Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 17 septembre 2021 par lequel le préfet du Doubs a décidé de sa remise aux autorités italiennes, responsables de sa demande d'asile, et de l'arrêté du même jour par lequel ledit préfet l'a assigné à résidence.
Par jugement n° 2102442 lu le 24 septembre 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par requête enregistrée le 26 octobre 2021, présentée pour M. B..., il est demandé à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 2102442 lu le 24 septembre 2021 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions susmentionnées ;
3°) d'enjoindre au préfet du Doubs d'enregistrer sa demande d'asile dans le délai de 15 jours et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État le paiement d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les documents prévus par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne lui ont pas été remis dans un langue qu'il comprend ;
- l'arrêté de transfert méconnaît l'article 5 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 en l'absence d'un entretien individuel conduit en présence d'un interprète dans une langue qu'il comprend, à défaut pour le résumé de l'entretien de comporter la signature de cet interprète, et dès lors qu'il n'a pas été conduit par une personne qualifiée au sens de cet article ;
- l'arrêté de transfert méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux européens et il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- l'arrêté d'assignation à résidence est illégal en conséquence de l'illégalité de la décision de transfert et ne pouvait être légalement pris dès lors qu'il ne dispose pas d'un domicile fixe et qu'il n'a pas de ressources lui permettant de se déplacer au commissariat.
Par mémoire enregistré le 17 mars 2022, le préfet du Doubs conclut au non-lieu à statuer ou au rejet de la requête.
Il soutient que la requête est devenue sans objet dès lors que la décision de transfert a été exécutée le 9 mars 2022, et qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 30 mars 2022 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Lyon (section administrative d'appel).
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Seillet, président assesseur, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., de nationalité afghane, né le 1996 à (Afghanistan), entré en France irrégulièrement une première fois en 2020, a déposé une demande d'asile, le 12 novembre 2020, à la suite de laquelle un arrêté de transfert vers l'Italie a été pris le 12 avril 2021. Une nouvelle demande d'asile a été enregistrée par la préfecture de la Côte-d'Or, le 30 juin 2021, et, après une nouvelle consultation du fichier Eurodac, qui a révélé qu'il avait été identifié en Italie, le 4 octobre 2020, les autorités italiennes ont été, à nouveau, saisies d'une demande de prise en charge de M. B... pour l'examen de sa demande d'asile et ont donné leur accord par une décision implicite du 9 septembre 2021. Par un arrêté du 17 septembre 2021, le préfet du Doubs a ordonné son transfert aux autorités italiennes, responsables de sa demande d'asile et, par un autre arrêté du même jour, l'a assigné à résidence. M. B... relève appel du jugement par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur les conclusions du préfet du Doubs aux fins de non-lieu :
2. Contrairement à ce que soutient le préfet du Doubs, la circonstance que la décision de transfert en litige a été exécutée par la remise de M. B... aux autorités italiennes, le 9 mars 2022, ne rend pas sans objet ses conclusions tendant à l'annulation de ladite décision. L'exception de non-lieu à statuer opposée dans le mémoire en défense doit ainsi être écartée.
Sur la légalité de la décision de transfert :
3. En premier lieu, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision ou s'il a privé l'intéressé d'une garantie.
4. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : a) des objectifs du présent règlement (...) b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est vu délivrer, le 30 juin 2021, deux brochures d'informations, dites " A " (J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - Quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande d'asile ') et " B " (Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce que cela signifie ') dont les pages de garde comportent la signature de l'intéressé. Ces documents constituent la brochure commune visée au paragraphe 3 de l'article 4 du règlement précité et contiennent l'intégralité des informations prévues au paragraphe 1 de cet article. Ces brochures ont été remises à l'intéressé dans une version traduite et, pour la brochure B, en langue farsi, langue très proche de la langue dari qu'il a déclaré comprendre et dans laquelle s'est déroulé l'entretien par l'intermédiaire d'un interprète dans cette langue, qui use du même alphabet et peut être lue par les locuteurs des deux langues. Si la brochure A lui a été remise dans une langue dont il n'est pas établi qu'elle était comprise par M. B... le 30 juin 2021, le vice affectant ainsi la procédure suivie au regard des dispositions précitées de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 n'a pas été, en l'espèce, de nature à le priver d'une garantie dès lors que cette même brochure, comportant les mêmes informations dès lors que le droit applicable demeurait inchangé, lui avait été remise en langue farsi lors de l'entretien en préfecture du 19 novembre 2020, lors de sa première demande d'asile.
6. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 3 ci-dessus, M. B... a bénéficié d'un entretien le 30 juin 2021 avec un agent du service compétent de la préfecture de la Côte d'Or, qui est un agent qualifié au sens du 5 de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. L'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité et la qualité de l'agent qui l'a mené. Il n'exige pas davantage que figure, dans le cas où l'interprète qui a assisté le demandeur d'asile l'a fait par voie téléphonique, la signature de cet interprète.
7. En dernier lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Aux termes de l'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre État qu'elle entend requérir, en application du règlement (UE) n° 604/2013 (...), il est procédé à l'enregistrement de la demande selon les modalités prévues au chapitre I du titre II. Une attestation de demande d'asile est délivrée au demandeur selon les modalités prévues à l'article L. 521-7. Elle mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'État responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet État. Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'État d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat ".
8. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les États membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un État autre que la France, que cet État a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet État membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet État membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet État de ses obligations.
10. En l'espèce, il n'est pas établi qu'il existerait de sérieuses raisons de croire en des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs en Italie, entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ou de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, la seule circonstance qu'à la suite de l'examen de sa demande de protection, M. B... serait susceptible d'être éloigné à destination de l'Afghanistan ne peut caractériser la méconnaissance par cet État de ses obligations, ni la méconnaissance par la France des obligations résultant des articles 3 de la convention européenne des droits de l'homme, des articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ou de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés. Si M. B... fait valoir que les autorités italiennes ont pris à son encontre, après la première décision de transfert du 12 avril 2021, une décision d'éloignement du territoire italien, le 14 juin 2021, et qu'en cas de transfert vers l'Italie, il sera reconduit en Afghanistan où il encourt des risques pour sa vie, notamment eu égard à la violence extrême qui sévit dans ce pays, il ne ressort toutefois d'aucune des pièces du dossier qu'il ne serait pas en mesure de faire valoir, le cas échéant, devant ces mêmes autorités, responsables de l'examen de sa demande d'asile et qui ont accepté sa prise en charge, tout élément nouveau relatif à l'évolution de sa situation personnelle et à la situation de conflit qui prévaut en Afghanistan ni que ces mêmes autorités, en conséquence de leur acceptation de la prise en charge de M. B..., n'évalueront pas de nouveau, avant de procéder à un éventuel éloignement de l'intéressé vers son pays d'origine, les risques auxquels il y serait exposé en cas de retour. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue au 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté. Pour les mêmes motifs, doivent également être écartés les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Sur la légalité de la décision d'assignation à résidence :
11. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit que M. B... ne peut exciper de l'illégalité de la décision de transfert au soutien des conclusions de sa requête dirigées contre l'arrêté préfectoral d'assignation à résidence en litige.
12. En second lieu, et d'une part, si une décision d'assignation à résidence doit comporter les modalités de contrôle permettant de s'assurer du respect de cette obligation et notamment préciser le service auquel l'étranger doit se présenter et la fréquence de ces présentations, ces modalités de contrôle sont divisibles de la mesure d'assignation elle-même, et M. B... ne peut dès lors utilement contester la légalité de la décision d'assignation à résidence elle-même, divisible de l'obligation de présentation au commissariat de Dijon qu'elle comporte, au seul motif des difficultés qui seraient les siennes à respecter cette obligation. D'autre part, en imposant à M. B... de se présenter quotidiennement, du lundi au vendredi entre 8 heures et 8 heures 30 au commissariat de police de Dijon, afin de confirmer sa présence ou justifier des impératifs qui l'empêcheraient de se soumettre à l'obligation lui étant faite, le préfet du Doubs n'a pas, en l'absence d'éléments pertinents invoqués par M. B... qui se borne à se prévaloir de son absence de domicile fixe et de ressources, entaché l'arrêté en litige, en tant qu'il fixe les modalités de présentations de l'intéressé, d'une erreur d'appréciation.
13. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et aux fins de mise à la charge de l'État d'une somme au titre des frais du litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Doubs.
Délibéré après l'audience du 24 mars 2022 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 avril 2022.
Le rapporteur,
Ph. SeilletLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
A.-Ch. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 21LY03493
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