxés et liquidés par ordonnance du 10 juin 2022 à la somme de 35 512,03 euros, à la charge de la société Franche-Comté Signaux.

23. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre la somme de 2 000 euros à la charge de la société Franche-Comté Signaux à verser à la société APRR au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En vertu de ces mêmes dispositions, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par la société Franche-Comté Signaux doivent dès lors être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 513 848 euros que la société Franche-Comté Signaux a été condamnée à verser à la société APRR par le jugement du tribunal administratif de Dijon du 16 juillet 2018 est portée à 813 263 euros. cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2013. Les intérêts échus le 17 juin 2014 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Dijon est annulé.

Article 3 : Les frais de l'expertise ordonnée devant la cour, taxés et liquidés à la somme de 35 512,03 euros, sont mis à la charge de la société Franche-Comté Signaux.

Article 4 : La société Franche-Comté Signaux versera une somme de 2 000 euros à la société APRR au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société APRR, à la société Franche-Comté Signaux et à la société AJ Partenaires et à Me Guigon, en leurs qualités d'administrateur et mandataire judiciaires de la société Franche-Comté Signaux.

Délibéré après l'audience du 30 juin 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Michel, présidente,

Mme Duguit-Larcher, première conseillère,

M. Rivière, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juillet 2022.

La rapporteure,

A. C...La présidente,

C. Michel

Le greffier,

J. Billot

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Le greffier,

2

Nos 18LY03519 et 18LY03569


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY03519
Date de la décision : 21/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Commerce - industrie - intervention économique de la puissance publique - Défense de la concurrence - Pratiques anticoncurrentielles.

Marchés et contrats administratifs - Notion de contrat administratif - Diverses sortes de contrats.


Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: Mme Sophie LESIEUX
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : SELARL Jean Philippe DEVEVEY

Origine de la décision
Date de l'import : 02/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-07-21;18ly03519 ?
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