Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
L'EURL Toutoune a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015 et des majorations correspondantes.
Par un jugement n° 1805307 du 18 juin 2019, le tribunal administratif de Lyon a fait droit à sa demande.
Procédure initiale devant la Cour
Par une requête, enregistrée le 23 septembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de remettre à la charge de l'EURL Toutoune ces impositions et pénalités, à hauteur de la somme totale de 56 957 euros.
Il soutient que la société ne pouvait bénéficier du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge en application de l'article 268 du code général des impôts à raison de la cession de terrains à bâtir qu'elle avait acquis comme maison à usage d'habitation avec terrain d'assiette, dès lors que la mise en œuvre de ce régime, dérogatoire à la règle selon laquelle la taxe est calculée sur le prix total, suppose nécessairement que le bien revendu ait une qualification juridique identique au bien acquis, sans avoir fait l'objet de transformation ;
Par une ordonnance n° 19LY03613 du 22 janvier 2020, le premier vice-président de la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté la requête.
Procédure devant le Conseil d'État
Par une décision n° 439647 du 6 novembre 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par le ministre de l'action et des comptes publics, a annulé l'ordonnance du 22 janvier 2020 du premier vice-président de la cour administrative d'appel de Lyon et a renvoyé l'affaire devant la même cour.
Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'État
Par un mémoire, enregistré le 26 janvier 2021, l'EURL Toutoune, représentée par Me Decombe, demande à la cour :
1°) de confirmer le jugement du tribunal administratif de Lyon du 18 juin 2019 ;
2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015 et des majorations correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- la loi ne subordonne pas le bénéfice du régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge à une condition d'identité juridique entre le bien acquis et le bien revendu ;
- il y a lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision à rendre par la Cour de justice de l'Union européenne sur la question préjudicielle posée par le Conseil d'Etat dans sa décision n° 416727 du 25 juin 2020 ;
Par un mémoire, enregistré le 23 février 2021, le ministre de l'action et des comptes publics conclut aux mêmes fins que dans sa requête par les mêmes moyens.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Evrard, présidente-assesseure,
- et les conclusions de Mme Vinet, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. L'EURL Toutoune, qui exerce une activité de marchand de biens et de promotion immobilière, a acquis le 23 novembre 2011 auprès d'une société civile immobilière une maison et des dépendances ainsi que le terrain sur lequel ces bâtiments sont édifiés situés à Saint-Denis (Réunion), et a revendu cette parcelle comme terrain à bâtir par un acte du 13 mai 2015 après avoir obtenu le permis de démolir les bâtiments qui y sont implantés. La société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle un rappel de taxe sur la valeur ajoutée lui a été notifié au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015, selon la procédure contradictoire, procédant de la remise en cause du bénéfice du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge sous lequel elle avait placé l'opération de cession de la parcelle en cause comme terrain à bâtir. Par un jugement du 18 juin 2019, le tribunal administratif de Lyon a accordé à l'EURL Toutoune la décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé à la suite de ce contrôle. Par une ordonnance du 22 janvier 2020, le premier vice-président de la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics à l'encontre de ce jugement. Par une décision du 6 novembre 2020 n° 439647, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi en cassation contre cet arrêt par le ministre de l'action et des comptes publics, a annulé cette ordonnance et a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Lyon pour qu'elle y statue de nouveau.
2. Le I de l'article 257 du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige, issue de l'article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, prévoit que les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. En vertu du 2 du b de l'article 266 du même code, l'assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession.
3. L'article 392 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que : " Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ". L'article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions, prévoit, dans sa rédaction également issue de l'article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, que : " S'agissant de la livraison d'un terrain à bâtir (...), si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d'imposition est constituée par la différence entre : / 1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ; / 2° D'autre part, selon le cas : / - soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain(...) ; / - soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu'il a effectués. ".
4. Il résulte des dispositions précitées de l'article 268 du code général des impôts, lues à la lumière de celles de la directive dont elles ont pour objet d'assurer la transposition, que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elles prévoient s'appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s'appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti, notamment quand le bâtiment qui y était édifié a fait l'objet d'une démolition de la part de l'acheteur-revendeur ou quand le bien acquis a fait l'objet d'une division parcellaire en vue d'en céder séparément des parties ne constituant pas le terrain d'assiette du bâtiment.
5. Il résulte de l'instruction que l'ensemble immobilier, situé à Saint-Denis, que l'EURL Toutoune a acquis le 23 novembre 2011 était composé d'une construction à usage d'habitation, de dépendances et d'un terrain attenant. La société ne conteste pas que cet ensemble immobilier avait ainsi le caractère d'un terrain bâti et non celui d'un terrain à bâtir. Il est constant que le bien qu'elle a cédé le 13 mai 2015 constituait un terrain à bâtir. Il en résulte que, dès lors que la qualification de l'ensemble immobilier a été modifiée entre son acquisition et la revente du terrain qui en est issu, la condition d'identité juridique des terrains à laquelle renvoie l'article 268 du code général des impôts n'est pas satisfaite. Il s'ensuit que c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a considéré que l'EURL Toutoune pouvait prétendre au bénéfice du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge à raison de la vente de ce terrain à bâtir et qu'il a prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015 et des majorations correspondantes.
6. Aucun autre moyen n'ayant été invoqué devant le tribunal administratif de Lyon par l'EURL Toutoune à l'appui de sa demande, dont la cour se trouverait saisie par l'effet dévolutif de l'appel, le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué.
7. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a fait droit à la demande de l'EURL Toutoune, et à demander que les impositions et majorations soient remises à la charge de la société, à hauteur de la somme totale de 56 957 euros. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter les conclusions de l'EURL Toutoune tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1805307 du tribunal administratif de Lyon du 18 juin 2019 est annulé.
Article 2 : Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui ont été réclamés à l'EURL Toutoune au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015 et les majorations correspondantes, d'un montant de 56 957 euros, sont remis à sa charge.
Article 3 : La demande présentée par l'EURL Toutoune devant le tribunal administratif de Lyon ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à l'EURL Toutoune.
Délibéré après l'audience du 2 juin 2022, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
Mme Lesieux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juillet 2022.
La rapporteure,
A. Evrard
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 20LY03290