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18/05/2022 | FRANCE | N°20LY02130

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre, 18 mai 2022, 20LY02130


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de lui accorder, à concurrence de, respectivement, 219 162 euros au titre de l'année 2013 et de 379 595 euros au titre de l'année 2014, la restitution des cotisations d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre de ces deux années.

Par un jugement n° 1802470 du 11 juin 2020, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés respect

ivement les 2 août 2020 et 12 janvier 2021, M. C..., représenté par Me Storrar, demande à la c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de lui accorder, à concurrence de, respectivement, 219 162 euros au titre de l'année 2013 et de 379 595 euros au titre de l'année 2014, la restitution des cotisations d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre de ces deux années.

Par un jugement n° 1802470 du 11 juin 2020, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 2 août 2020 et 12 janvier 2021, M. C..., représenté par Me Storrar, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, de prononcer, à concurrence de, respectivement, 219 162 euros au titre de l'année 2013 et de 379 595 euros au titre de l'année 2014, la réduction de ces impositions et de lui accorder la restitution correspondante ;

3°) à titre subsidiaire, de prononcer, à concurrence de 80 % de l'indemnité transactionnelle perçue en 2013 et 2014 au titre de son licenciement, la réduction de ces impositions et de lui accorder la restitution correspondante ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. C... soutient que :

- son licenciement est fondé sur des motifs vagues et dépourvus d'objectivité ;

- son licenciement, qui est motivé par des griefs concernant l'exercice de son mandat social et non par des faits concernant l'exécution de son contrat de travail, est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- l'indemnité transactionnelle perçue est exonérée d'impôt sur le revenu, en totalité ou partiellement, en application du 1° du 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts.

Par un mémoire, enregistré le 15 décembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par l'appelant ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 24 septembre 2021 la clôture d'instruction a été fixée au 11 octobre 2021, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Caraes, première conseillère,

- les conclusions de Mme Vinet, rapporteure publique,

- et les observations de Me Storrar, représentant M. B... C... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., salarié depuis 1990 de la société SPIT SAS dont il est devenu président en 2001, a été licencié de son emploi, le 28 octobre 2013, après avoir démissionné de son mandat social le 14 octobre 2013. M. C... et la société SPIT SAS ont conclu un protocole transactionnel prévoyant le versement d'une indemnité conventionnelle de licenciement de 354 606 euros, d'une indemnité compensatrice de non-concurrence de 269 308 euros et d'une indemnité transactionnelle de 564 360 euros. L'intéressé a déclaré l'indemnité transactionnelle, versée en deux fois, dans les déclarations d'impôt sur le revenu qu'il a souscrites, à concurrence de 255 373 euros au titre de chacune des années 2013 et de 2014. Par une réclamation du 19 décembre 2016, complétée le 10 juillet 2017, il a sollicité la réduction, à concurrence des sommes déclarées au titre de l'indemnité transactionnelle, des cotisations primitives d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2013 et 2014. Il relève appel du jugement du 11 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande de restitution des impositions correspondantes.

2. M. C... fait valoir que l'indemnité transactionnelle ne constitue pas une rémunération imposable en application du 1° du 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts dès lors que le licenciement dont il a fait l'objet était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

3. Aux termes de l'article 80 duodecies du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige : " 1. Toute indemnité versée à l'occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable, sous réserve des dispositions suivantes. / Ne constituent pas une rémunération imposable : 1° Les indemnités mentionnées aux articles L. 1235-1, L. 1235-2, L. 1235-3 et L. 1235-11 à L. 1235-13 du code du travail (...) ". Aux termes de l'article L. 1232-1 du code du travail : " Tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre. /Il est justifié par une cause réelle et sérieuse. ". Aux termes de l'article L. 1235-3 code du travail dans sa rédaction applicable au litige : " Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. / Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9 ". Aux termes enfin de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales : " Lorsque, ayant donné son accord à la rectification ou s'étant abstenu de répondre dans le délai légal à la proposition de rectification, le contribuable présente cependant une réclamation faisant suite à une procédure contradictoire de rectification, il peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition, en démontrant son caractère exagéré. / Il en est de même lorsqu'une imposition a été établie d'après les bases indiquées dans la déclaration souscrite par un contribuable (...) ".

4. Pour déterminer si une indemnité versée en exécution d'une transaction conclue à l'occasion de la rupture d'un contrat de travail est imposable, il appartient à l'administration et, lorsqu'il est saisi, au juge de l'impôt, de rechercher la qualification à donner aux sommes qui font l'objet de la transaction. Ces dernières ne sont susceptibles d'être regardées comme une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mentionnée à l'article L. 1235-3 du code du travail, que s'il résulte de l'instruction que la rupture des relations de travail est assimilable à un tel licenciement. Dans ce cas, les indemnités accordées au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse sont exonérées. Il appartient à l'administration et, lorsqu'il est saisi, au juge de l'impôt, au vu de l'instruction, de rechercher la qualification à donner aux sommes objet de la transaction, en recherchant notamment si elles ont entendu couvrir, au-delà des indemnités accordées au titre du licenciement, la réparation de préjudices distincts, afin de déterminer dans quelle proportion ces sommes sont susceptibles d'être exonérées. La détermination par le juge de la nature des indemnités se faisant au vu de l'instruction, les dispositions de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales, citées au point 2, ne sont alors pas applicables au contribuable.

5. M. C... a été embauché le 2 septembre 1990 par la société SPIT SAS en qualité d'ingénieur responsable industrialisation division chevilles. Le 1er mars 1994, il a été promu au poste de directeur de la division chevilles puis, le 1er octobre 1998, au poste de directeur industriel de cette société. A partir du 6 octobre 1999, il a cumulé son emploi de directeur industriel avec un mandat de directeur général de cette société puis de président de la société à compter du 1er mai 2001. Le 1er décembre 2004, il a été nommé, en plus de ses fonctions salariées et de président de la société SPIT SAS, vice-président de la branche d'activité SPIT Paslode construction Europe. Le 1er juillet 2009, il a été nommé président de la branche d'activité européenne SPIT Paslode construction Europe et, dans ce cadre, a été mis à la disposition de la société Illinois Tool Work (ITW), société mère de la société SPIT SAS, par convention du 8 juin 2010, pour exercer ces fonctions salariées de président tout en conservant son mandat de président de la société SPIT SAS. Par lettre du 2 octobre 2013, la société ITW a mis fin à ses fonctions salariées de président de la branche d'activité européenne SPIT Paslode construction Europe à compter du 7 octobre 2013. Par lettre du 30 septembre 2013, le directeur général de la société SPIT SAS a informé M. C... qu'il reprendrait ses fonctions de directeur industriel de cette société à compter de la fin de la mise à disposition. Le 14 octobre 2013, M. C... a démissionné de son mandat de président de la société SPIT SAS. Convoqué à un entretien de licenciement, le 24 octobre 2013, il a été licencié par lettre du 28 octobre 2013. Un accord transactionnel a été conclu le 5 décembre 2013 avec la société SPIT SAS après qu'il a indiqué son intention de saisir le conseil des prud'hommes.

6. Il ressort de la lettre du 28 octobre 2013 du président de la société SPIT SAS versée à l'instance rappelant le parcours de M. C... au sein de la société SPIT SAS et sa promotion en 2019 en qualité de président de la branche d'activité européenne SPIT Paslode Construction Europe, que le licenciement de son emploi de directeur industriel est motivé par les " grandes divergences " apparues en juin 2013 avec son " supérieur hiérarchique au sujet de son rôle pour mener la mise en place de la stratégie de l'entreprise dans le contexte actuel " qui ont " impacté sévèrement la mise en place de la stratégie de l'entreprise et donc l'avenir de la société " et n'ont pu être résolues, par le " manque de confiance du nouveau président que vous devez supporter activement " et " l'évolution de l'activité ".

7. Si le président de la société SPIT SAS a invoqué, dans ce courrier, la perte de confiance, un tel motif ne peut pas constituer en tant que tel une cause de licenciement, même lorsqu'il repose sur des éléments objectifs, seuls ces éléments pouvant, le cas échéant, constituer une cause de licenciement.

8. Il résulte de l'instruction que le motif déterminant du licenciement de M. C... résulte des divergences stratégiques. En l'espèce, le président de la société SPIT SAS fait grief à M. C..., en des termes imprécis et généraux, de ce qu'il n'a pas complètement soutenu la réorganisation et le recentrage des forces de vente, de ce qu'il a été réticent à rassembler les responsabilités relatives aux opérations en une seule organisation au lieu de plusieurs comme dans le passé, de ce qu'il a été en désaccord avec les éléments de la stratégie de simplification des structures et de ce qu'il n'a pas partagé les choix de la direction sur la composition des équipes de recherche et de développement et la répartition des sites de production, que les divergences d'opinion sur la stratégie de l'entreprise imputées à l'intéressé ont été exprimées d'une façon telle qu'elles étaient, en soi, de nature à nuire à son bon fonctionnement. Le président de la société SPIT SAS reproche également à M. C... d'avoir persisté dans ses divergences d'opinion avec la direction de la société depuis la fin de sa mise à disposition, le 7 octobre 2013, et son retour sur le poste de directeur industriel sans assortir ce grief des précisions utiles permettant d'en apprécier l'exactitude et la consistance. Par suite, en l'absence de toute autre précision permettant de justifier l'exactitude des griefs reprochés, M. C... est fondé à soutenir que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

9. L'article 2 du protocole d'accord transactionnel stipule toutefois que " la société accepte de verser à M. C..., en réparation de la totalité des préjudices qu'il prétend avoir subi du fait de la rupture de son contrat de travail et de son mandat social, une indemnité transactionnelle d'un montant forfaitaire définitif de 564 360 euros ". Ainsi, l'indemnité transactionnelle forfaitaire prévue au bénéfice de M. C... a pour objet de réparer, outre le préjudice lié à la rupture du contrat de travail résultant de son licenciement, le préjudice lié à la cessation de ses fonctions de mandat de président de la société SPIT SAS. Or, les indemnités versées à l'occasion de la cessation de leurs fonctions aux mandataires et dirigeants sociaux, dirigeants et personnes visées à l'article 80 ter du code général des impôts, constituent, sauf lorsque la cessation est forcée - auquel cas elles sont exonérées dans la limite d'un plafond - des rémunérations imposables en totalité en vertu du 2 de l'article 80 duodecies du code. Par suite, l'indemnité transactionnelle ne peut relever du 1° du 1 de l'article 80 duodecies précité du code général des impôts et échapper à l'impôt que dans la limite de la part destinée à réparer les préjudices subis du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

10. En l'absence de précision dans le protocole quant à la ventilation de l'indemnité transactionnelle forfaitaire de 564 360 euros allouée à M. C... en réparation de préjudices tenant tant à la rupture du contrat de travail qu'à la cessation de son mandat social, la part de l'indemnité visant à réparer les préjudices résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse de l'intéressé, doit être fixée par référence aux rémunérations qu'il a perçues au sein du groupe auquel appartient la société SPIT SAS respectivement, soit en qualité de salarié, soit en qualité de mandataire social depuis son recrutement par cette société en 1990. Dans ces conditions, il y a lieu de retenir la clé de répartition proposée à titre subsidiaire, que ne conteste d'ailleurs pas l'administration et, de fixer à 20 % de l'indemnité de 564 360 euros la fraction imposable à l'impôt sur le revenu de cette somme.

11. Il résulte de ce qui précède que M. C... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la restitution des cotisations d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2013 et 2014 correspondant à 80 % de l'indemnité transactionnelle exonérée d'impôt.

Sur les frais liés au litige :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais d'instance exposés par M. C... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Les bases d'imposition à l'impôt sur le revenu de M. C... des années 2013 et 2014 sont réduites à concurrence d'un montant égal à 80 % des montants déclarés par l'intéressé chaque année au titre de l'indemnité transactionnelle.

Article 2 : M. C... est déchargé, à concurrence des réductions de bases d'imposition décidées à l'article 1er ci-dessus, des cotisations primitives d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2013 et 2014.

Article 3 : Le jugement du 11 juin 2020 du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 3 mars 2022 à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président,

Mme Evrard, présidente-assesseure,

Mme Caraës, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 mars 2022.

La rapporteure,

R. CaraësLe président,

D. Pruvost

La greffière,

M.-A.... Pillet

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 20LY02130


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY02130
Date de la décision : 18/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Fiscal

Analyses

19-04-01-02-03 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Règles générales. - Impôt sur le revenu. - Détermination du revenu imposable.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: Mme Rozenn CARAËS
Rapporteur public ?: Mme VINET
Avocat(s) : S.E.L.A.S. GRAHAM STORRAR AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 31/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-05-18;20ly02130 ?
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