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17/03/2022 | FRANCE | N°21LY00918

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre, 17 mars 2022, 21LY00918


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 14 août 2020 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2006145 du 22 décembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 24 mars 2021, Mme B..., représent

ée par Me Ghanassia, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préf...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 14 août 2020 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2006145 du 22 décembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 24 mars 2021, Mme B..., représentée par Me Ghanassia, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Isère du 14 août 2020 ;

3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou à défaut de réexaminer sa demande dans le même délai et sous la même astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, à verser à son conseil, une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le refus de titre de séjour est entaché d'un défaut de motivation ;

- il méconnaît le 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'obligation de quitter le territoire est entachée d'un défaut de motivation et d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît le 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination est entachée d'un défaut de motivation ;

- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire.

La requête a été communiquée au préfet de l'Isère qui n'a pas produit d'observations.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 février 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Mali sur la circulation et le séjour des personnes signée à Bamako le 26 septembre 1994 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre l'administration et le public ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de Mme Lesieux, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante malienne née en 1995, est, selon ses déclarations, entrée en France le 12 janvier 2018 accompagnée de ses deux enfants mineurs. Le 21 novembre 2018, elle a déposé une demande de titre de séjour en se prévalant de sa qualité de mère d'un enfant français né le 3 mars 2018. Par un arrêté du 14 août 2020, le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme B... relève appel du jugement du 22 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit (...) A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée (...) ".

3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est, en principe, opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il dispose d'éléments précis et concordants de nature à établir, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou après l'attribution de ce titre, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français ou de procéder, le cas échéant, à son retrait.

4. Il ressort des termes de l'arrêté du 14 août 2020 que, pour refuser à Mme B... la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, le préfet de l'Isère a retenu que l'intéressée est entrée en France alors qu'elle était enceinte de sept mois, que le père de l'enfant n'a pu justifier d'un séjour au Mali au moment de la conception de l'enfant et qu'il n'est pas en mesure de subvenir à l'entretien et à l'éducation de cet enfant, et que Mme B..., qui est hébergée par une tierce personne, ne réside pas avec le père de l'enfant. Le préfet de l'Isère a conclu au caractère complaisant de la reconnaissance de paternité dans le but de permettre à Mme B... d'obtenir un titre de séjour et a saisi le procureur de la République, le 19 décembre 2019, d'un signalement conformément à l'article 40 du code de procédure pénale.

5. Il ressort toutefois des pièces du dossier que Mme B..., qui soutient être entrée en France le 12 janvier 2018 en provenance du Burkina Faso, a donné naissance à un enfant le 3 mars 2018, reconnu de manière anticipée, le 18 janvier 2018, par M. A... C..., ressortissant français, originaire du Burkina Faso. D'une part, la circonstance que l'intéressée était enceinte à son arrivée sur le territoire français et que M. C... n'établit pas qu'il a séjourné au Mali à la date de la conception de l'enfant, ne saurait suffire à établir que l'intéressé n'est pas le père biologique de l'enfant dès lors que selon les déclarations non contestées de l'appelante, l'enfant a été conçu au Burkina Faso où elle a rencontré M. C.... D'autre part, n'est pas davantage de nature à établir le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité la circonstance que Mme B... ne justifie pas d'une communauté de vie avec le père de son enfant français. Enfin, le préfet de l'Isère, qui ne pouvait fonder sa décision sur le second alinéa du 6° de l'article L. 313-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, introduit par la loi du 10 septembre 2018 visée ci-dessus, et rendu applicable, par le IV de l'article 71 de cette même loi, aux demandes présentées à compter du 1er mars 2019, ne peut utilement se prévaloir de ce que le père français de l'enfant ne contribuerait pas effectivement à son entretien et à son éducation. Par suite, en refusant de délivrer à Mme B..., qui depuis la naissance de son enfant, réside avec lui sur le territoire français et contribue ainsi à son entretien et à son éducation comme le prévoyait le 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors applicable, le préfet de l'Isère a, ainsi que le soutient l'appelante, méconnu ces dispositions. Ainsi, la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, les décisions contenues dans le même arrêté du 14 août 2020, portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

7. Compte tenu du motif d'annulation de l'arrêté contesté, et dans la mesure où il ressort des pièces du dossier qu'aucune suite n'a été donnée au signalement dont le préfet de l'Isère a saisi le procureur de la République, il y a lieu d'enjoindre au préfet de délivrer à Mme B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

8. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Ghanassia, avocate de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 000 euros au profit de cette avocate au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2006145 du tribunal administratif de Grenoble du 22 décembre 2020 ainsi que l'arrêté du préfet de l'Isère du 14 août 2020 portant refus de délivrance d'un titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination, sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Isère de délivrer à Mme B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à Me Ghanassia la somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'elle renonce à percevoir la contribution de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise pour information au préfet de l'Isère et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Grenoble en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.

Délibéré après l'audience du 10 février 2022 à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président,

Mme Evrard, présidente-assesseure,

Mme Lesieux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 mars 2022.

2

N° 21LY00918


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY00918
Date de la décision : 17/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: Mme Sophie LESIEUX
Rapporteur public ?: Mme VINET
Avocat(s) : GHANASSIA

Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-03-17;21ly00918 ?
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