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30/06/2022 | FRANCE | N°21LY01915

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 30 juin 2022, 21LY01915


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 4 juin 2020 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, retirant le rejet implicite de recours hiérarchique dont elle était saisie, a annulé la décision du 10 septembre 2019 de l'inspectrice du travail et a autorisé son employeur, la société Auchan E-commerce France, à la licencier.

Par un jugement n° 2005068 du 13 avril 2021, le tribunal a fait droit à sa

demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire enregistrés le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 4 juin 2020 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, retirant le rejet implicite de recours hiérarchique dont elle était saisie, a annulé la décision du 10 septembre 2019 de l'inspectrice du travail et a autorisé son employeur, la société Auchan E-commerce France, à la licencier.

Par un jugement n° 2005068 du 13 avril 2021, le tribunal a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire enregistrés les 10 juin 2021 et 16 décembre 2021, la société Auchan E-commerce France, représentée par Me Larroque Daran, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de Mme A... ;

2°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la consultation des délégués du personnel n'était pas irrégulière, les mandats ayant été valablement prorogés ;

- les autres moyens invoqués par Mme A... ne sont pas fondés et doivent être rejetés par voie d'effet dévolutif.

Par des mémoires enregistrés les 26 novembre 2021 et 24 décembre 2021 (ce dernier non communiqué), Mme A..., représentée par Me Teyssier, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de l'État une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

Par des mémoires enregistrés les 10 décembre 2021 et 11 mai 2022 (ce dernier non communiqué), la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion s'en rapporte aux écritures qu'elle a présentées dans l'instance n° 21LY01944.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Djebiri, première conseillère ;

- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;

- et les observations de Me Guille pour la société Auchan E-commerce France, ainsi que celles de Me Barrier, substituant Me Teyssier, pour Mme A... ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Auchan E-commerce France a demandé l'autorisation de licencier pour inaptitude Mme A..., investie du mandat de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Par décision du 10 septembre 2019, l'inspectrice du travail a refusé de délivrer l'autorisation en raison de l'irrégularité de la consultation des délégués du personnel dont le mandat n'aurait pas été prorogé. Toutefois, par décision du 4 juin 2020, la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, retirant le rejet implicite du recours hiérarchique dont l'avait saisie l'employeur, a annulé la décision de l'inspectrice du travail et autorisé le licenciement de Mme A... pour inaptitude. La société Auchan E-commerce France relève appel du jugement du 13 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision ministérielle du 4 juin 2020.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 2411-5 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Le licenciement d'un délégué du personnel (...) ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail (...) ". Aux termes de l'article L. 1226-10 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque le salarié victime (...) d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 2314-6 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " L'élection des délégués du personnel et celle des représentants du personnel au comité d'entreprise ont lieu à la même date. Ces élections simultanées interviennent pour la première fois soit à l'occasion de la constitution du comité d'entreprise, soit à la date du renouvellement de l'institution. La durée du mandat des délégués du personnel est prorogée à due concurrence (...) ". Aux termes du II de l'article 9 de l'ordonnance du 22 septembre 2017 susvisée : " Le comité social et économique est mis en place au terme du mandat des délégués du personnel ou des membres élus du comité d'entreprise, de la délégation unique du personnel, de l'instance regroupée mise en place par accord du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, lors du renouvellement de l'une de ces institutions, et au plus tard le 31 décembre 2019 sous réserve des dispositions suivantes : (...) 3° Lorsque (...) les mandats des délégués du personnel (...) arrivent à échéance entre le 1er janvier et le 31 décembre 2018, leur durée peut être (...) prorogée au plus d'un an, soit par accord collectif, soit par décision de l'employeur, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ou, le cas échéant, de la délégation unique du personnel ou de l'instance regroupée. (...) ".

4. Les délégués du personnel consultés sur le projet de licenciement de Mme A... ayant été élus en 2013, leurs mandats auraient dû arriver à terme le 30 mai 2017, mais ont été prorogés de plein droit jusqu'au 20 octobre 2018 en application de l'article L. 2314-6 précité du code du travail. Les dispositions précitées de l'article 9 de l'ordonnance du 22 septembre 2017 ayant ouvert la faculté de proroger d'au plus un an les mandats qui, comme ceux des délégués du personnel de la société Auchan E-commerce France, arrivaient à échéance en 2018 soit par accord collectif, soit par décision de l'employeur après consultation du comité d'entreprise, il ressort des pièces du dossier que le 12 septembre 2018, le comité d'établissement d'Auchan Retail, consulté, a approuvé la décision de prorogation des mandats dont étaient investis les délégués du site de Mions, jusqu'au 31 mars 2019. La décision prise en ce sens, conformément à l'avis de l'organe consultatif, a été valablement matérialisée par la rédaction du procès-verbal relatant l'information donnée en ce sens, par et sous la responsabilité de l'employeur, aux représentants du personnel. Un accord collectif conclu le 12 novembre 2018, alors que le mandat des délégués du personnel avait été valablement prorogé, le 12 septembre 2018, a prorogé ces mandats jusqu'au 31 octobre 2019.

5. Il suit de là qu'aux 16 janvier et 29 mai 2019, dates de leur consultation, les délégués du personnel étaient régulièrement investis de leurs mandats et que le motif opposé par l'inspecteur du travail tiré de la caducité desdits mandats à l'appui de sa décision de refus du 10 septembre 2019 étaient entaché de méconnaissance des dispositions citées au point 3. La ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a, dès lors, à bon droit regardé cette décision comme entachée d'illégalité pour l'annuler et lui substituer une nouvelle décision. La société Auchan E-commerce France est fondée à soutenir que c'est à tort que, pour annuler la décision ministérielle du 4 juin 2020 autorisant le licenciement de Mme A... pour inaptitude, le tribunal s'est fondé sur l'irrégularité de la consultation des délégués du personnel les 16 janvier et 29 mai 2019 en raison de la caducité de leurs mandats.

6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par Mme A....

7. Mme B... avait compétence pour signer la décision en litige, en vertu d'une délégation du directeur général du travail consentie le 3 janvier 2020, publiée au Journal officiel du 5 janvier suivant. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire manque donc en fait.

8. Les modalités de notification d'une décision n'ont d'incidence que sur les délais de recours. Il suit de là que Mme A... ne peut utilement se prévaloir de l'absence de notification de la décision du 4 juin 2020 pour en démontrer l'illégalité.

9. La décision du 4 juin 2020, après avoir visé notamment l'article L. 2314-6 du code du travail et la décision de l'inspecteur du travail objet du recours hiérarchique, énonce le motif d'illégalité de cette décision et les motifs susceptibles de fonder l'autorisation de licenciement délivrée à l'employeur. Il suit de là que la décision en litige n'est pas entachée d'un défaut de motivation pour ne pas comporter le rappel des éléments caractérisant la situation de Mme A..., que celle-ci regarde comme lui étant favorables et sur lesquels la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social n'a pas cru devoir se fonder.

10. En vertu des dispositions des articles R. 2421-4 et R. 2421-11 du code du travail, l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé doit, quel que soit le motif de la demande, procéder à une enquête contradictoire. En revanche, aucune règle ni aucun principe ne fait obligation au ministre chargé du travail, saisi d'un recours hiérarchique sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du même code, de procéder à cette enquête si l'inspecteur du travail a lui-même respecté les obligations de l'enquête contradictoire. En l'espèce, Mme A... se borne à alléguer l'inexistence d'une enquête contradictoire, alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'une telle enquête a été conduite.

11. Aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut (...) retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ". Aux termes de l'article L. 110-1 du même code : " Sont considérées comme des demandes au sens du présent code les demandes et les réclamations, y compris les recours (...) hiérarchiques, adressés à l'administration ", tandis qu'aux termes de l'article R. 2422-1 du code du travail : " Le ministre chargé du travail peut annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur (...) / Ce recours est introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de l'inspecteur. / Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur ce recours vaut décision de rejet ".

12. En vertu de ces dispositions combinées, l'expiration du délai de quatre mois à l'issue duquel est intervenu le rejet implicite du recours hiérarchique de l'employeur, lui-même créateur de droits pour le salarié, ne fait pas obstacle à ce que le ministre, dans le délai de quatre mois qui suit la naissance de cette décision implicite, retire de sa propre initiative cette décision et la décision de l'inspecteur du travail, dès lors qu'elles sont l'une et l'autre entachées d'illégalité.

13. Il ressort des pièces du dossier qu'un rejet implicite du recours hiérarchique présenté, le 7 octobre 2019, par la société Auchan E-commerce France, est né le 8 février 2020. La décision de l'inspecteur étant illégale pour les motifs exposés aux points 4 et 5, le ministre pouvait retirer son rejet implicite et annuler la décision du 10 septembre 2019.

14. Si Mme A... soutient que son employeur a recherché un poste de reclassement sans tenir compte des restrictions médicales émises par le médecin du travail dans son avis du 1er mars 2018, elle n'appuie ses allégations d'aucun commencement de démonstration.

15. Si l'autorité administrative doit vérifier que l'inaptitude du salarié est réelle et justifie son licenciement, il ne lui appartient pas, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d'un harcèlement moral dont l'effet, selon les dispositions combinées des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 du code du travail, serait la nullité de la rupture du contrat de travail, la décision d'autorisation administrative de licenciement ne faisant pas obstacle à ce que la salariée, si elle s'y estime fondée, fasse valoir devant les juridictions compétentes les droits résultant de l'origine de l'inaptitude.

16. Toutefois, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Ainsi, alors même qu'il résulterait de l'examen conduit dans les conditions rappelées au point 15 que la salariée serait atteinte d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par celle-ci ou avec son appartenance syndicale fait légalement obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée.

17. Les allégations de la requérante selon lesquelles son employeur souhaitait se séparer d'elle en raison de la manière dont elle exerçait son mandat ne reposent sur aucun élément probant et sont même démenties par son incapacité à soulever des charges, motif étranger aux conséquences de conflits ou de tensions au travail. Dès lors, contrairement à ce que soutient Mme A..., la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a pu légalement se fonder, pour accorder à la société Auchan E-commerce France l'autorisation de la licencier, sur l'absence de lien avec l'exercice normal de ses fonctions représentatives.

18. Il résulte de ce qui précède que la société Auchan E-commerce France est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé la décision du 4 juin 2020 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, a autorisé le licenciement de Mme A.... Ledit jugement doit être annulé et la demande d'annulation présentée par Mme A... contre cette décision doit être rejetée.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

19. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire doit aux conclusions de la société Auchan E-commerce France dirigées contre Mme A.... Les conclusions présentées contre l'État par Mme A..., partie perdante, doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2005068 du 13 avril 2021 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : La demande présentée au tribunal par Mme A... tendant à l'annulation de la décision du 4 juin 2020 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion retirant sa décision implicite de rejet de recours hiérarchique, a annulé la décision du 10 septembre 2019 de l'inspectrice du travail et a autorisé le licenciement de l'intéressée, est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Auchan E-commerce France, au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, et à Mme D....

Délibéré après l'audience du 9 juin 2022 à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président de chambre ;

M. Seillet, président assesseur ;

Mme Djebiri, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 juin 2022.

La rapporteure,

C. DjebiriLe président,

Ph. Arbarétaz

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein l'emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

N° 21LY01915 2

ar


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY01915
Date de la décision : 30/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Christine DJEBIRI
Rapporteur public ?: M. CHASSAGNE
Avocat(s) : FACTORHY AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-06-30;21ly01915 ?
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