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13/07/2022 | FRANCE | N°21LY00568

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 13 juillet 2022, 21LY00568


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon :

1°) d'annuler l'arrêté du 18 septembre 2020 par lequel la préfète de l'Ain a refusé de l'admettre au séjour, a assorti ce refus de l'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;

2°) d'enjoindre à la préfète de l'Ain :

- à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " ou " vie privée et familiale " dans le délai de trente

jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon :

1°) d'annuler l'arrêté du 18 septembre 2020 par lequel la préfète de l'Ain a refusé de l'admettre au séjour, a assorti ce refus de l'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;

2°) d'enjoindre à la préfète de l'Ain :

- à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " ou " vie privée et familiale " dans le délai de trente jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

- à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir en lui délivrant dans l'attente une autorisation provisoire de séjour dans le délai de deux jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2007586 du 12 février 2021, le tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté du 18 septembre 2020 de la préfète de l'Ain.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 22 février 2021, la préfète de l'Ain demande à la cour d'annuler ce jugement du 12 février 2021 du tribunal administratif de Lyon et de rejeter la requête de M. B....

La préfète de l'Ain soutient :

- qu'elle n'était pas tenue, contrairement à ce qu'a relevé le tribunal administratif, d'examiner la demande qui lui était soumise sur d'autres fondements que ceux invoqués ;

- le moyen tiré de la violation de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est inopérant ;

- les moyens présentés en première instance par M. B... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 mars 2022, M. B... représenté par Me Gillioen conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. B... fait valoir que les moyens présentés par la préfète de l'Ain ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Fédi, président-assesseur,

- et les observations de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant tunisien né le 16 août 2002, est entré en France en juin 2018 muni d'un visa de court séjour. Par une ordonnance du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, il a fait l'objet d'un placement provisoire auprès de l'aide sociale à l'enfance en raison de son isolement en France. L'intéressé a sollicité, le 15 juin 2020, la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par un arrêté en date du 18 septembre 2020, la préfète de l'Ain a refusé de l'admettre au séjour, a assorti ce refus de l'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi de cette mesure d'éloignement. La préfète de l'Ain relève appel du jugement du tribunal administratif de Lyon du 12 février 2021 qui a annulé son arrêté.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. L'article 7 ter de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 prévoit que : " ... b) Les ressortissants tunisiens âgés de seize à dix-huit ans qui déclarent vouloir exercer une activité professionnelle salariée reçoivent, de plein droit, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention " vie privée et familiale " ou un titre de séjour d'une durée de dix ans, s'ils remplissent les conditions prévues aux articles 7 bis ou 10 du présent accord. Ils peuvent, dans les autres cas, solliciter un titre de séjour valable un an... ". L'article 7 quater de cet accord prévoit que : " Sans préjudice des dispositions du b et du d de l'article 7 ter, les ressortissants tunisiens bénéficient, dans les conditions prévues par la législation française, de la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale". " L'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. (...) ".

3. Lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition de ce code, même s'il lui est toujours loisible de le faire à titre gracieux, notamment en vue de régulariser la situation de l'intéressé.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a déposé une demande de titre de séjour " vie privée et familiale " sur le seul fondement des stipulations des articles 7 ter et 7 quater de l'accord franco-tunisien. La préfète de l'Ain n'était donc pas tenue d'examiner sa demande sur un fondement autre que celui invoqué par l'intéressé. Alors que le refus de séjour qui lui a été opposé ne concerne pas l'application de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatif au titre " salarié " ou " travailleur temporaire ", M. B... ne peut utilement se prévaloir d'une part, de la circulaire interministérielle du 25 janvier 2016 fixant la liste des documents à produire par un jeune majeur ayant été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance entre 16 et 18 ans, d'autre part, de la circonstance qu'il a joint à sa demande de titre de séjour le formulaire CERFA pour un poste d'apprenti boucher, le bulletin du premier semestre Lycée Rabelais, l'ordonnance de placement provisoire du TGI de Bourg-en-Bresse, l'attestation d'accueil Maison d'enfants à caractère social, son rapport d'évolution et son contrat d'apprentissage. Il résulte de ce qui précède que la préfète de l'Ain est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a, pour annuler l'arrêté du 18 septembre 2020, retenu le moyen tiré de l'erreur de droit.

5. Il appartient toutefois à la cour administrative d'appel saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B..., tant devant le tribunal administratif que devant la cour.

En ce qui concerne la légalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :

6. L'arrêté critiqué énonce les éléments de droit et de fait sur lesquels il est fondé. Par suite le moyen tiré d'une insuffisante motivation et d'un défaut d'examen de la situation de M. B... ne peut être accueilli, sans qu'il soit besoin d'ailleurs de viser les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans l'arrêté litigieux. La préfète de l'Ain n'était d'ailleurs pas tenue de préciser, de manière exhaustive, l'ensemble de la situation de M. B.... La circonstance que l'arrêté indique que M. B... serait entré en France à l'âge de seize ans, alors qu'il n'avait que quinze ans et dix mois, n'est pas de nature, à elle seule, à démontrer qu'il serait entaché d'erreur de fait.

7. Aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue au 1° de l'article L. 313-10 portant la mention "salarié" ou la mention "travailleur temporaire" peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 311-7 n'est pas exigé. ". La demande de titre de séjour n'ayant pas été présentée sur le fondement de ces dispositions, les moyens, tirés de ce que la décision serait entachée d'un vice de procédure, en tant qu'il appartenait au préfet de solliciter un avis auprès de la structure d'accueil, que la décision méconnaît les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de ces dispositions, sont inopérants.

8. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour en France des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : [...] 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. Si M. B... se prévaut d'une volonté d'intégration dans la société française, toutefois, l'intéressé ne séjourne en France que depuis deux ans à la date de la décision attaquée. S'il a commencé à préparer, le 1er septembre 2019, un CAP " boucherie " dans le cadre d'un contrat d'apprentissage, il indique lui-même qu'il rencontre des difficultés en langue française, qui expliquent les résultats faibles qu'il a obtenus dans le cadre de sa scolarité. En outre, M. B... n'allègue pas avoir rompu les liens avec les membres de sa famille demeurés en Tunisie, ni être dans l'impossibilité d'y poursuivre sa formation ou même de pouvoir y reprendre une vie privée et familiale normale. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, la décision de refus de séjour en litige n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Elle n'a ainsi pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La préfète de l'Ain n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

En ce qui concerne la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

10. Il résulte de l'examen de la légalité du refus de titre de séjour qui lui a été opposé, que M. B... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de cette décision à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français.

11. Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points précédents, la décision obligeant M. B... à quitter le territoire français n'a pas été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle n'est pas davantage entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

En ce qui concerne la légalité de la décision fixant un délai de départ de trente jours :

12. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant un délai de départ de trente jours.

13. M. B..., pour contester cette décision, se borne à invoquer la circonstance qu'elle ferait obstacle à ce qu'il termine sa formation professionnelle et obtienne le diplôme alors même qu'il poursuit sa formation depuis le 1er septembre 2019, toutefois il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision fixant le délai de départ de trente jours serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur la situation personnelle de M. B....

En ce qui concerne la légalité de la décision fixant le pays de destination :

14. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination.

15. Il résulte de ce qui précède que la préfète de l'Ain est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé son arrêté du 18 septembre 2020.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par M. B....

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2007586 du tribunal administratif de Lyon du 12 février 2021 est annulé.

Article 2 : La demande de première instance présentée par M. B..., ainsi que ses conclusions présentées en appel, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète de l'Ain.

Délibéré après l'audience du 28 juin 2022, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

M. Gilles Fédi, président-assesseur,

Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2022

Le rapporteur,

Gilles FédiLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY00568


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY00568
Date de la décision : 13/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: M. Gilles FEDI
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : GILLIOEN

Origine de la décision
Date de l'import : 26/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-07-13;21ly00568 ?
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