Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Gates Service Center a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler :
- d'une part, la décision du 21 juin 2019 par laquelle l'inspectrice du travail a refusé d'autoriser le licenciement pour motif économique de M. A... B..., ensemble la décision implicite de la ministre du travail portant rejet de son recours hiérarchique ;
- d'autre part, la décision du 23 avril 2020 de la ministre du travail, en ce qu'après avoir retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique et annulé la décision de l'inspectrice du travail du 21 juin 2019, elle a refusé, en son article 3, d'autoriser le licenciement de M. B....
Par un jugement nos 2001666, 2003954 du 25 mai 2021, le tribunal administratif de Lyon a :
- prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de la demande dirigée contre la décision de l'inspectrice du travail du 21 juin 2019 et la décision implicite de la ministre du travail portant rejet du recours hiérarchique formé à l'encontre de cette décision (article 1er) ;
- rejeté le surplus des conclusions des demandes de la société Gates Service Center (article 2).
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 23 juillet 2021, présentée pour la société Gates Service Center, il est demandé à la cour :
1°) d'annuler ce jugement nos 2001666, 2003954 du 25 mai 2021 du tribunal administratif de Lyon en ce qu'il a rejeté le surplus des conclusions de ses demandes ;
2°) d'annuler l'article 3 de la décision ministérielle du 23 avril 202 refusant d'autoriser le licenciement de M. B... ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que c'est à tort que tant la ministre que les premiers juges ont estimé que, dès lors que le passage au service d'un nouvel employeur nécessitait l'acceptation du salarié et que la procédure prévue par l'article L. 1222-6 du code du travail n'était pas applicable, le refus opposé par le salarié à la modification du lieu d'exécution de son contrat résultant du changement d'employeur ne pouvait constituer l'élément matériel de son licenciement pour motif économique, alors qu'il lui appartenait, dans un premier temps, de proposer une modification du lieu de travail du salarié, en vertu de l'article L. 1222-6 du code du travail avant, le cas échéant, de proposer un changement conventionnel d'employeur, et qu'en raison du refus par le salarié d'accepter cette modification contractuelle, aucune convention de transfert n'a été conclue.
Par un mémoire enregistré le 17 novembre 2021, présenté pour M. B..., il conclut à ce que des pièces produites par la requérante soient écartées des débats, au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Gates Service Center.
Il soutient que les documents produits en langue anglaise par la requérante ne peuvent qu'être écartés par la cour et que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés alors, en outre, que, contrairement à ce qu'avait cru devoir retenir la ministre du travail, aucun motif économique réel et sérieux n'est démontré dans le secteur d'activité pertinent, que la recherche de reclassement n'a pas été effectuée loyalement et de façon exhaustive et qu'il existait un motif d'intérêt général s'opposant au licenciement.
Par une ordonnance du 17 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 février 2022.
Un mémoire enregistré le 23 février 2022, présenté par la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Seillet, président assesseur ;
- et les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Gates Service Center, spécialisée dans la prestation logistique du marché de remplacement automobile, et qui appartient au groupe américain Gates Corporation, a sollicité auprès des services de l'inspection du travail l'autorisation de procéder au licenciement pour motif économique de M. B..., opérateur magasinier, qui exerce un mandat de membre du comité social et économique. Elle a formé un recours hiérarchique contre la décision du 21 juin 2019 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité territoriale du Rhône a refusé de lui accorder l'autorisation de licenciement demandée. Par une décision du 23 avril 2020 la ministre en charge du travail, après avoir retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique et annulé la décision de l'inspectrice du travail du 21 juin 2019, a refusé (article 3) d'autoriser le licenciement de ce salarié. La société Gates Service Center relève appel du jugement du 23 juillet 2021 du tribunal administratif de Lyon en tant qu'il a rejeté les conclusions de ses demandes dirigées contre l'article 3 de cette décision ministérielle du 23 avril 2020.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 1222-6 du code du travail : " Lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L. 1233-3, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception (...) " et aux termes du premier alinéa de l'article L. 1233-3 du même code : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant (...) d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ". Lorsque l'employeur sollicite une autorisation de licenciement pour motif économique fondée sur le refus du salarié d'accepter une modification de son contrat de travail, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cette modification était justifiée par un motif économique.
3. D'autre part, le changement d'employeur, qui constitue une novation du contrat de travail ne peut, sauf dispositions législatives contraires, notamment celles de l'article L. 1224-1 du code du travail, relatives au transfert d'un salarié compris dans un transfert partiel d'entreprise ou d'établissement, résulter que d'une acceptation expresse du salarié. Il en résulte que la procédure prévue par l'article L. 1222-6 du code du travail ne s'applique pas au cas de changement d'employeur.
4. Il ressort des pièces du dossier et, en particulier, de la lettre adressée par la société Gates Service Center, le 20 décembre 2018, à M. B..., qui l'informait de ce que " la cession du fonds de commerce implique le transfert de certains contrats de travail avec proposition de modification du lieu de travail au personnel concerné " et qui mentionnait, en particulier, que " A compter du 1er mars 2019, au plus tôt, du fait de la cession partielle des activités de Gates Service Center à Gates Distribution Center NV, votre contrat de travail sera transféré au profit de Gates Distribution Center, considérée alors, à compter de cette date, comme votre nouvel employeur " et que " le transfert du contrat de travail avec modification du lieu de travail constitue une modification du contrat de travail et des conditions d'emploi ", que, par cette lettre, la société requérante a demandé à ce salarié d'accepter une proposition de changement d'employeur, nonobstant la circonstance que ce changement emporterait également une modification de son lieu de travail. Il résulte de ce qui été dit au point 3 que la procédure prévue par les dispositions précitées de l'article L. 1222-6 du code du travail, lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail, ne s'applique pas au cas de changement d'employeur. Dès lors, en l'absence de proposition d'une modification d'un élément essentiel du contrat de travail de M. B... selon la procédure prévue par les dispositions de l'article L. 1222-6 du code du travail, la société Gates Service Center ne pouvait solliciter l'autorisation de licencier ce salarié pour motif économique fondée sur le refus du salarié d'accepter une modification de son contrat de travail, alors, au demeurant qu'elle aurait dû, en cas de transfert du salarié par application de l'article L. 1224-1 du même code, solliciter une autorisation préalable de l'inspecteur du travail, en vertu des dispositions de l'article L. 2414-1 de ce code. La ministre du travail a pu, par suite, légalement refuser l'autorisation sollicitée au motif que la société Gates Service Center ne pouvait se prévaloir du refus du salarié d'accepter une modification d'un élément essentiel de son contrat de travail.
5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'écarter des pièces des débats, la société Gates Service Centern'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté les conclusions de ses demandes dirigées contre la décision du 23 avril 2020 de la ministre en charge du travail, en tant qu'elle a refusé d'autoriser le licenciement pour motif économique de M. B....
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés à l'occasion du litige par la société Gates Service Center. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Gates Service Center une somme de 500 euros au titre des frais exposés par M. B....
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Gates Service Center est rejetée.
Article 2 : La société Gates Service Center versera la somme de 500 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Gates Service Center, à M. A... B... et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 9 juin 2022 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 juin 2022.
Le rapporteur,
Ph. SeilletLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 21LY02511
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