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17/05/2022 | FRANCE | N°21LY03476

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre, 17 mai 2022, 21LY03476


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 17 août 2021 par lequel le préfet de la Haute-Savoie l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pendant la durée d'un an.

Par un jugement n° 2105852 du 6 octobre 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté du 17 août 2021

et a enjoint au préfet de la Haute-Savoie de réexaminer la situation de M. A... dans le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 17 août 2021 par lequel le préfet de la Haute-Savoie l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pendant la durée d'un an.

Par un jugement n° 2105852 du 6 octobre 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté du 17 août 2021 et a enjoint au préfet de la Haute-Savoie de réexaminer la situation de M. A... dans le délai d'un mois suivant la notification du jugement.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 29 octobre 2021, le préfet de la Haute-Savoie demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 6 octobre 2021 ;

2°) de rejeter les conclusions de la demande de M. A....

Il soutient que :

- en annulant l'obligation de quitter le territoire français pour méconnaissance de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les premiers juges ont fait droit à un moyen inopérant ;

- le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination méconnaissent l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est infondé.

Par un mémoire enregistré le 14 mars 2022, M. B... A..., représenté par Me Djinderedjian, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Haute-Savoie de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- c'est à bon droit que la première juge a annulé la décision portant obligation de quitter le territoire français au motif qu'elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît le 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

La clôture de l'instruction a été fixée au 28 mars 2022, par une ordonnance en date du 28 février 2022.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, par une décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 30 mars 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Besse, président-assesseur ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant guinéen né en 2000, déclare être entré irrégulièrement en France en 2019. Par une décision du 24 mars 2021, la Cour nationale du droit d'asile a rejeté son recours formé à l'encontre de la décision du 3 décembre 2020 par laquelle l'Office français pour la protection des réfugiés et des apatrides avait rejeté sa demande d'asile. Par une décision du 9 juin 2021, l'Office français pour la protection des réfugiés et des apatrides a déclaré irrecevable sa demande de réexamen de sa demande d'asile. Par un arrêté du 17 août 2021, le préfet de la Haute-Savoie lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Le préfet de la Haute-Savoie relève appel du jugement du 6 octobre 2021 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté et lui a fait injonction de réexaminer sa situation.

2. La décision portant obligation de quitter le territoire français ne fixant pas par elle-même le pays à destination duquel M. A... doit être éloigné, ce dernier ne peut utilement soutenir que cet arrêté méconnaît l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, en annulant pour ce motif la décision portant obligation de quitter le territoire français, le premier juge a fait droit à un moyen inopérant.

3. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par l'intimé, tant en première instance qu'en appel.

4. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

5. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français, l'intimé résidait depuis moins de trois années en France, pays dans lequel il est dépourvu d'attaches familiales et où il ne fait pas état d'attaches amicales particulières. Dans ces conditions, et alors même qu'il soutient avoir quitté son pays en 2014, la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. "

7. M. A... fait valoir qu'il souffrait à la date de l'arrêté en litige d'une ectopie testiculaire gauche, pour laquelle il a subi une intervention chirurgicale en septembre 2021, peu après l'arrêté en litige. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que le défaut de prise en charge de cette pathologie est susceptible d'entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ni qu'il ne peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié en Guinée. Par suite, la décision portant obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " [...] Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

9. M. A... soutient que son père était militant du parti politique d'opposition Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG), qu'il a participé en 2012 et 2013 avec ce dernier à des manifestations lors desquelles il a été arrêté, qu'il a subi des actes de torture pendant son incarcération, qu'il n'est sorti de prison qu'après avoir soudoyé un agent pénitentiaire et qu'il a alors fui son pays, en 2014. Il indique par ailleurs être sans nouvelle de son père et être toujours recherché par les autorités guinéennes. Toutefois, l'intéressé, dont la demande de réexamen de sa demande d'asile a d'ailleurs fait l'objet d'un rejet par décision du 10 novembre 2021 de la Cour nationale du droit d'asile, ne produit aucun élément probant à l'appui de ses déclarations, par ailleurs peu précises. Par suite, la décision fixant le pays de destination ne méconnaît pas les dispositions et stipulations citées au point précédent.

10. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet de la Haute-Savoie a mentionné les textes dont il a fait application et estimé qu'au regard de la situation familiale de M. A..., une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an était justifiée. Il a ainsi suffisamment motivé sa décision d'interdiction de retour.

11. Enfin, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français.

Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. " Aux termes de l'article L. 612-10 de ce même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

12. Il ressort des pièces du dossier qu'ainsi qu'il a été dit au point 5, l'intimé est dépourvu d'attaches familiales en France, où il est arrivé récemment. Dans ces conditions, et alors même que la présence en France de l'intéressé ne représente pas une menace pour l'ordre public et qu'il n'avait pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, le préfet de la Haute-Savoie a pu, sans entacher son arrêté d'une erreur d'appréciation, lui faire interdiction de retourner sur le territoire français pendant une durée d'un an.

13. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 17 août 2021.

14. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 août 2021, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées.

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante, la somme demandée par M. A... au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2105852 du 6 octobre 2021 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : Les conclusions de la demande de M. A... et ses conclusions d'appel sont rejetées

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.

Délibéré après l'audience du 26 avril 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Danièle Déal, présidente de chambre,

M. Thierry Besse, président-assesseur,

M. François Bodin-Hullin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 mai 2022.

Le rapporteur,

Thierry Besse

La présidente,

Danièle Déal

La greffière,

Fabienne Prouteau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY03476


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme DEAL
Rapporteur ?: M. Thierry BESSE
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : DJINDEREDJIAN

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre
Date de la décision : 17/05/2022
Date de l'import : 07/06/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 21LY03476
Numéro NOR : CETATEXT000045853643 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-05-17;21ly03476 ?
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