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19/04/2022 | FRANCE | N°19LY04523

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 19 avril 2022, 19LY04523


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... a demandé au tribunal administratif de Dijon :

1°) d'annuler la décision du 15 octobre 2018 par laquelle le directeur de l'EHPAD de Laignes a rejeté sa demande de protection fonctionnelle et sa demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de son congé de maladie débuté le 27 juillet 2018 ;

2°) d'enjoindre au directeur de l'EHPAD de Laignes de faire droit à ses demandes ou, à défaut, de procéder à un réexamen de sa situation, dans le délai d'un mois à compter de la no

tification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

3°) ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... a demandé au tribunal administratif de Dijon :

1°) d'annuler la décision du 15 octobre 2018 par laquelle le directeur de l'EHPAD de Laignes a rejeté sa demande de protection fonctionnelle et sa demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de son congé de maladie débuté le 27 juillet 2018 ;

2°) d'enjoindre au directeur de l'EHPAD de Laignes de faire droit à ses demandes ou, à défaut, de procéder à un réexamen de sa situation, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'EHPAD de Laignes la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Par un jugement n° 1803379 du 27 septembre 2019, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du 15 octobre 2018 en tant qu'elle refuse de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de Mme A....

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 9 décembre 2019, Mme A..., représentée par Me Grenier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 27 septembre 2019 en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation du refus de bénéfice de la protection fonctionnelle ;

2°) d'annuler la décision du 15 octobre 2018 par laquelle le directeur de l'EHPAD de Laignes a rejeté sa demande de protection fonctionnelle ;

3°) d'enjoindre au directeur de l'EHPAD de Laignes de faire droit à ses demandes ou, à défaut, de procéder à un réexamen de sa situation, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'EHPAD de Laignes la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Mme A... soutient que les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation, dès lors que le refus de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle est illégal et qu'elle est victime d'un harcèlement moral incessant de la part de l'infirmière, faisant fonction de cadre de santé, dont le comportement excède l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 mars 2020, l'EHPAD de Laignes, représenté par Me Lambert, demande à la cour :

1°) de confirmer le jugement du tribunal administratif de Dijon du 27 septembre 2019 en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation du refus de protection fonctionnelle de Mme A... et donc de rejeter la requête de cette dernière ;

2°) qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'EHPAD de Laignes fait valoir que les moyens présentés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Fédi, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Par courrier du 20 septembre 2018, Mme A..., infirmière en soins généraux et spécialisés au sein de l'EHPAD de Laignes, a demandé le bénéfice de la protection fonctionnelle à raison d'une situation de harcèlement moral dont elle s'estime victime, ainsi que la reconnaissance de l'imputabilité au service de son congé de maladie à compter du 27 juillet 2018. Par décision du 15 octobre 2018, le directeur de l'établissement a refusé de faire droit à ces deux demandes. Le tribunal administratif de Dijon a annulé le refus de reconnaissance de l'imputabilité au service de la pathologie de Mme A..., laquelle relève appel du jugement du tribunal administratif de Dijon, en tant seulement qu'il a refusé d'annuler le refus opposé à sa demande de protection fonctionnelle.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 susvisée, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / (...). ". Aux termes de l'article 11 de la même loi : " I.-A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire (...). / IV. La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...). ".

3. D'une part, les dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 établissent à la charge des collectivités publiques, au profit des fonctionnaires et des agents publics non titulaires lorsqu'ils ont été victimes d'attaques dans l'exercice de leurs fonctions, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général. Si cette obligation peut avoir pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles le fonctionnaire ou l'agent public est exposé, mais aussi de lui assurer une réparation adéquate des torts qu'il a subis, laquelle peut notamment consister à assister, le cas échéant, l'agent concerné dans les poursuites judiciaires qu'il entreprend pour se défendre, il appartient dans chaque cas à la collectivité publique d'apprécier, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce au vu des éléments dont elle dispose à la date de la décision, notamment de la question posée au juge et du caractère éventuellement manifestement dépourvu de chances de succès des poursuites entreprises, les modalités appropriées à l'objectif poursuivi.

4. D'autre part, il appartient à un agent public, qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration, dont il relève, à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se déterminant au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels agissements répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas de telles limites, des recommandations, remarques et reproches justifiés par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, ne sont pas constitutives d'un harcèlement moral au sens des dispositions précitées. A cet égard, une souffrance psychologique liée à des difficultés professionnelles ne saurait caractériser à elle seule un harcèlement moral, qui se définit également par l'existence d'agissements répétés de harcèlement et d'un lien entre ces souffrances et ces agissements.

5. Il ressort des pièces du dossier, s'agissant du contexte général dans lequel la demande de protection fonctionnelle a été sollicitée, que les relations professionnelles entre Mme A... et sa supérieure hiérarchique ont été conflictuelles dès l'arrivée de cette dernière au mois de juillet 2017, en raison notamment de divergences de vues et de pratiques professionnelles entre les deux agents. Ensuite, il n'est pas sérieusement contesté que Mme A... a rencontré des difficultés pour travailler en équipe et pour respecter les consignes données par le médecin coordonnateur de l'établissement et par sa hiérarchie. De même, il est établi que Mme A... faisait preuve d'un comportement qualifié " d'une certaine rigidité intellectuelle dans son travail " avec des attitudes dogmatiques tant vis-à-vis du personnel, des supérieurs hiérarchiques que des résidents. Sa notation au titre de l'année 2016 indiquait également qu'elle devait apprendre à remettre en question ses pratiques professionnelles. D'ailleurs, lors des entretiens de formation, en juillet 2015 et en août 2016, Mme A... faisait déjà part, à sa hiérarchie, de difficultés liées au comportement de ses collègues qui étaient, selon elle, " réfractaires aux nouveaux arrivants " et qui " résistaient aux changements ". En outre, l'affirmation, selon laquelle la supérieure hiérarchique de l'appelante, qui demeurerait protégée par son employeur, a eu à connaitre par le passé de plaintes de même nature et que règne au sein du service une politique d'intimidation, n'est pas établie.

6. En ce qui concerne les agissements répétés de harcèlement moral que Mme A... impute à sa supérieure hiérarchique, si l'intéressée fait état de reproches et de vexations en public, d'une part, aucune pièce du dossier, en dehors de sa seule appréciation subjective de situations professionnelles ponctuelles, ne vient établir la réalité de ses allégations, d'autre part, il n'est pas démontré que le comportement professionnel de l'agent ne justifiait pas les éventuels reproches adressés par sa hiérarchie, ni qu'ils excéderaient, par leur nature ou leur caractère répété, l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Par ailleurs, les circonstances, non reprises en cause d'appel d'ailleurs, liées au reproche d'avoir dénoncé à tort une erreur d'une aide-soignante, que sa supérieure hiérarchique donnerait des instructions contraires à la déontologie et que sa notation aurait été établie en son absence, si elles peuvent traduire, éventuellement, des dysfonctionnements de l'établissement, ne sont pas, en tout état de cause, de nature à caractériser une situation de harcèlement moral. De même, la circonstance que son employeur ait sollicité, comme la réglementation le permet, des contre-visites médicales afin de vérifier si les motifs de son arrêt de travail du mois d'août 2017 étaient justifiés, ne saurait caractériser un quelconque acharnement de la part de sa supérieure hiérarchique à son égard, dès lors que ces décisions ne relèvent pas de la compétence de cet agent. En outre, aucune pièce du dossier ne permet de démontrer que les manquements professionnels de l'appelante seraient survenus lors de l'arrivée de sa supérieure hiérarchique, contrairement à ce qu'elle affirme. Enfin, si les certificats médicaux font état d'un syndrome dépressif consécutif à une souffrance au travail, ils ne permettent pas, d'établir, faute d'un lien entre ces souffrances et les agissements allégués, que Mme A... a été victime de faits constitutifs d'un harcèlement moral.

7. Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que l'EHPAD de Laignes aurait fait une application inexacte des dispositions de l'article 11 précité de la loi du 13 juillet 1983 et une erreur manifeste d'appréciation en refusant de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle qu'elle avait sollicité pour des faits de harcèlement moral.

8. Il résulte de tout ce qui précède, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'EHPAD de Laignes, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par Mme A.... Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... le paiement des frais exposés par l'EHPAD de Laignes au titre de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'EHPAD de Laignes présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à l'EHPAD de Laignes.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2022, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

M. Gilles Fédi, président-assesseur,

Mme Sophie Corvellec, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 avril 2022.

Le rapporteur,

Gilles FédiLe président,

Jean-Yves TallecLa greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au préfet de la Côte-d'Or en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 19LY04523


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY04523
Date de la décision : 19/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-05-04-01 Fonctionnaires et agents publics. - Positions. - Congés. - Congés de maladie.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: M. Gilles FEDI
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : LANCELIN ET LAMBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 26/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-04-19;19ly04523 ?
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