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06/07/2022 | FRANCE | N°21LY02305

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre, 06 juillet 2022, 21LY02305


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

A... B... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 28 décembre 2020 par lequel le préfet du Rhône l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de quatre-vingt-dix jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2100325 du 31 mars 2021, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée, le 7 juillet 2021, A... C..., représentée par Me Petit, de

mande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Rhône ;

3°) d'...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

A... B... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 28 décembre 2020 par lequel le préfet du Rhône l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de quatre-vingt-dix jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2100325 du 31 mars 2021, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée, le 7 juillet 2021, A... C..., représentée par Me Petit, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Rhône ;

3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour avec droit au travail jusqu'au réexamen de sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, à verser à son conseil, une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- elle n'a pas été mise à même de faire valoir, préalablement à l'édiction de la mesure d'éloignement, les éléments tenant à son état de santé ;

- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle méconnait l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le délai de départ volontaire est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation et d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît le principe général du droit de la défense et du droit d'être entendu ;

- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été communiquée au préfet du Rhône qui n'a pas produit d'observations.

A... C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision 2 juin 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le Traité sur l'Union européenne ;

- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de A... Lesieux, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. A... C..., ressortissante angolaise née en 1970, est entrée en France le 30 décembre 2017 selon ses déclarations, accompagnée de deux de ses enfants nés en 2005 et 2008. Sa demande d'asile a été rejetée en dernier lieu par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 27 novembre 2020. En conséquence, le préfet du Rhône a, par un arrêté du 28 décembre 2020 pris sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, obligé A... C... à quitter le territoire français dans le délai de quatre-vingt-dix jours et a fixé le pays de destination. L'intéressée relève appel du jugement du 31 mars 2021 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, pour prendre la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige, le préfet du Rhône a cité les dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il entendait faire application, ainsi que les éléments factuels sur lesquels il s'est fondé, en particulier la circonstance que la CNDA a rejeté la demande d'asile de A... C... le 27 novembre 2020. Ce faisant, il a suffisamment motivé sa décision au regard des exigences des dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur.

3. En deuxième lieu, la circonstance que le préfet du Rhône ne fait pas état dans la décision contestée de ce que A... C... a engagé des démarches en vue d'obtenir un titre de séjour sur un autre fondement, ne révèle pas qu'il n'aurait pas procédé, préalablement à l'édiction de la mesure en litige, à un examen particulier de la situation de l'intéressée compte tenu des éléments portés à sa connaissance.

4. En troisième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union ". Aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 51 de la Charte : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. (...) ".

5. Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

6. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français non prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.

7. Une violation des droits de la défense, en particulier du droit d'être entendu, n'entraîne l'annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l'absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent.

8. Il ne ressort pas des pièces du dossier que A... C..., dont la demande d'asile a été présentée antérieurement à l'entrée en vigueur des dispositions de l'article L. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile issues de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018, aurait été, à un moment de la procédure, informée de ce qu'elle était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ou mise à même de présenter des observations. Il ressort d'ailleurs des pièces du dossier que préalablement à l'édiction de la décision litigieuse, A... C... avait obtenu un rendez-vous en préfecture le 20 avril 2020 en vue de déposer une demande de titre de séjour. Ce rendez-vous ayant été annulé en raison des mesures de confinement général décidées sur le territoire national, elle a renouvelé sa demande le 24 décembre 2020, après que la CNDA a rejeté sa demande d'asile, en précisant le motif de sa demande pour raisons de santé. Sa demande de rendez-vous a été acceptée le 28 décembre 2020, jour même de l'édiction de la décision contestée portant obligation de quitter le territoire français sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, les deux certificats médicaux versés à l'instance, rédigés en septembre et décembre 2018, faisant état de ce que A... C... souffre d'une hépatite C chronique de génotype 4 et de complications des suites d'une opération chirurgicale et que son état de santé nécessite une prise en charge médicale spécifique " dans les mois à venir ", ne sont pas susceptibles, compte tenu de leur ancienneté, d'affecter le sens de la décision en litige. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que cette décision aurait été prise à l'issue d'une procédure irrégulière faute pour le préfet de l'avoir mise en mesure de présenter ses observations avant son édiction, doit être écarté.

9. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

10. A... C... fait valoir la scolarisation de ses enfants en France, la circonstance qu'elle a été contrainte de quitter son pays d'origine et qu'elle est dans l'impossibilité d'y reconstruire une vie privée et familiale normale ainsi que son état de santé. Il ressort toutefois des pièces du dossier que l'intéressée, entrée en France depuis moins de trois ans à la date de la décision contestée, à l'âge de 47 ans, ne fait état d'aucune intégration particulière sur le territoire national. Sa demande d'asile a été rejetée et elle n'établit qu'elle ne pourrait pas bénéficier d'une prise en charge de son état de santé, en dehors de la France et en particulier dans son pays d'origine ni que ses enfants ne pourraient pas y poursuivre leur scolarité. Ainsi, eu égard aux conditions d'entrée et de séjour en France de A... C..., la décision contestée ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Le préfet du Rhône n'a ainsi pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il n'a pas davantage méconnu l'intérêt supérieur de ses enfants mineurs tel que protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ni entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

Sur la décision fixant le délai de départ volontaire :

11. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas (...) ".

12. En premier lieu, il résulte de l'examen de la légalité de l'obligation de quitter le territoire français, que A... C... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de cette décision à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le délai de départ volontaire.

13. En deuxième lieu, il ne ressort pas des énonciations de l'arrêté en litige, qui mentionne la présence en France des deux enfants mineurs D... A... C... à ses côtés, ni des pièces du dossier que le préfet du Rhône n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation avant de fixer à quatre-vingt-dix jours le délai de départ volontaire " en raison de la situation actuelle de crise sanitaire ".

14. En dernier lieu, l'appelante fait valoir que ses enfants sont scolarisés en France en classe de 4ème et 6ème et que le délai de départ volontaire expirera en cours d'année scolaire. Toutefois, elle n'établit pas l'existence d'un obstacle à la poursuite de la scolarité de ses enfants, y compris en cours d'année scolaire, hors de France et en particulier dans leur pays d'origine. Ainsi en fixant à quatre-vingt-dix jours le délai à l'issue duquel l'obligation de quitter le territoire français pourra être exécutée d'office, le préfet du Rhône n'a pas méconnu l'intérêt supérieur de ses enfants mineurs tel que protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ni entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

Sur la décision fixant le pays de destination :

15. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que A... C... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination.

16. En deuxième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance du principe général du droit de la défense et du droit d'être entendu doit, en tout état de cause, être écarté pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 8 du présent arrêt.

17. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

18. En se bornant à renvoyer à son argumentation développée à l'appui de ses moyens tirés de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, A... C..., dont la demande d'asile a été rejetée, ne démontre pas qu'elle serait exposée à des risques actuels, personnels et réels en cas de retour dans son pays d'origine. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit donc être écarté.

19. Il résulte de tout ce qui précède que A... C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. En conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des frais du litige doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de A... C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à A... B... C... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Rhône.

Délibéré après l'audience du 16 juin 2022 à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président,

A... Evrard, présidente-assesseure,

A... Lesieux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 juillet 2022.

La rapporteure,

S. Lesieux Le président,

D. Pruvost

La greffière,

M.-T. Pillet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY02305


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY02305
Date de la décision : 06/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: Mme Sophie LESIEUX
Rapporteur public ?: Mme VINET
Avocat(s) : PETIT

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-07-06;21ly02305 ?
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